Libéralisme bon teint et libéralisme pusillanime - France Catholique
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La justice de Dieu
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Libéralisme bon teint et libéralisme pusillanime

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J’ai manqué le libéralisme. Le vrai libéralisme. Pas ce libéralisme neu-neu et timoré ayant peur de son ombre. Ce que j’ai manqué, c’est le libéralisme bon teint, cherchant la vérité, défendant les droits, le libéralisme « je ne suis pas d’accord avec vous mais je défendrai votre droit à exprimer votre opinion ». C’était ce libéralisme-là qui a vaincu le nazisme et le communisme.

C’était le libéralisme de nos pères, celui dont les hérauts diraient quelque chose de ce genre :

Si toute l’humanité, à l’exception d’une seule personne, partageait une seule et même opinion, elle n’aurait pas plus le droit de réduire au silence cette unique personne que cette dernière, si elle exerçait le pouvoir, n’aurait le droit de réduire l’humanité au silence. (John Stuart Mill – 1859)

Ou bien ceci :

S’il y a une étoile immuable dans notre constellation constitutionnelle, c’est qu’aucun officiel, grand ou petit, ne peut prescrire ce qui sera orthodoxe en matière de politique, de nationalisme, de religion ou autre sujet d’opinion, ni ne peut obliger les citoyens à confesser en paroles et en actes leur foi à cet égard. S’il se trouve d’aventure des circonstances autorisant une exception, elles ne se sont jamais manifestées à nous. (juge Robert Jackson – 1943)

Ou même encore :

Ce que je dis c’est ceci : les laïcistes ont tort quand ils demandent aux croyants de laisser leur religion à la porte avant de pénétrer dans la sphère publique. Frederick Douglas, Abraham Lincoln, William Jennings Bryant, Dorothy Day, Martin Luther King – de fait la majorité des grands réformateurs dans l’histoire américaine – n’étaient pas seulement motivés par la foi, ils usaient en permanence d’un langage religieux pour plaider leur cause. Alors dire que les hommes et les femmes ne devraient pas faire entrer leur « moralité personnelle » dans les débats politiques publics est une absurdité. Notre loi est par définition un code de moralité, dont une grande partie est basée sur la tradition judéo-chrétienne. (sénateur Barack Obama – 2006)

Mettre en œuvre ce libéralisme, c’était faire preuve d’une véritable tolérance, non de la fausse tolérance qui est de fait la vieille intolérance moralisatrice avec une meilleure équipe de publicistes, des inclinations anti-religieuses et énormément plus de pouvoir politique et bureaucratique. (Est-ce une coïncidence si la Majorité Morale et les Mass Media ont la même abréviation, MM ? Je ne le pense pas.)

Dans l’ancien temps – avant que les media sociaux n’aient institutionnalisé et tacitement approuvé « la pression du milieu social », autrefois condamnée avec juste raison – vos parents ou vos enseignants (ou les deux) vous auraient donné des points de repère pour gérer vos réflexes et gouverner vos pensées dans une société libre et ouverte. (Je sais que tout le monde n’avait pas des parents au libéralisme bon teint tels que les miens. Mais je n’y peux rien.) Cela arrivait généralement après que vous vous soyez plaints ou ayez gémi pour avoir entendu, vu ou lu quelque chose qui mettait en cause vos croyances les plus enracinées ou vous forçait à penser d’une façon qui vous mettait mal à l’aise.

Ils vous auraient dit quelque chose de ce genre « Mon petit Francis (supposons que tel est votre prénom), une des choses importantes quand on vit dans une société libre et ouverte est qu’il n’y a pas d’autre choix que celui de comprendre ceux avec qui vous n’êtes pas d’accord et d’apprendre d’eux. C’est important pour au moins quatre raisons. Premièrement, le type en face de vous peut détenir la vérité, et en débattant avec lui, vous avez une possibilité de l’acquérir. Deuxièmement, le type en face de vous peut ne pas détenir la vérité, mais en affrontant son défi, vous aurez appris à mieux considérer et comprendre vos propres croyances et ce qui les justifie. Troisièmement, il se peut que vous déteniez la vérité, et donc, quand l’autre type débat avec vous, il a la possibilité de devenir plus solide intellectuellement tandis que vous-même devenez un véritable ami car vous l’avez aidé à trouver la vérité. Quatrièmement, il se peut qu’aucun de vous n’ait la vérité pleine et entière, mais en dialoguant, chacun de vous est mené à ajuster ses croyances, si bien que non seulement vous vous approchez davantage de la vérité, mais que chacun se rapproche de l’autre. »

Ce libéralisme bon teint est remplacé à toute allure par un libéralisme pusillanime dont les militants rejettent les principes centraux du libéralisme bon teint – la poursuite de la vérité et la prétention à la liberté – et cherchent à les remplacer par la souveraineté de l’identité et la suprême béatitude de l’affirmation (intitulée par euphémisme « dignité »).

Ceci explique pourquoi le libéralisme pusillanime devient apoplectique quand il est confronté aux déclarations de la foi. Car les croyants, comme on pouvait s’y attendre, affirment la souveraineté de Dieu et la béatitude de l’union avec Lui, deux affirmations qui supposent que le bien suprême et la vérité suprême se trouvent dans la transcendance et non dans la recherche de l’affirmation de soi. A cet égard, le libéralisme bon teint pouvait satisfaire la foi religieuse par des voies que le libéral pusillanime juge inconcevables. Le libéral bon teint et le croyant religieux affirment touts deux que la recherche de la vérité et la prétention à la liberté sont deux biens humains importants. Evidemment, il y a toujours eu quelques tensions entre certains libéraux convaincus et certains croyants, notamment sur la signification de la liberté, et sur la question de la possibilité de connaître les vérités transcendantes ou même les vérités de révélations exceptionnelles. Pour ceux de ces libéraux purs et durs qui étaient également des croyants, les tensions étaient moins prononcées.

Néanmoins, le libéral bon teint type – versé comme il l’était dans l’histoire des idées – savait qu’il y avait bien trop de gens épatants qui croyaient ces choses, pour des raisons fort sophistiquées. Par exemple : Saint Augustin, Saint Thomas d’Aquin, Maïmonide, Avicenne, Leibniz, Reid, Burke, Léon XIII, Reinhold Niebuhr, Jean-Paul II, Edith Stein, Alvin Plantinga etc.

Reconnaissant qu’il pouvait y avoir une souveraineté au-dessus de l’état, le libéralisme bon teint faisait de son mieux pour réduire les occasions où les intérêts de l’état interféraient avec les finalités de cette souveraineté supérieure. Pour cette raison, il a institué la Virginia’s Bill for Establishing Religious Liberty, le Premier Amendement (NDT : deux lois protégeant la liberté religieuse), les lois sur l’objection de conscience et les accomodements religieux.

Pour le libéral bon teint, les Témoins de Jéhovah ne devraient pas être forcés à saluer le drapeau, monsieur Johnson devrait être autorisé à le brûler, les Quakers ne devraient pas être appelés sous les drapeaux et les Amish devraient être exemptés des lois sur l’éducation obligatoire. Mais pour le libéral pusillanime, les boulangers, photographes et fleuristes chrétiens doivent employer leurs talents à coopérer à la célébration d’un événement liturgique qu’ils croient être une falsification de l’authentique, ou alors subir des amendes accablantes détruisant leurs moyens d’existence.

J’ai manqué le libéralisme bon teint.


Francis J. Beckwith est professeur de philosophie et d’étude des relations entre l’Etat et l’Eglise à l’ université de Baylor.

Illustration : Edmund Burke (homme politique et philosophe irlandais) par Joshua Reynolds, 1774 (National Gallery à Edimbourg – Ecosse)

source : https://www.thecatholicthing.org/2016/09/01/rock-ribbed-vs-faint-hearted-liberalism/