Luther : 500 ans plus tard - France Catholique
Edit Template
Funérailles catholiques : un temps de conversion
Edit Template

Luther : 500 ans plus tard

Copier le lien

Quiconque est familier de Martin Luther est conscient de ce que ses idées religieuses reflètent souvent ses tourments intérieurs – la conscience douloureuse de ce qu’il était un pécheur, la peur dévorante d’être damné, un pressant besoin d’être rassuré sur le fait qu’il était sauvé par sa foi dans l’action salvatrice du Christ.

C’est de cet enchevêtrement qu’est issue sa vision particulière de la foi comme une entité «  réflexive » ou « préhensive » – le croyant tentant d’atteindre le salut dans le Christ, le saisissant, (le salut ou le Christ), et le (ou Le) redirigeant sur soi afin de posséder l’assurance d’être sauvé et d’avoir une place parmi les élus.

Cette trajectoire circulaire est retracée par Paul Hacker dans son livre La foi chez Luther. Hacker  était un universitaire allemand catholique controversé, converti du luthéranisme, qui est mort en 1979.

La Foi chez Luther a paru tout d’abord en 1966, avec une préface d’un assez jeune théologien de l’époque, une « star » du concile Vatican II qui venait de se terminer, Joseph Ratzinger, maintenant mieux connu sous le nom de pape Benoit XVI.

La préface de Ratzinger est inclue dans la nouvelle édition, accompagnée d’un avant-propos de Reinhard Hutter, autre converti du luthéranisme, qui maintenant enseigne à l’université catholique d’Amérique.

Cette nouvelle parution est une contribution opportune à la clôture de la célébration du cinq centième anniversaire de la publication par Luther des fameuses 95 thèses, supposée avoir eu lieu le 31 octobre 1517. Les historiens disent que cet événement peut avoir eu lieu, ou non, mais les thèses étaient certainement réelles. Elles ont été le point de rupture avec Rome, et ont provoqué la division du christianisme qui a suivi en Europe.
Il en est de même de la portée à long terme de la pensée de Luther sur la foi.

Le sous –titre du livre de Hacker – Martin Luther et l’origine de la religion anthropocentrique – montre pourquoi il en est ainsi : les « tentations » de Luther provenaient de la tension mortelle due au premier effort d’une tendance auto-orientée à s’imposer dans la structure incontestée d’une religion décidément théocentrique et christocentrique. Depuis l’époque de Luther, la même tendance a obligé la foi à reculer dans une position de «  christianisme sans religion ».  L’anthropocentrisme a atteint son ultime état avant de coïncider avec l’athéisme professé. Cette situation cause une nouvelle sorte de convulsion intérieure, et c’est la forme contemporaine, au sein de la foi, de l’expérience de la tentation.

Le cauchemar total de la « tentation dans la foi », disparaît une fois qu’on a renoncé à la réflexivité de la foi. Mais pour beaucoup de gens, il semble difficile de se débarrasser d’un mal invétéré.

Si c’est vrai, cela constitue une sévère critique de Luther. Mais est-ce vrai ? Pour répondre à cela, il est nécessaire de regarder de près les idées de Luther sur la foi. Avec leur apparition, Hacker écrit que « Le réformateur potentiel est devenu le premier Protestant. »

Pour écrire cela, Hacker s’appuie fortement sur le Petit catéchisme immensément populaire de Luther. En résumé, il écrit que pour Luther, « l’acte de foi réflexive porte sur la personne divine du Christ, mais elle est sensée se rabattre sur l’ego du croyant pour faire naître en lui la conscience de sa propre relation avec Dieu, conscience de consolation et de salut. »

Comme Luther l’a dit dans un sermon de 1519 : «  Personne ne peut vraiment savoir qu’il est en état de grâce et que Dieu lui est propice excepté par la foi. S’il le croit, il est béni ; sinon, il est condamné ». Voilà ce que voulait dire Luther en parlant d’une telle foi comme « préhensive » (fides apprehensiva) – elle saisit le salut, en fait elle saisit le Christ Lui-même.

Hacker trouve cette conception de la foi omniprésente dans la pensée religieuse de Luther. Comme telle, elle influence fortement sa vision des sacrements. Par exemple, bien qu’il ait finalement rejeté la Pénitence en tant que vrai sacrement, paradoxalement, il avait une vision appréciative de la confession individuelle (« cela me plait merveilleusement ») puisque le pardon exprimé par le ministre apportait « un remède unique aux consciences affligées… Nous nous apaisons dans le pardon de Dieu qui nous parle par l’intermédiaire de notre frère. »

Pour les deux sacrements que Luther reconnaissait, – le baptême et l’Eucharistie (« Le repas du Seigneur ») – il traitait le deuxième de façon particulièrement intéressante du point de vue de la foi réflexive.

Pour Luther, la messe est essentiellement « une promesse de rémission des péchés », et c’est pourquoi il insiste particulièrement sur la présence réelle. Car si le sens de la messe est la promesse du Christ de pardonner les péchés, alors, selon les mots de Hacker, « La présence réelle de Celui qui promet, au moment de la proclamation de sa promesse, garantit sûrement la validité de la promesse et l’actualité de son accomplissement. »

Les effets de la pensée de Luther, bien sûr, n’ont pas pris fin avec lui. Au contraire, comme le dit Hacker, « la nouvelle conception de la foi n’a pas pu éviter d’être à l’origine d’un développement dans lequel la religion est devenue tout d’abord orientée sur l’homme, et finalement centrée sur l’homme. » Là se trouvait « la semence d’anthropocentrisme dans la religion, et d’idéalisme en philosophie. »

Aucun catholique, même s’il n’a qu’un minimum de sensibilité, n’a pu manquer d’apprécier l’amélioration spectaculaire des relations entre luthériens et catholiques depuis Vatican II, surtout la déclaration commune sur la doctrine de la justification signée à Augsburg en 1999.

Il y a deux ans, un groupe de parole représentant l’Eglise luthérienne évangélique d’Amérique, et la conférence U.S. des évêques catholiques a conclu que le nombre de « causes de division des églises » qui demeurait entre elles, n’était pas grand. Mais celles qui demeurent ne sont pas mineures, puisqu’elles comprennent l’autorité du Pape, l’avortement, le mariage homosexuel, et le ministère (L’église évangélique luthérienne d’Amérique, ELCA, accepte comme ministres les femmes, ainsi que des personnes vivant dans des unions homosexuelles et lesbiennes).

Si Paul Hacker ne se trompe pas, ajoutons la foi à cette liste, et mettons là en tête. Dans sa préface, Reinhard Hutter appelle ce livre « une invitation urgente à de futurs dialogues œcuméniques pour s’attaquer explicitement aux questions : Qu’est-ce que la foi ? Qu’est-ce que garder la foi ? Qu’est-ce que garder la foi présuppose et implique ? »

Laisser ces questions sans réponse, prévient-il, signifierait que « les partenaires du dialogue œcuménique pratiqueraient très probablement un dialogue de sourds sur beaucoup d’autres sujets théologiques ».

Comme l’a dit en 1966 celui qui était à l’époque Joseph Ratzinger, un œcuménisme basé sur un abandon de la vérité équivaudrait à enterrer la foi…

Hacker a le droit, en ce cas, de s’attendre à ce que son travail soit jugé selon le seul critère qu’il a en tête : la recherche de la vérité de l’Evangile, que cela soit plaisant ou non, que cela coïncide ou non avec les idées de chacun ou les rende discutables.

7 octobre 2017

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/10/07/luther-500-years-after/