Dans Le Monde daté d’aujourd’hui, l’historien François Dosse publie une lettre au président de la République, sur le ton le plus familier, puisqu’il le tutoie. Ce n’est pas de sa part familiarité déplacée, puisqu’il connaît bien Emmanuel Macron, pour l’avoir côtoyé plusieurs années lorsque celui-ci assistait le philosophe Paul Ricœur dans la préparation de son dernier grand ouvrage La mémoire, l’histoire, l’oubli (Le Seuil, 2003). Il a pu d’ailleurs témoigner en faveur du président, lorsque sa qualité d’assistant de Ricœur a été récusée par certains qui dénonçaient une sorte de procédé de propagande. Et si François Dosse écrit aujourd’hui à l’intéressé, c’est au nom des positions éthiques de l’éminent penseur qui n’a cessé de réfléchir au politique dans ses enjeux supérieurs.
Dosse reproche vivement à Macron ses positions nouvelles sur l’immigration, qui seraient en totale contradiction avec celui qui n’a cessé de célébrer les vertus de l’hospitalité mais aussi de s’engager de la façon la plus concrète en faveur des sans-papier. Le président l’a choqué particulièrement lorsqu’il s’est adressé aux membres de sa formation en des termes qu’il trouve inadmissibles : « La question est de savoir si nous voulons être un parti bourgeois ou pas. Les bourgeois n’ont pas de problème avec ça (l’immigration) : ils ne la croisent pas. Les classes populaires vivent avec. »
L’argumentation que développe l’historien est d’ailleurs à prendre en compte, notamment lorsqu’il s’insurge contre ce qu’il appelle la désintégration des populations fragilisées, issues de l’immigration. Ce n’est pas en stigmatisant cette population qui vit déjà dans des conditions précaires que l’on facilitera son intégration. Sans nul doute. Mais ce qui frappe aussi dans le discours de François Dosse, c’est ce qu’il a d’incommunicable avec une grande partie de la population française qui ne partage pas les mêmes options que lui. Tout se passe comme si, notamment, une partie de la classe intellectuelle ignorait les arguments de ceux qui s’estiment aussi exclus et fragilisés sur leur propre territoire. Il est également remarquable que dans cette lettre sur l’immigration, le mot islam ne soit pas une seule fois prononcé. Je ne récuse pas les hautes positions éthiques de François Dosse. Je m’inquiète de l’incommunicabilité entre citoyens d’un même pays.