Lucy, Quelle lumière au-delà de la science ? - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Lucy, Quelle lumière au-delà de la science ?

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Le film de Luc Besson, Lucy, est arrivé dans les salles de cinéma en France en août. Il est un des gros succès de cette année 2014. Et fait rare, ce film français cartonne aussi aux Etats-Unis. La plastique avantageuse de la star Scarlett Johansson peut être une des causes de cette réussite d’audience. Mais les critiques français sont partagés sur le film. Il y a plus. Un succès implique toujours la rencontre avec le désir inconscient du plus grand nombre.
Lucy, qui signifie lumière en latin, est le nom de l’héroïne de ce film d’action et de science-fiction. Ce nom fait référence à Lucy, l’australopithèque découvert par Yves Coppens. Et nous voyons ce singe à l’origine lointaine de l’humanité, au début, puis à la fin du film avec la rencontre de Lucy-Johansson, se touchant l’index comme dans la fresque de la chapelle Sixtine, La création d’Adam par Dieu, selon Michel-Ange. Ce que ne dit pas le film est que ce nom de Lucy a été inspiré à Yves Coppens par l’écoute de la chanson des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds, qui est une apologie de la drogue LSD. Et de fait dans le film, il est question d’une nouvelle drogue le CPH4, de passeurs et de trafiquants. Lucy va être la première femme à connaître la lumière « dans le ciel avec des diamants » en absorbant une nouvelle substance hallucinogène.

Le film repose sur une pseudo vérité scientifique : l’homme n’utilise que 10% de ses capacités cérébrales. Elle est affirmée par le professeur Norman, joué par Morgan Freeman. J’ai essayé de traiter ailleurs de cette question1. Dire que l’on ne connaît que 10% du cerveau, n’est-ce pas une manière d’avouer son ignorance sur l’origine de l’esprit et refuser d’abandonner une foi matérialiste que le cerveau produise la raison ? Puisqu’il apparaît de plus en plus illusoire de vouloir décrypter la pensée à partir de l’activité cérébrale et que l’on ne veut pas admettre la transcendance de l’esprit sur la matière et renoncer à sa foi matérialiste, il ne reste plus qu’à parler de territoire inconnu à explorer. L’aveu d’ignorance est le signe d’une transcendance que l’on refuse. Au lieu d’accepter le débordement des limites spatio-temporelles du cerveau par l’infini de l’esprit, on maintient sa croyance positiviste dans l’infini du progrès scientifique : l’infini a changé de place. L’ignorance d’aujourd’hui devra déboucher sur le savoir de demain. Comment expliquer que l’art, le langage conceptuel, la conscience de soi, l’interrogation puissent surgir d’une matière grise ? Face à l’inexplicable, plutôt que d’avouer la transcendance de l’esprit il reste à dire que le cerveau est un territoire inconnu à 90 %.

Notre héroïne Lucy va progressivement explorer les capacités de son cerveau : 20 %, puis 30, jusqu’à 100 %. Elle va passer des ombres de l’ignorance à la lumière du savoir absolu. Il est intéressant de voir sa vision du savoir. Tout d’abord, l’ignorance est dévalorisée. Au début, aux mains des trafiquants coréens, elle avoue ne rien savoir, montrant sa faiblesse. Plus tard elle affirme : « L’ignorance mène au chaos, pas la connaissance ». Nous sommes à l’opposé de Socrate : « Savoir c’est savoir que l’on ne sait pas ».

Pour la grande tradition philosophique, la reconnaissance de son ignorance, la saisie de ses limites dans le savoir est le début de la sagesse. Prétendre tout connaitre est un désir illimité et vain. La lumière de Lucy est une gnose, étymologiquement une connaissance, la recherche d’un savoir absolu à la mesure des seules forces humaines. Par ailleurs, ce savoir est d’abord scientifique. Elle ressent la gravitation, la plus faible des quatre forces fondamentales, elle voit les ondes électromagnétiques, dont notre monde de communication est envahi, elle sent l’énergie des racines et des arbres. Elle perçoit tout ce qui est physique, et que sans la science nous ne pourrions pas connaître. A la fin elle est face à toute l’histoire du cosmos et de notre planète, la séparation de la lune et de la terre, la naissance de la vie, Lucy.

Mais « Est-ce que tout cela a un sens ? » se demande-t-elle. Approfondir le comment du monde ne dit rien du pourquoi. La totalité du savoir scientifique bute sur l’interrogation métaphysique du sens de l’existence. Savoir que notre ancêtre est une australopithèque, Lucy, nous éclaire sur notre origine biologique et temporelle, mais ne dit à rien à l’homme de son origine métaphysique et du sens de son existence. Enfin, outre la valorisation d’un savoir absolu bien particulier, ce savoir est perçu comme un pouvoir. A 20 % Lucy contrôle son propre corps en changeant la couleur de ses cheveux. A 40 % elle contrôle ses semblables, les méchants trafiquants, puis ce sera le contrôle de la matière, des ondes électromagnétiques. Bientôt il s’agira de tout contrôler, d’entrer dans la toute-puissance, de devenir « maître et possesseur de la nature ». Nous sommes loin d’un savoir contemplatif, de la gratuité du connaître pour connaître. Avec le savoir à 100 %, tout sera possible. Bref, la lumière de Lucy est un savoir scientifique sans limite et un pouvoir, non une interrogation humble et gratuite sur le sens de l’existence.
Dans cette quête du savoir, une interrogation existentielle traverse cependant le film, le mystère du temps. Nous avons tout d’abord la présentation de l’évolution de la vie et de l’univers, qui ne se saisit que par les grandes échelles de temps. Nous avons ensuite l’idée que le cœur de la réalité est le temps. Le monde ne serait pas d’abord compris par des échelles et des mesures mathématiques mais par le temps. « La vraie unité de mesure est le temps. » « Sans le temps nous n’existons pas » De fait, par son irréversibilité, le temps est un mystère de l’être, de toute réalité. Le temps est une énigme méta-physique. Pour le professeur Norman, « le but de la vie est de gagner du temps » Mais pour en gagner, ne faut-il savoir perdre son temps ? Ce temps n’est que fuite, perte, don sans retour. Le film ne s’élève pas au niveau d’Etre et Temps de Heidegger, mais il a le mérite de penser le temps comme l’essence du réel. Et la question de l’immortalité se pose. Y aura-t-il une vie après la mort de Lucy ? « On ne meurt jamais vraiment » dit-elle alors qu’elle conduit à tombeau ouvert. Et pour elle la connaissance s’accroit en même temps que le temps s’accélère. «  Je n’ai pas de temps à perdre. » Comme pour tout homme, plus on s’approche de la mort, plus on vieillit et plus le temps semble passer vite. Mais il est possible de lire cette accélération du temps vers la mort comme une fuite en avant mortifère, à l’image de notre société technique et économique, qui agit et produit toujours plus vite, pour oublier sa condition mortelle. « Otez leur leur divertissement » disait Pascal, « Ils vont se sécher d’ennui. Ils sentent leur néant sans le connaitre » Bref, si l’énigme du temps est au cœur du film, sa présentation n’est pas sans l’illusion de la toute puissance du gain et de la vitesse, alors que le temps est finitude, perte et irréversibilité de la mort.

Cette accélération du savoir et du pouvoir s’opère par une transformation de Lucy, qui peut décevoir les amoureux de la sensualité de Scarlett Johansson. Progressivement elle ne connait ni peur, ni douleur, ni désir. Elle n’a pas besoin d’anesthésie, lorsqu’on l’opère, pour enlever de son ventre le paquet de CPH4. Elle tue avec calme un chauffeur de taxi. Elle embrasse le policier Del Rio, sans aucune émotion. Elle agit froidement, pour avoir rapidement le plus de drogue possible. Lucy est une héroïne solitaire, indifférente aux autres, impassible. Avec le savoir absolu, elle prend la forme du sage stoïcien : seule, indifférente à autrui et à la souffrance.

Cet agir stoïque de l’héroïne nous indique la philosophie implicite de ce film. Tout est matière et esprit, sans distinction. Le cerveau produit l’esprit. La métaphysique est immanente, non transcendante. A la fin elle dit : « Je suis partout ». Son identité individuelle se confond avec l’esprit du grand tout. Si nous ajoutons qu’il s’agit pour elle d’augmenter son savoir et son indifférence à ce qui l’entoure, nous avons bien des éléments d’une sagesse stoïcienne et panthéistique.

Cette métaphysique est sans Dieu. L’au-delà n’est que la connaissance du monde. Ce n’est qu’au début, lorsqu’elle est dans les griffes des trafiquants qu’elle peut dire : « Mon Dieu, aidez-moi ». Mais par la suite, par son savoir et son pouvoir elle n’a plus besoin d’une aide transcendante. La religion chrétienne d’une quête de la grâce divine est morte. Nous voyons d’ailleurs sur le corps de celle qui fait un tatouage à Monsieur Jang, une image de la Vierge de Guadaloupe avec une tête de mort.

Le film de Luc Besson exprime cinématographiquement une métaphysique stoïcienne, matinée de désir de toute puissance. Il est comme une troisième voie, au-delà d’une part d’un matérialisme scientiste, qui refuse toute dimension méta-physique et d’autre part d’une métaphysique biblique que renie une partie post-chrétienne de la société. Comment trouver un sens à la vie humaine par et au-delà de la science, sans recourir à la religion chrétienne, telle serait la direction philosophique implicite du film. Si vous êtes un scientifique sérieux, les pseudo affirmations scientifiques pourront vous énerver. Nous sommes en pleine science-fiction. Si vous êtes chrétien, cette méta-physique sans Dieu vous laissera dubitatif. Mais dans les deux cas, vous aurez une représentation de la métaphysique implicite de beaucoup de nos contemporains postchrétiens et insatisfaits par les limites du discours scientifique. L’homme a besoin de méta-physique. Auguste Comte croyait qu’il fallait renoncer à la métaphysique et à la théologie pour limiter le savoir à la science. Mais la science résout des problèmes et répond à la question : comment ?. Le mystère de l’existence avec tous ses pourquoi demeure. Une solution de facilité est de construire une méta-physique qui garde les apparences de la science. Ici elle prend une forme stoïcienne avec des fantasmes de toute puissance. Le succès du film est dû à la rencontre avec les représentations inconscientes de nos contemporains. Besson met en image nos désirs délirants de toute puissance. Il poursuit son fantasme d’une femme solitaire et violente (Nikita, Léon, Jeanne d’Arc). Lucy est une fiction, une drogue qui apporte une lumière occulte.