Les partisans d’une forme plus digne et respectueuse de célébration de la Messe — l’auteur se situe parmi eux — ne cessent de rêver à telle ou telle réforme qui réorienterait la liturgie, pour reprendre les mots du Père Richard John Neuhaus, vers la Présence Réelle de Dieu en éloignant le peuple de la crainte de Dieu.
Aussi utiles que soient les réformes ponctuelles ou globales, elles n’auront guère d’efficacité tant que l’esprit même de la Messe n’aura pas évolué comme l’indique crûment le Père Neuhaus. Mais l’idée de recentrer le courant spirituel sur un culte solennel inspire la crainte d’un « précipice liturgique » où bien peu de pasteurs ont envie de nous pousser.
Depuis plus de quarante ans les paroisses Catholiques ont pour la plupart distordu la célébration de la Messe en croyant stimuler la ferveur du Peuple-Craignant Dieu. L’Église, selon une tendance culturelle, se voulait un lieu plus accueillant et amical. On a alors posté des comités d’accueil à l’entrée et, pour le cas où on ne se sentirait pas assez bien accueilli, le lecteur-animateur nous invitait à saluer nos voisins avant le début de la Messe. La musique — et le choix des instruments — nous sont destinés, à nous, pas à Dieu, de sorte que la célébration nous paraisse chargée de signification, pour nous, les fidèles. Que Dieu, objet de notre vénération, apprécie ces choix, c’est le cadet de nos soucis.
Mais un ingrédient bien plus sérieux — et plus dangereux — de cette approche centrée sur le peuple se trouve dans le rapport qui s’est développé au cours de la Messe entre le célébrant et les fidèles. Les Catholiques attendent du célébrant qu’il les entraîne à la fois par sa façon de célébrer et par son homélie. C’est sur ces deux points qu’on juge les prêtres, à tort ou à raison. Par définition, le prêtre est le médiateur chargé de mener le peuple vers Dieu. Et maintenant, il est réduit à un rôle d’animateur ou de « facilitateur » pour la séance religieuse destinée au peuple, ce que Benoît XVI désigne comme « un cercle-auto-centré ».
Les prêtres, conscients de cette dynamique précaire, ont l’impression de n’avoir d’autre choix que donner aux fidèles ce qu’ils sont venus chercher — une Messe accomodée pour leurs attentes, ou au moins pour leurs besoins tels que définis par les liturgistes de ces quarante dernières années. Tout changement entraîne des risques, et d’abord le risque d’avoir des bancs désertés. Et même si un prêtre voulait prendre des risques, d’autres facteurs — la chorale, les autres vicaires, la venue de célébrants étrangers, les filles-enfants de chœur — lui compliqueraient encore plus la tâche.
Dans ces conditions, vouloir réorienter la Messe vers Dieu forme un précipice liturgique — un retour de flamme de la part de beaucoup de fidèles qui ne se sentent concernés que par une liturgie entièrement centrée sur eux-mêmes. Et le précipice liturgique est encore plus abrupt et plus sombre car ces Catholiques ne tolèrent pas qu’on critique leur préférence pour une Messe centrée sur eux. Ils ont été poussés dans cette façon de célébrer par les quelques guides autoproclamés qui tiennent fermement les reines et n’en démordent pas — ni ne cherchent à en sortir.
Il y a deux méthodes infaillibles pour faire cabrer un Catholique pratiquant moyen: la Messe en latin et la célébration face à Dieu plutôt que face aux fidèles. Ironie du sort — et affligeant effet de la liturgie centrée sur les fidèles — Vatican II appelle les fidèles à connaître et chanter l’ordinaire de la Messe en latin. Il n’est nullement question de l’orientation de l’autel face aux fidèles. En fait, Vatican II assume que le célébrant et les fidèles se tournent tous dans le même sens, comme ils l’ont fait depuis près de deux-mille ans.
Comment retrouver la Messe convenablement centrée sur Dieu sans pousser les fidèles dans le précipice? Pas facile. Benoît XVI a reconnu les dangers encourus en pratiquant une telle transition. « Rien ne saurait être plus nuisible à la liturgie qu’un activisme incessant, même au nom d’un authentique renouveau. »
Le Mouvement pour la Liturgie fin XIXe – début XXe siècle avait pour ambition d’éveiller les fidèles à la splendeur sublime de la Messe, et Vatican II était supposé en être le sommet. Mais avec le « Novus Ordo Missae » issu du Concile le Mouvement pour la Liturgie s’est effondré sans avoir jamais atteint son but. Si avant le Concile l’esprit de la Messe était caché aux fidèles par la surcharge de règles et de dévotions ostentatoires, comme le relevait Benoît XVI, désormais ce même esprit disparaît sous un culte centré sur le croyant.
Le Saint-Père appelle de ses vœux un nouveau mouvement pour la liturgie, nécessaire pour rétablir le caractère sacré de la Messe. La nouvelle version en Anglais [publiée vers la fin de 2012] frappe un grand coup de façon magistrale, en ce sens. Elle rétablit le langage sacré sans perturber le courant spirituel centré sur le peuple auquel nous avons été habitués — le précipice est contourné.
L’étape suivante consistera à réorienter le courant spirituel des fidèles vers Dieu. Il y faudra des séries d’homélies et d’enseignements selon un thème simple: la Messe, ce n’est pas notre affaire, c’est l’affaire de Dieu.
Ce n’est qu’en saisissant ce thème élémentaire qu’on échappera aux difficultés et désagréments qui nous guettent sur le précipice liturgique. Alors, seulement alors des réformes sensées pourront être accomplies. Et alors, seulement alors, le peuple craignant Dieu prendra pleine conscience de la Présence Réelle de Dieu.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-liturgical-cliff.html
Photo : Benoît XVI célébrant une Messe face au Levant.