Malgré tous les commentaires des jours précédents, les pères synodaux n’en sont toujours qu’au tout début de leur travail, même si nous approchons de la fin de la première semaine. Ils ont tenu les discussions initiales lundi, lesquelles ont été suivies mardi matin par les interventions inattendues du cardinal Baldisseri et du Saint-Père lui-même. Mardi après-midi, ils se sont répartis en petits groupe de langue – où se sont traitées une fine analyse et des révisions de l’Instrumentum Laboris. Ils ont aussi élu des rapporteurs officiels pour chaque groupe.
Le groupe 4 de langue anglaise n’est pas allé plus loin que le paragraphe 9 de l’Instrumentum Laboris selon le franciscain Charles Chaput, archevêque de Philadelphie, qui a été choisi comme rapporteur de ce groupe. Lors de la conférence de presse de mercredi, il s’est inquiété des questions de langue, en particulier de la concordance des traductions depuis la langue officielle, l’italien, puisque peu des anglophones parlent des langues étrangères. Lui et les autres participants de la conférence de presse furent mis sur le grill à propos d’un autre problème de langage : qu’est-ce que s’avérera être ce nouveau langage que le Saint-Père appelle de ses vœux – ne créant pas de division, gentil, accueillant ?
Ils ont tous été suffisamment candides pour dire : nous ne savons toujours pas.
Cela peut sembler n’être que des problèmes purement techniques, mais ils affectent rapidement des questions essentielles. De nombreux Pères synodaux sont dépendants du service de traduction du Vatican pour les discours et les textes. Il est de notoriété publique qu’on ne peut pas compter dessus, pas plus que sur la traduction simultanée pour les événements en direct. Durant le synode de 2014 par exemple, une tempête s’est déclenchée pour partie parce que le paragraphe 50 du rapport intermédiaire, qui concernait les personnes attirées par les personnes de même sexe, avait été traduit en anglais : « Nos communautés sont-elles capables… d’accepter et de valoriser leur orientation sexuelle, sans dénaturer la doctrine catholique sur la famille et le mariage ? ». L’original italien était suffisamment mauvais, mais au moins il avait le sens « d’évaluer » ou de « juger » ce que pouvaient offrir de telles relations.
Beaucoup de problèmes sur ce sujet et sur d’autres ont été attribués au père Thomas Rosica, qui est le présentateur en anglais de l’office de presse du Saint-Siège. Comme je le rapportais hier, c’est le père Rosica qui lors de la conférence de presse a évoqué la nécessité d’un langage plus aimable envers les homosexuels – un de ses thèmes de prédilection – ce qui n’est pas faux en soi, bien sûr, puisque tous les êtres humains ont été créés à l’image de Dieu et méritent le respect. Mais se pose la question de savoir s’il insiste sur ce point de sa propre initiative – ce qui déforme l’image de ce qui se passe au sein du synode – ou si c’est un point que les pères synodaux ont relevé. Le père Frédéric Lombardi, porte-parole du Vatican, s’enquiert de la justesse de l’image du synode donnée par ses soins, reconnaissant qu’il n’a pas de nombre précis concernant la fréquence d’apparition de certains thèmes dans les présentations orales. Mais l’archevêque Chaput a fait la remarque que le langage vis-à-vis des homosexuels n’est apparu qu’une ou deux fois à ce niveau – bien qu’il soit possible qu’il devienne plus en vue.
Toutefois, une chose est certaine. En plus de l’archevêque Chaput, l’archevêque Laurent Ulrich (de Lille en France) et l’archevêque Salvador Pinero (d’Ayacucho au Pérou) étaient bien d’accord durant la conférence de presse sur l’importance de prêter attention aux différents points de vue au sein des groupes de langue. L’anglais, le français, l’espagnol sont parlés sur différents continents. (Qui sait, par exemple, que l’espagnol est une des langues de la Guinée Équatoriale?) Dans une Église qui, par définition, vise à l’universalité, leurs inquiétudes les plus préoccupantes ne sont pas forcément les mêmes que les nôtres. Dans les pays les plus développés, il peut apparaître que les homosexuels et les divorcés remariés sont des questions centrales pour l’Église. En Afrique, cependant, les choses sont bien différentes, assure l’archevêque Ulrich. Nous nous inquiétons de la chute du nombre des mariages ; en Afrique, ils ont le problème inverse, une augmentation phénoménale du nombre de ceux qui demandent le sacrement.
L’archevêque Chaput a fait une remarque très pertinente en faisant observer que chercher des manières « positives », « accueillantes », « débonnaires » pour parler des questions morales ou sociales est une préoccupation de pays développés. (Ce sont toujours des prises de position enflammées, alors on voit mal comment on pourrait en parler objectivement.) Cependant, en de nombreux endroits du globe, il se pourrait très bien que les pasteurs de l’Église aient besoin d’employer un langage sévère et critique. Si le synode veut être exhaustif quant à la situation actuelle de la famille dans le monde, a-t-il dit, il ne doit pas se limiter aux « faits » qui n’intéressent que les nations « occidentales ».
On pourrait ajouter que, comme le savent bien tous les chrétiens, la culture occidentale post-chrétienne est également militante et pas du tout intéressée par un dialogue paisible avec le christianisme. Nous voyons toutes sortes de méchantes caricatures du christianisme traditionnel, et elles sont considérées comme admissibles et même comme des plaidoyers dignes d’éloges en faveur de l’ouverture et de la tolérance. En revanche, la culture trouve « offensant » – un mot qui a aujourd’hui un sens beaucoup plus fort que naguère – tout questionnement sur ses vaches sacrées. S’opposer à l’avortement ? C’est une insulte aux droits de la femme à l’intelligence et à l’autonomie. Penser qu’être attiré par les personnes de même sexe que soi est « intrinsèquement désordonné »? (Catéchisme de l’Église Catholique, chap. 2357) Mais c’est un équivalent moral au racisme, espèce de fanatique !
Le pape François et les évêques se sont assigné une lourde tâche : traduire les principes moraux de l’Église – et de la plupart des traditions éthiques et religieuses de l’espèce humaine – dans un langage que les élites du monde développé ne déclareront pas « offensant » au point d’être inadmissible. La plupart des évêques sont conscients de la difficulté, et quelques-uns d’entre eux ont déjà remarqué qu’ils ne sont pas sûrs de trouver une façon plus positive d’approcher le monde en évitant le danger d’être infidèle à l’Évangile.
Personnellement, je pense que ce serait un miracle que de réaliser la quadrature du cercle. Et il se pourrait bien que ce soit non seulement logiquement impossible, mais également peu susceptible d’avoir quelque effet pratique que ce soit parmi ceux qui pensent que le christianisme est une chose du passé. C’est peut-être pour cela que le pape François nous a demandé de prier pour que le Saint-Esprit inspire les pères synodaux.
Illustration : l’archevêque Chaput à l’ouverture du synode
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/10/07/lost-in-translation-3/
Pour aller plus loin :
- Conclusions Synode pour l'Afrique
- En marge de la lecture du rapport final du synode
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Liberté et synodalité, le défi de l’assemblée « extraordinaire » sur la famille « Cum Petro et sub Petro »