Lire sans parti-pris. - France Catholique
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La justice de Dieu
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Lire sans parti-pris.

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Dans le N° 82 de « The Rambler » 1 du 15 janvier 1751 Samuel Johnson écrivait: « Nous avons une telle habitude de nous comparer aux autres, tant qu’ils sont à la portée de nos passions, qu’on lit rarement les livres avec une totale impartialité, sauf si le lecteur se situe à une telle distance de l’auteur que sa vie ou sa mort le laissent indifférent. »

Qu’entendait Johnson par « à la portée de nos passions » ? Il voulait dire que l’envie, la détestation, l’adulation, la cupidité ou la vanité peuvent troubler notre jugement lorsque nous nous comparons à ceux avec qui nous nous confrontons.

L’envie, en particulier, est notre défaut le plus fréquent, bien plus fréquent qu’on ne le pense. Il est bien pire que la cupidité, lointain concurrent.. L’envie est bien présente dans le milieu académique, où la concurrence est d’ordre spirituel ou intellectuel. Mais à cet égard, la culture des médias modernes peut bien lui donner un aspect financier.

Selon certains économistes l’envie est en fait un facteur majeur dans les relations économiques, bien plus que la cupidité. Les problèmes concernant spécialement la pauvreté dépendent davantage de l’envie que de la cupidité. Les efforts en faveur des pauvres échouent presque à coup sûr parce qu’on suppose que les pauvres le sont à cause de la cupidité et non de l’envie.

La cupidité est ce vice qui pousse à désirer bien davantage que ses propres besoins et capacités. Puisque l’argent nous permet d’acheter presque tout, on peut en faire un objectif. On pense que l’accumulation (ou la pénurie) de fortune est la base du bonheur. La cupidité est généralement attribuée aux gens fortunés, mais elle peut bien être aussi un vice dominant chez les pauvres, même les très pauvres.

L’envie, d’un autre côté, est plus intellectuelle. Elle concerne les honneurs, la gloire. Nous ne faisons pas l’éloge de ce qui le mériterait chez les autres. Nous relevons des défauts dans l’excellence ou la réussite des autres, bref, nous détestons leurs qualités. Nous ne reconnaissons pas spontanément en quoi et comment l’excellence est manifeste. Nous n’aimons pas ce que nous voyons en nous comparant aux autres. Le vice de Judas peut bien avoir été la cupidité, mais celui des Pharisiens était très certainement davantage celui de l’envie. Honorer et louer ce qui doit l’être est certes bien plus difficile, et bien plus important, que donner ou rendre l’argent qu’on doit.

Le fait est que je ne lis ni Platon ni Aristote sans parti-pris, bien qu’ils aient vécu fort longtemps avant mon époque. Pour être cultivé, même de nos jours, spécialement de nos jours, il faut avoir une opinion sur Platon et Aristote. Si cet adage était valable toutes les universités devraient exiger que les étudiants prenant leurs inscriptions aient lu Platon et Aristote. Il n’en est rien.
Ceux qui connaissent Platon et Aristote sont jalousés avec une passion proche de la haine. Ces anciens sont les tenants de la vérité. Pour eux, c’est bien net. Notre civilisation est bâtie, il me plaît à le dire, sur la proposition de Socrate « Il n’est jamais bon de faire le mal. » Aucune proposition n’est plus détestée dans une société relativiste. Aucune n’est plus jalousée pour ceux qui refusent d’en admettre la vérité. Ils n’ont pas le choix.

Donc, que signifie « lire un livre sans aucun parti-pris » ? Simplement que nous pouvons lire le livre sans intervention de notre esprit protecteur qui nous empêcherait d’admettre une vérité contraire à nos désirs. Notre société déborde de haine issue de l’envie, avec le refus de reconnaître ce que nous sommes en vérité. Nous sommes alors dans une situation révolutionnaire, quelque chose ressemblant à ce que Burke décrit dans ses « Réflexions sur la Révolution Française ». Nous avons délibérément adopté des principes politiques qui rejettent les aspects de bonté dans notre comportement. Nous ne nous plions pas aux réalités. Nous refusons d’acclamer les vérités que nous ne souhaitons pas adopter dans notre comportement.

Les lois anti-phobies qui dominent actuellement au Canada, en Grande Bretagne et aux USA ont leurs racines dans l’envie et la haine de toute vérité contredisant l’idéologie établie à présent 2.

La liberté de parole, dont la justification originelle était le devoir de dire et d’écouter la vérité, est devenue un instrument pour exclure toute prise en compte de vérités non conformes à notre volonté — non politiquement correctes.

Nous sommes maintenant bien assez éloignés des Écritures et des auteurs classiques pour les considérer avec objectivité. Mais il n’en est pas ainsi. Pourquoi? À mon avis parce que décortiquer la vérité nécessite deux points de vue. Si nos « passions » ne nous permettent pas d’admettre leur vérité, alors nous finissons par détester cette vérité, ne pouvant qu’envier son existence. Le refus d’acclamer le vrai et le beau est de plus en plus la marque, l’ethos de notre culture.


Source : On the Impartial Reading of Books

L’École d’Athènes – détail: Platon et Aristote. (Raphaël, 1509).

http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/on-the-impartial-reading-of-books.html

  1. NDT: « Le Flâneur », périodique du milieu du XVIIIème siècle
  2. NDT: la « bien-pensance »