Toute la rhétorique qui tourne autour des notions de république et de laïcité n’est pas indemne d’équivoques ou d’ambiguïtés qu’il ne faut pas craindre de relever. Ne serait-ce que pour nous comprendre entre nous, mieux savoir ce qui assure notre unité et prédispose à la fraternité. Que veut-on dire, par exemple, lorsqu’on oppose la loi républicaine (ou loi civile) à la loi religieuse, en soulignant la primauté de la première ? Ce n’est pas très clair, tout simplement que parce que le concept de loi religieuse ou de loi de Dieu n’est pas reçu de façon uniforme dans les différentes traditions religieuses. Il y a même des contrastes et des oppositions radicales de ce point de vue entre le judaïsme, le christianisme et l’islam, puisque que dans ce dernier cas (et il nous importe beaucoup en ce moment) la séparation du religieux et du politique n’est pas pensable. Je ne veux pas dire qu’on ne puisse aboutir ici ou là à des « accommodements raisonnables », mais ce n’est nullement évident.
Par ailleurs, dans la tradition judéo-chrétienne, qu’appelle-t-on loi divine ? Les commandements qui sont donnés à Moïse sur le Sinaï sont tout à fait raisonnables et ils ont cet avantage de favoriser la vie sociale. Certains exégètes sont d’avis que le Décalogue fut d’abord une vraie législation sociale, intégrant des lois qui existaient préalablement. Il est donc difficile à ce niveau là d’établir une opposition entre le religieux et le civil, puisque les deux marchent de pair. Cela n’épuise évidemment pas la question, mais permet d’éclaircir un peu le débat.
Autre direction à envisager : la loi humaine, et donc la loi votée par nos parlements, ne vise pas des citoyens très vertueux, a fortiori des saints. C’est pourquoi saint Thomas d’Aquin signalait qu’il y avait forcément un écart entre une loi de perfection morale et une loi destinée au plus grand nombre. Il y a donc, du point de vue religieux, un réalisme pratique qui coopère forcément, même si ce n’est pas toujours aisé, avec le législateur civil. Raison de plus pour écarter les contre-sens sur loi divine et loi civile.
