L’arrestation et l’extradition de Cesare Battisti nous renvoie à une période dure et même sanglante, vécue par l’Italie, au-delà de la contestation étudiante de 1968, puisqu’elle s’est prolongée jusque dans les années 80. On ne peut détacher, en effet, le cas Battisti de ce que les historiens appellent « les années de plomb ». Années qui se caractérisent par le recours au terrorisme et leur nature foncièrement idéologique. Extrême gauche et extrême droite s’opposent frontalement, inspirées par leurs conceptions révolutionnaires qui supposent la conquête de l’État et de la société. L’Italie d’aujourd’hui est très loin de ces années de plomb et d’une sensibilité politique qui s’explique par l’histoire de la péninsule après-guerre.
Quarante ans après, l’extradition de Cesare Battisti depuis la Bolivie jusqu’à Rome ranime brusquement ce passé pas vraiment oublié, puisque les dirigeants italiens ont voulu cette arrestation, exigeant que l’ancien militant révolutionnaire passe ses dernières années en prison, quatre assassinats politiques lui étant attribués et lui ayant valu une condamnation a perpétuité. Laissons la question de la culpabilité qui a été âprement discutée en France, pour mesurer la distance politique et idéologique qui nous sépare de la militance d’un Battisti et qui nous concerne aussi, même à un moindre degré, nous autres Français.
On peut s’en féliciter, parce que si la tension idéologique de ces années subsistait aujourd’hui, nous serions vraiment très mal. La révolte actuelle de la France périphérique, déjà tentée par la violence, nous conduirait directement à la guerre civile à cause de ce que Soljenitsyne appelait le caractère multiplicateur de l’idéologie. Non qu’il n’y ait plus d’idéologies aujourd’hui, bien sûr, mais elles n’offrent plus le caractère totalisant et à caractère totalitaire du révolutionnarisme léniniste ou mussolinien. Même la radicalité certaine des gilets jaunes n’est pas surdéterminée par un projet totalitaire. Tous, d’une façon ou d’une autre, répudient un tel projet, au nom de la pluralité des acteurs sociaux, qui revendiquent d’abord leurs libertés.