Le pape François a probablement lu le rapport après le débat publié lundi, 13 octobre, par le Saint-Siège, à mi-parcours du synode, et présenté ensuite à la presse, sans censure préalable. Il avait donné deux consignes aux Pères du synode : écoute et liberté. Le Pape a écouté et fait s’exprimer librement non seulement le rapport, mais les réactions de l’assemblée à ce rapport : deux éléments de la dynamique de la « synodalité » qu’il ne faut pas séparer.
Des réactions vives et nombreuses — 45 interventions sur 184 présents —, ont en effet suivi le lecture du rapport, et tous les inscrits n’ont pas pu prendre la parole, lors de ce débat vraiment très « libre » qu’il a suscité.
Les autres membres du synode qui n’ont pas pu, faute de temps, intervenir lors de ce débat en assemblée générale, lundi matin, disent maintenant ce qu’ils avaient à dire dans leurs groupes de travail linguistiques — dix groupes en quatre langues : deux en français, deux en espagnol, trois en anglais, trois en italien.
Et ce va-et-vient entre assemblée et groupes de travail est un travail en vue du document final à discuter, voter, et, une fois adopté, à remettre au Pape, le tout en vue du synode de 2015.
Or, le rapport a été reçu, à l’extérieur de l’assemblée, et par plus d’un, comme un document reflétant tout le ton du synode et la polémique a flambé, prêtant même au Pape une pensée qu’il n’exprime pas, justement pour garantir la liberté du débat. Maintenant une attitude impartiale pendant les interventions, il se contente de petits billets adressés au secrétaire du synode, le cardinal Lorenzo Baldisseri. Mais il ne s’interdit pas de réagir aux témoignages des laïcs et de les encourager, et il parle librement à la pause-café avec chacun.
Pour une vision complète de la dynamique synodale
Cependant, comme le synode n’a pas communiqué, ensemble, et sur le texte et sur le débat qui a suivi la lecture du rapport — ce qui aurait complété le document, et aurait reflété l’état précis des travaux —, mais en deux temps, sur le texte lundi 13 octobre à la mi-journée, et sur le débat le lendemain mardi, par une synthèse et lors du briefing de la mi-journée, il en a résulté une perception partielle des propos des Pères synodaux qui a nourri la polémique.
A la lecture des comptes rendus dans la presse, le secrétariat du synode a même jugé utile, mardi 14 octobre, de publier une note resituant le document de lundi comme une étape du chemin synodal, à partir duquel l’assemblée est appelée à rebondir : il n’est à prendre ni comme un aboutissement de la réflexion, ni, encore moins, comme des décisions. En tous cas, aucune censure.
Dans la matinée de mardi aussi, la salle de presse du Saint-Siège a publié une synthèse du débat animé de lundi 13 sur le rapport, une synthèse « non-officielle » comme toutes les synthèses de la semaine précédente. Les Pères saluent « l’attitude accueillante » de l’assemblée, bien reflétée par le rapport, qui manifeste l’attitude de l’Église « attentive situations de souffrances ». Lors de la rencontre avec la presse le cardinal archevêque de Durban, Wilfrid Napier n’a pas hésité à reconnaître la part de responsabilité de la pastorale dans les échecs conjugaux : il y a un travail qui n’a pas été fait auprès des couples, il faudra trouver des nouveaux chemins pour les soutenir.
En même temps, le rapport comporte des « manques », des « omissions », va jusqu’à dire le président de la Conférence des évêques polonais, l’archevêque de Poznan, Mgr Stanislaw Gadecki, au micro de Radio Vatican. De ce point de vue, le rapport est perçu comme un « miroir imparfait » des débats de la première semaine.
Dans le point presse de mardi 14 toujours, à la mi-journée, des éléments de critique des Pères synodaux ont été évoqués, de façon à remédier à ce qui pourrait bien être une « erreur de communication » de ne pas avoir informé dès lundi que de ce qui s’était passé dans la salle des débats après le rapport. Les deux, ensemble, font partie de la synodalité active. Pour permettre un interprétation équilibrée sur ce qui se passe à l’intérieur de la dynamique synodale, il aurait certainement été utile de dire lors de la présentation du texte, dès lundi, ce qui n’a été dit que lors du briefing de mardi, à savoir que le rapport a « suscité des réactions contraires » et que la « très grande majorité » des interventions étaient des « critiques » à un texte perçu comme « ne reflétant pas tout le contenu des interventions ».
Il est par exemple des « questions sensibles » dont la majorité des Pères n’ont pas parlé parce que ce n’était pas leur principal souci pastoral dans leur Église — homosexualité, divorcés remariés — et ils ne se sont pas reconnus dans le texte de mi-parcours. Ou encore ils ont déploré l’emploi du terme ambigu de « gradualité » qui n’a pas été prononcé « plusieurs fois » lors des débats. Ou bien : « le texte reprend des suggestions d’un Père synodal pas très représentatif mais qui se retrouve à bonne place comme s’il représentait une convergence sur certains thèmes ».
Il y a peut-être aussi un « problème de méthode », une « limite de la procédure synodale », car les Pères sont intervenus sur un thème qu’ils ont choisi dans les thèmes évoqués par l’Instrument de travail. Sur les autres thèmes, ils ont donc été en quelque sorte la « majorité silencieuse ». Mais lorsqu’ils ont vu apparaître dans le document du lundi 13, ces thèmes qui n’étaient pas une « priorité » pour leur zone géographique, ils ne s’y sont pas reconnus et ils ont réagi, très librement: « ils n’en avaient pas parlé parce que pas d’accord », ou pas « concernés ». Ils ont demandé que le document se recentre sur des questions qui « impliquent toute la société », le rôle de « la famille chrétienne dans la société », avec des « enjeux graves, importants » sur lesquels ils « ne faut pas accepter de compromis ».
En somme « le débat a été très animé avec beaucoup de franchise » : là, la machine synodale fonctionne à plein, avec la liberté et l’audace demandée par le Pape. De même dans les travaux par groupes linguistiques.
Le travail en carrefours a en effet recueilli « énormément de critiques », avec une « reprise des paragraphes point par point ». Beaucoup n’en sont qu’à la première partie du texte et, par exemple, dans les deux groupes francophones « la plupart ne sont pas prêts à faire des concessions » par rapport à leurs positions. Autrement dit « passion », « détermination », « paroles très fortes qui sortent », « franchise ». A la pause-café ? Une certaine « émotion » par rapport aux articles parus. Mais en même temps un « climat serein », « apaisé », dans les débats.
Des exemples de franchise ? « L’Eglise capitule devant la gouvernance mondiale », on dirait que l’Église est « soumise à un lobby sentimental et poétique », on est « en train de faire une brèche », n’est-ce pas « irresponsable » ?
Des « divergences » qui se concrétisent dans les « remarques par rapport au texte », jugé « mal rédigé », et des « demandes de modifications » : les Pères explicitent pourquoi ce texte leur « déplaît ».
Ils proposent aussi de supprimer purement et simplement tel ou tel paragraphe. Ou par exemple, aux paragraphes 17-19, l’analogie entre les éléments positifs existant dans d’autres religions et les éléments positifs existant dans telle ou telle situation « irrégulière » est « insuffisante » : c’est même un problème « théologique grave ».
Les Pères souhaitent que le document annonce « l’Évangile de la famille », manifeste davantage la « beauté du message chrétien » sur le mariage, mais pas de façon éthérée, mais concrète, en disant merci à « ceux qui se battent chaque jour » pour surmonter les obstacles. Mettre en avant beauté du mariage, non pas comme l’idéal d’un « bonheur permanent », mais comme témoignage de la fidélité conquise malgré les difficultés : la famille chrétienne n’est pas une famille sans problèmes. Mais elle témoigne qu’avec le Christ, elle « peut tenir le coup dans les difficultés ». A ce sujet les laïcs peuvent intervenir dans les carrefours, même s’ils ne votent pas les propositions.
Leur rôle reste important. Les laïcs présents, notamment ceux qui sont engagés au plan politique, ont exprimé leur besoin du « soutien de l’Église » et ils ont dit « attention ! » devant les « passages ambigus » qui peuvent « affaiblir » leur témoignage, leurs luttes.
Les pères synodaux veulent, en outre, un document qui soit clair sur « le maintien de l’indissolubilité du mariage » sacramentel catholique valide, et qui ne donne pas l’impression d’accueillir des « situations de péché ». Il faut éviter « toute ambiguïté » et un message où l’on ne comprendrait plus « où est le bien et le mal ».
Les votes sur les amendements ont déjà commencé en carrefours : ils portent aussi sur des déplacements d’un paragraphe, d’un chapitre, des questions de langage, de précision sur les termes employés. Par exemple, l’emploi de l’expression « valeurs positives » même au sein de « situations irrégulières » : il serait mieux de dire des « éléments positifs ». Tout le monde est d’accord pour discerner « du positif partout », mais il faut être précis. Et puis le positif concerne les personnes, pas les « situations ». Voilà comment le texte est travaillé, sans concession, sans censure. Un bel exercice de la « critique » au sens le plus noble du terme.
Le texte controversé a donc eu cette vertu de susciter des prises de positions et de mieux photographier l’état de la question, dans un exercice de la liberté, en droite ligne avec les consignes données par le pape lui-même aux pères synodaux.
Le Pape avait averti, dimanche 5 octobre, lors de la messe d’ouverture du synode, à Saint-Pierre, que « la tâche des chefs du peuple » est de « cultiver la vigne avec liberté, créativité et ardeur ». Il a invité à ne pas « décevoir le rêve de Dieu » et à se laisser « guider par l’Esprit Saint ». Il ajoutait ce souhait : « que l’Esprit nous donne la sagesse qui va au-delà de la science, pour travailler généreusement avec vraie liberté et humble créativité ».
Le lendemain, 6 octobre, lors de la première congrégation générale, il a indiqué comme « condition générale de base » pour le débat synodal de « parler clairement » : « Que personne ne dise : « On ne peut pas dire cela ; on va penser ceci ou cela de moi… » Il faut dire tout ce que l’on sent avec audace. » Voilà qui est fait.
Une consigne de liberté aussi dans les rapports avec la presse, rappelée ce mardi matin, 14 octobre, par le P. Federico Lombardi, directeur de la salle de presse du Saint-Siège : liberté de donner des interviews. Du nouveau dans la dynamique du synode.
« La liberté d’expression, le respect, la charité, l’esprit constructif » doivent caractériser les débats synodaux, avait également déclaré le cardinal Lorenzo Baldisseri, à la veille de l’assemblée, le 3 octobre.
Une condition d’une assemblée synodale fructueuse soulignée par le cardinal français André Vingt-Trois, archevêque de Paris et président délégué du synode sur la famille : « liberté de parole et écoute respectueuse ».
Le document intermédiaire de lundi, 13 octobre se conclut d’ailleurs par cette affirmation de liberté, en resituant aussi cette étape du processus synodal : « Les réflexions proposées, fruit du dialogue synodal qui s’est déroulé en toute liberté et dans un mode d’écoute réciproque, entendent poser des questions et indiquer des perspectives que les Églises locales devront faire mûrir et préciser, par leur réflexion, durant l’année qui nous sépare de l’Assemblée générale ordinaire du Synode des évêques, prévue en octobre 2015 ».
Une telle liberté peut faire peur, mais pas au Pape en tout cas, comme la garantie de la vérité du diagnostic : un préalable indispensable pour ajuster les remèdes à la crise du mariage et de la famille, pour surmonter les obstacles, continuer à annoncer « l’Évangile de la famille », ensemble, en Église, con Petro et sub Petro : Pierre et les Onze, représentés par les successeurs des apôtres, les évêques du monde entier. C’est cela la collégialité vécue en synode, une « marche ensemble ».
Finalement, si une des conditions de la validité du mariage sacramentel est la liberté des consentements, il semblerait, mutatis mutandis, que la liberté des débats soit considérée par le pape François comme une condition de la réussite du processus synodal, dans l’Esprit Saint. Un processus qui ne s’achèvera peut-être qu’en 2016 et 2017, avec le document de synthèse du pape.
Du pape, c’est là le point. Car, qu’est-ce qui garantit, en amont et en aval, -que- cette liberté ne devienne pas du « laxisme » ? On se souvient de cette recommandation du pape au clergé de Rome le 6 mars dernier: « Nous savons bien que ni le laxisme ni le rigorisme ne font grandir la sainteté (…). Ni le laxisme, ni le rigorisme ne sanctifient le prêtre, et ils ne sanctifient pas le fidèle ! La miséricorde, en revanche, accompagne le chemin de la sainteté, l’accompagne et la fait grandir… ».
En somme, cette liberté voulue est possible, en toute sérénité et audace, en raison du charisme de Pierre, selon les paroles même du Christ. Parce qu’il s’agit d’un débat en Eglise « cum Petro et sub Petro », comme le pape le rappelait lundi 6 octobre, en ouvrant les débats : « Je vous demande, s’il vous plaît, ces attitudes de frères dans le Seigneur : parler avec audace et écouter avec humilité. Et faites-le tranquillement et dans la paix, parce que le synode se déroule toujours « cum Petro et sub Petro », et la présence du pape est une garantie pour tous, qui garde la foi. »
Un synode passionnant. A suivre.
Pour aller plus loin :
- Première étapes du Synode sur la famille
- La synodalité c’est ce que vous en faites
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies