Les progrès techniques rendent parfois les choses plus rapides, mais pas nécessairement meilleures. Un voyage en train est bien plus confortable et raffiné qu’un voyage en avion. Mais nous supportons d’être entassés dans les avions modernes parce que nous sommes accros à la vitesse.
Et pourtant la vitesse n’est pas toujours la valeur la plus importante. Il y a des gens qui tapent vite à l’ordinateur, mais leur rendu laisse plus qu’à désirer ; d’autres qui lisent très vite, mais qui ne comprennent guère ce qu’ils lisent. Cela ne sert pas à grand chose de conduire vite si vous n’allez pas dans la bonne direction. Un de ces petits tableautins humoristiques que les gens mettent près de leur machine à café dit : « Buvez du café. Faites plus vite davantage de choses stupides. »
De même, les reportages modernes sont d’une vitesse admirable mais ils manquent souvent précisément des ingrédients que je prise le plus : la vérité, la précision et la fiabilité. Cela n’a aucune valeur pour moi d’obtenir la nouvelle deux minutes après l’événement si le reportage présente de façon erronée ce qui s’est passé.
Pour avoir ce que je veux, je dois pour ainsi dire « ralentir l’horloge », revenir à un temps où les gens n’avaient pas les nouvelles avant au moins une semaine après l’événement
. Un pape mourait, et il fallait une semaine ou plus avant que la nouvelle n’arrive aux Etats-Unis. Ma façon de faire maintenant, chaque fois que j’entends une nouvelle de dernière heure, est de me rappeler que je devrais attendre au moins une semaine pour que les choses se mettent en place – une semaine pour que les reportages erronés soient corrigés et que les reportages partisans soient équilibrés ou corrigés par des reportages de la partie adverse.
Vous entendez une histoire choquante. Le pape a dit x ou le président a fait y. Il se peut que ce soit vrai, mais encore une fois, cela peut être entièrement faux. Alors que des reportages contradictoires se présentent, de nouveaux commentateurs commencent à se montrer plus circonspects en ce qui concerne les faits, mais pas en ce qui concerne la menace. D’accord, maintenant, nous ne sommes pas sûrs que la mauvaise chose a eu lieu ( ce qu’hier nous rapportions comme un fait avéré) mais nous sommes profondément inquiets parce qu’elle aurait pu arriver, et dans ce cas, qu aurait-elle signifié pour le public ?
Comme les choses commencent à se décanter, nous découvrons que le pape n’a pas dit x, c’est juste que quelqu’un a dit qu’il l’avait dit, ou quelqu’un a entendu quelqu’un d’autre dire qu’il avait entendu le pape dire x. Le président n’a pas non plus fait y ; il a seulement fait allusion à faire y, ou à faire quelque chose de similaire, ou quelque chose que quelqu’un a interprété comme étant y. Peut-être que la police a tiré sur un pauvre innocent désarmé, mais peut-être pas. Une pauvre fille a peut-être été violé par des étudiants barbares, mais nous n’en savons rien.
Ne pas savoir ce qui s’est vraiment passé n’empêchera pas les médias de continuer à commenter, principalement sur comment cela joue sur le public – un public qui ne sait toujours pas ce qui s’est réellement passé et qui réagit principalement uniquement aux reportages des médias. Des blogs furieux vont être écrits, des twitts désobligeants seront envoyés, alors même que la vérité demeure obscure.
La vérité est-elle encore une valeur ? Le regretté Tom Wolfe a un jour écrit à propos de l’art moderne que l’art est devenu beaucoup moins important que ses commentaires par une « élite ». Il en est de même, semble-t-il, avec les « crises » modernes : la vérité sur ce qui s’est passé importe moins que les commentaires coléreux et bien-pensants.
Dans tout ceci, c’est le public qui est « joué ». Quelqu’un joue du pipeau, et nous sommes supposés danser, trépigner de colère au summum de l’indignation chaque fois que les trompettes médiatiques annoncent un autre « scandale » ou une autre « crise ». Les médias usent de ces termes si souvent de nos jours qu’il est difficile de savoir quels mots ils utiliseront quand nous aurons une véritable crise. « Non, cette fois, c’est véritablement le mot qui convient. » Criez trop souvent au loup, et les gens cessent de tenir compte de l’appel. Mais malheureusement, ils ne vont pas cesser de jouer « le jeu de folie des médias ».
Un ami a eu l’intéressante expérience de lire l’autre jour une info de dernière minute rapportant que Amy Barrett, pressentie pour une nomination à la Cour Suprême, avait pris l’avion pour Washington avec sa famille. Comme il habite de l’autre côté de la rue qu’habitent les Barrett, il pouvait les voir chez eux, avec les deux journalistes assis dans leurs voitures, devant leur maison, attendant comme des vautours. Le reportage était une pure invention.
Triste à dire, beaucoup de gens vont oublier cette malhonnêteté et continuer de chercher leurs « nouvelles » auprès de cette source. Qui a encore une crédibilité ? Les nouvelles sont-elles un luxe dont les gens donnent l’impression qu’ils ne peuvent plus se l’offrir et font largement sans ?
Comparez la quantité et la qualité de la couverture des événements politiques ou des affaires locales avec la couverture des sports. Les commentateurs sportifs sont blindés de faits et de statistiques, souvent ils ont parlé avec tous les principaux joueurs et responsables ; ils posent des questions pointues et essaient de ne pas laisser leurs a priori sur les équipes fausser leurs commentaires, ou du moins ils sont honnêtes et ouverts en ce qui concerne ces préjugés.
Qu’est-ce que cela dit d’une culture quand ses reportages sur le sport sont plus minutieux, plus professionnels, moins puérils que ses reportages politiques ? Cela nous dit ce que les livres (méritant tous deux d’être lus) « Entertaining Ourselves to Death » et « How the News Makes us Dumb » nous ont enseigné il y a des décennies. (NDT : les deux titres, de respectivement Andrew Strom et C. John Sommerville, signifient « Se distraire à en mourir » et « Comment les nouvelles nous rendent stupides ») Nous n’avons plus d’informations sérieuses, et nous n’en aurons plus tant que l’information continuera à être vue comme une autre forme de divertissement, soumise à l’argent et aux taux d’écoute, avec pourtant une prétention à la grandeur et un sérieux de pacotille.
Les rédacteurs de la Constitution savaient que la république qu’ils fondaient nécessitait une presse forte, libre et responsable. Quand j’étais plus jeune, les gens avaient l’habitude de s’inquiéter des grosses sociétés qui prenaient le contrôle de l’information. Personne ne parle plus ainsi. Pas sur les grandes émissions d’information en tout cas. Peut-être parce qu’elles sont détenues par de grosses sociétés. Les gens des médias sont inquiets des grosses sociétés capitalistes ; mais surtout pas des leurs. Ils se préoccupent des mensonges et fausses déclarations d’autres gens ; mais surtout pas des leurs. Ils se soucient de centaines de choses chaque jour ; mais surtout pas de la vérité. Et la vérité est la seule chose qui peut nous garder libres.
Mais la vérité requiert ce que le poète Randall Jarrell a un jour décrit comme « la tendresse d’âmes patientes ». Apprendrons-nous la patience ?
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Randall B. Smith est le professeur de théologie (chaire Scanlan) de l’université Saint Thomas de Houston.
Illustration : « Le joueur de flûte de Hamelin » par Maxfield Parrish, 1909 [bar du joueur de flûte de Hamelin, Palace Hotel, San Francisco] D’après le conte, la ville de Hamelin était envahie par des rats, une vraie calamité. Un homme est arrivé, proposant aux habitants de les débarrasser du fléau, moyennant une certaine somme d’argent. Les habitants acceptèrent. L’homme sortit une flûte et en joua. Les rats subjugués, se mirent à le suivre. Il les mena jusque la rivière où ils se noyèrent. Les habitants refusèrent de payer « pour un air de flûte ». Le jour suivant, le flûtiste joua un autre air qui envoûta tous les enfants de Hamelin et il disparut avec eux.
Source : https://www.thecatholicthing.org/2018/08/19/my-slow-news-week/