Liberté pour la forme - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Liberté pour la forme

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Le Christ sauvant Pierre de la noyade, Lorenzo Veneziano, v. 1370.

Le Christ sauvant Pierre de la noyade, Lorenzo Veneziano, v. 1370.

[Musée de Berlin]

Le petit livre de Urs von Balthasar « Dans la plénitude de la Foi » a paru pour la première fois dans le milieu des années 70. Il proclamait une mission saisissante. Vatican II avait encouragé un esprit d’œcuménisme au sein de l’Église Catholique mais l’application la plus répandue de cet esprit a suivi l’exemple du protestantisme américain : il reconnaissait la légitimité de différentes « dénominations », le dialogue fructueux consistant à essayer de trouver quel plus petit dénominateur commun, quel ensemble de grands principes, était vraiment partagé par toutes les parties. Les différences devaient être minimisées comme « non essentielles ».

Ce qui était impossible, pensait von Balthasar. Le catholicisme est un tout. La seule façon pour l’Église de parler réellement aux autres chrétiens était de leur présenter la « Catholica », l’esprit intégral qui était une unité organique. De cette unité intérieure émergent des doctrines et des pratiques que les protestants rejettent. Mais la seule façon de comprendre ces points de discorde est de comprendre comment ils émergent de l’esprit animant l’Église.

Von Balthasar ne va pas très loin dans sa controverse sur « la situation actuelle » avant que le problème en jeu ne devienne perturbant. L’Église a une forme. Bien plus, l’Église voudrait donner cette forme aux chrétiens afin qu’être chrétien consiste à permettre à sa vie entière de recevoir une forme particulière, une structure.

Des années plus tôt, dans « La gloire de Dieu », von Balthasar avait ainsi exprimé cette idée :

Être chrétien est précisément une forme. Comment pourrait-il en être autrement puisque être chrétien est une grâce, une possibilité d’existence qui nous est ouverte par la justification opérée par Dieu, par la rédemption du Dieu-Homme. Ce n’est pas la possibilité générale et informe d’une prétendue liberté, mais la possibilité précise désignée par Dieu à chaque individu durant son existence comme membre du corps du Christ, dans sa tâche au sein du corps, dans sa mission, son charisme, son service chrétien envers l’Église et le monde.

Ce langage semblera obscur à beaucoup d’entre nous. Que signifie-t-il ?

L’usage que fait von Balthasar du mot « forme » dérive de la philosophie antique, essentiellement de Platon et Aristote. Pour ces philosophes, les choses changeantes évoluent au cours de leur existence, du potentiel à la réalité.

Les composants matériels de base de l’embryon humain sont presque purement potentiels mais, avoir un potentiel implique déjà être en route vers quelque but, être déjà dirigé vers quelque accomplissement. Alors que nous approchons cet accomplissement, nous devenons encore plus réalisés. Nous devenons « plus vrais ». Le principe qui conduit le cours de notre potentiel est notre « forme », c’est-à-dire le principe intellectuel ou l’essence qui définit ce que nous sommes. Devenir vrai – être accompli – est spécifiquement accomplir notre forme.

Von Balthasar croyait qu’être libre signifiait avoir la capacité de se développer depuis un état presque entièrement potentiel à nos origines, quand la forme est une idée essentielle mais pas encore réalisée, et de se développer vers un achèvement toujours plus proche de cette essence dans nos existences. La liberté implique d’avoir la capacité de devenir, d’exister, comme nous sommes prévus pour le faire selon notre essence. La forme est notre essence en potentiel, mais elle est également un tout intégral, l’unité que nous réalisons dans notre existence.

À notre époque, se désolait von Balthasar, les gens ne croient tout simplement pas à la forme. Épanouir son essence ne nous semble pas être une réussite de la liberté mais sa limitation. Dans le sillage du Concile, il a vu des gens « de gauche » cherchant à « dissoudre des formes prétendument rigides jusqu’à ce qu’il ne reste plus que de l’informe ». A « droite », il a vu des catholiques tenant « fermement » aux formes mais d’une façon qui n’était pas existentielle et épanouissante mais plutôt « sclérosée ».

L’époque entière semblait souffrir d’une « incapacité à créer des formes authentiques ». Les chrétiens tout particulièrement semblaient souffrir de débilité : « combien éphémère est quasiment tout l’art chrétien ; combien éphémères la musique et les chants chrétiens de maintenant ! »

La vie chrétienne telle que von Balthasar la décrit consiste en notre volonté d’abandonner la forme de l’homme naturel et de nous laisser re-former par le Christ. C’est comme si le sol fertile, le pur potentiel de notre être abandonnait une semence et se donnait licence d’être ensemencé par la semence du Christ. Mais, encore une fois, « notre époque est iconoclaste ». Nous voulons rejeter une telle semence comme étant un fardeau plutôt qu’un accomplissement, comme une simple carapace historique et non comme une unité essentielle, un tout ayant une essence ou une forme complète qui lui est propre.

Et n’est-ce pas la pure vérité ? En 1651 déjà, le philosophe Thomas Hobbes proclamait que toute définition de « liberté » autre que l’absence d’obstacle à nos désirs était une pure incohérence et une superstition. Tant Hobbes que Descartes ont cherché à remplacer le compte-rendu classique du changement comme processus de développement de la potentialité à la réalité par les lois du changement par locomotion (une force agissant sur la matière) et inertie (les choses ne bougent pas vers un épanouissement ou une fin ; elles bougent jusqu’à ce que la résistance d’autres mouvements les ralentissent).

Une telle vision de la liberté comme absence de force de résistance est fruste, vraiment vide en comparaison avec la vision de choses étant appelées à être, à devenir, à exister, à prendre leur place comme la réalisation d’une forme particulière.

Sans cette explication ancienne et riche de la liberté vue comme dirigée vers la forme, beaucoup de choses nous deviennent inexplicables. Nous voyons un prétendu tout comme simplement la somme de ses parties, comme si plusieurs éléments pouvaient être ajoutés ou retranchés à volonté. L’idée du catholicisme comme un tout n’a plus de sens.

Pire, nous ne nous comprenons plus nous-mêmes. Nous commençons à penser à toute « forme » comme à quelque chose qui pourrait être utile pour un temps, mais également comme quelque chose à garder à distance. Etre libre signifie alors se garder dans un état de pure potentialité, repoussant toute forme comme étant une menace pour notre liberté. Parmi les choses que nous repoussons se trouve la possibilité d’accomplissement. Nous préférons rester « libres » plutôt qu’être « ensemencés » par le Christ.