Je n’apprécie pas qu’en louant, à juste titre, l’attitude du Pape François, premier du nom, on semble accabler les papes qui l’ont précédé. « Messe avec le pape François : on change d’une HAUTE Église à une Église BASSE et humble ! Quelle bénédiction pour nous de rencontrer Jésus sans ornements », écrit le cardinal Roger Mahony, archevêque émérite de Los Angeles, dans l’un de ses messages sur Touiteur…
Est-ce à dire que Benoît XVI, par exemple, devrait être considéré comme l’un de ces orgueilleux « maîtres du monde » qui se sont accaparé les biens des pauvres ? L’archevêque émérite ne devait certes pas penser à une chose pareille, mais quelques-uns de ses lecteurs auront pu hésiter sur l’interprétation possible de sa phrase !
Ce qu’il faut considérer, c’est la signification des attitudes comme des vêtures, celles que l’on arborait hier, splendides, et que l’on refuse aujourd’hui, celles par lesquelles on remplace les abandonnées. « Adieu, écrit encore l’évêque émérite de Los Angèles, comme disent les Québécois, l’hermine papale et les luxueuses dentelles ! Bienvenues la soutane simple et, heureusement, les chaussures noires ordinaires ! Saint François doit être au comble de la joie !! » Il n’a pas tort d’un certain point de vue, mais son propos demeure contestable car susceptible d’être interprété comme une pique lancée contre les papes précédents.
Je me souviens de la pauvreté et de l’humilité du saint Curé d’Ars : en même temps je regarde les objets et vêtements liturgiques d’un grand luxe qu’il se procurait à prix d’or pour en parer son église et l’autel du sacrifice : rien de trop beau, répondait-il, pour le Seigneur à ceux qui le critiquaient – déjà ! – pour ces dépenses qui auraient permis de subvenir aux besoins de tant de pauvres… (Judas est de toutes les époques.)
Il est possible et même certain que des papes d’autrefois aient nourri leur orgueil par l’accumulation de ces vêtures et objets luxueux qui constituent de magnifiques Trésors visités par les foules de touristes pour le plus grand bien des finances de certaines cathédrales : cependant, les vêtements revêtus, notamment lors des liturgies, n’avaient pas et n’ont toujours pas pour fonction de glorifier les célébrants, seulement le Célébré ! Le « lieutenant du Christ » proclamait, à travers ces splendeurs des cérémonies vaticanes, la splendeur de Dieu. La parure pouvait cacher l’humilité du serviteur afin d’exalter la grandeur de Celui qui était servi.
Benoît XVI a laissé, comme en un testament, des consignes pour l’Église alors qu’il était encore en « fonction » : c’est assez dire que ce dernier écrit de sa main doit être considéré, me semble-t-il, comme suggestif d’une nouvelle et nécessaire « orientation », dont il avait fini par considérer l’urgence tout en sachant que ses propres forces, si diminuées, ne lui permettraient pas de venir à bout de cette nouvelle tâche. Et que dit-il en pensant à cet avenir immédiat ? Que l’heure était venue pour l’Église de se montrer sous l’aspect qui est, au plus profond de son être, réellement le sien : celui de sa pauvreté plus que de son éclat, pourtant certain, et donc de vivre cette pauvreté ainsi que cet éclat dans l’humilité car là est son devoir puisque tout en elle et hors d’elle dépend, non de ceux qui la servent, mais de Celui qui est servi par elle. Avant de se démettre de ce service, de cette fonction, avant donc de revêtir le tablier d’un autre service ou mission personnelle, il a laissé à son successeur le soin de tirer toutes les conséquences de cette orientation précise qu’il conseillait – quoique sans aucun doute inspiré par l’Esprit-Saint ! Ainsi a-t-il tressé le lien de cette continuité de « l’esprit du Service » que notre Pape François a « manifestée » en affichant d’emblée, par les mots comme par les symboles, son accord avec le propos d’Église de Benoît XVI.
À temps nouveaux, esprit nouveau sans que soit en aucune manière renié l’essentiel…
Nous sommes en plein carême et François notre Pape vient d’être élu symboliquement en ce temps d’humilité comme de contrition : en ce temps où nous avons tous à méditer sur nos faiblesses, nos misères, nos péchés ; tous à méditer sur la charité qui devrait habiter nos cœurs ; sur le pardon que nous vaut la passion et la résurrection du Christ, pardon que nous avons à demander pour nous-mêmes, pardon que nous avons également à donner. Comment faire cela en pensant aux splendeurs auxquelles notre époque ne comprend rien ? Sur lesquelles elle se croit habilitée à juger l’Église ?
Non que notre époque ne soit pas imbue d’elle-même, affligée d’un orgueil cosmique, d’une prétention insupportable, d’une confiance en elle-même hyperbolique, confiance en ses jugements, en ses options qui versent si souvent dans l’abîme de la perversité : elle a tout accumulé pour que plus personne ne puisse la prendre au sérieux, ce qu’elle croit pourtant acquis pout toujours. La confiance en elle et ses représentants n’existe plus, mais elle agit comme si elle était toujours dans un état de grâce lui permettant de se croire aimée : elle n’est que suivie parce que dispensatrice de miracles, faux bien entendu, mais qui masquent son impuissance à atteindre la vérité de l’amour. Dont elle ne reconnaît que les caricatures.
J’ai parlé de l’humilité, qui est l’un des caractères de l’amour authentique : vertu que j’ai toujours admirée chez Benoît XVI. Qui, parmi ses innombrables contempteurs, aurait aussi modestement, aussi paisiblement, avec autant de douceur, passé outre à l’écrasante persécution médiatique et politique qu’il a dû subir tout au long de son pontificat ? Qui continue d’ailleurs, larvée, souvent cachée derrière les éloges adressés à son successeur. Qui lui-même vient de se voir érigé en future victime.
Prions saint François d’Assise pour l’évêque émérite de Rome ! Prions-le également pour François, premier du nom, afin qu’il tienne fermement la barre et ne se laisse pas impressionner par les foules des vindicatifs et des ignorants !