Lettre écrite dans la prison de Birmingham - France Catholique
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La justice de Dieu
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Lettre écrite dans la prison de Birmingham

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16 avril 1963

Mes chers confères,

Enfermé ici dans la prison de la ville de Birmingham, je suis tombé sur votre récente déclaration qualifiant mes acitivités actuelles d’«imprudentes et inopportunes.» Je m’arrête rarement pour répondre à des critiqiues de mon travail et de mes idées. Si je cherchais à répondre à toutes les critiques qui passent par mon bureau, il resterait peu de temps à mes secrétaires pendant la journée pour autre chose que cette correspondance, et je n’aurais pas le temps de travailler d’une façon constructive. Mais comme je sens que vous êtes des hommes de bonne volonté authentique et que vos critiques sont sincèrement exposées, je veux essayer de répondre à votre déclaration en termes qui soient, jel’espère, patients et raisonnables.

Je suis à Birmingham parce que l’injustice y règne. Tout comme les prophètes du VIIIe siècle avant Jésus Christ ont quitté leurs villages et ont emporté leur « ainsi dit le Seigneur » bien au-delà des frontières de leurs villes natales, et tout comme l’apôtre Paul a quitté son village de Tarse et apporté l’évangile de Jésus Christ aux coins les plus reculés du monde gréco-romain, je suis aussi obligé de porter l’évangile de la liberté au-delà de ma propre ville. Comme Paul, il me faut constamment répondre à l’appel à l’aide macédonien.

En outre, je suis conscient de l’interdépendance de toutes les communautés et de tous les États. Je ne peux pas rester oisif à Atlanta et ne pas me préoccuper de ce qui se passe à Birmingham. Où que soit l’injustice c’est une menace pour la justice partout. Nous sommes pris dans un réseau inéluctable de mutualité, attachés dans le seul vêtement du destin. Tout ce qui affecte directement quelqu’un affecte tout le monde indirectement. Nous ne pouvons plus jamais nous permettre de vivre avec l’idée étroite, provinciale d’un « agitateur extérieur ». Quiconque vit à l’intérieur des Etats-Unis ne pourra jamais être considéré comme un étranger où qu’il soit dans ses limites.

Vous déplorez les manifestations qui ont lieu à Birmingham. Mais votre déclaration, j’ai le regret de vous le dire, n’exprime pas une inquiétude semblable pour les conditions qui ont causé ces manifestations. Je suis sûr qu’aucun de vous ne voudrait se contenter d’une analyse sociale superficielle qui ne traite que des effets et ne s’attaque pas aux causes sous-jacentes. Il est malheureux que des manifestations se déroulent à Birmingham, mais il est encore plus malheureux que les structures de la puissance blanche de la ville ne laissent à la communauté noire aucune alternative.

Dans toute campagne non–violente, il y a quatre étapes fondamentales : la collecte des faits pour déterminer s’il existe des injustices; la négotiation; l’auto-purification; et l’action directe. Nous avons parcouru toutes ces étapes à Birmingham. On ne peut nier le fait que l’injustice raciale engloutit cette communauté. Birmingham est probablement la ville des Etats-Unis qui souffre le plus de la ségrégation. Sa lamentable histoire de brutalité est largement connue. Les noirs ont été traités d’une façon extrêmement injuste devant les tribunaux. Il y a eu plus d’attentats non-résolus contre les maisons et les églises noires à Birmingham que dans n’importe quelle autre ville de ce pays. Voici les faits durs et brutaux de l’affaire. Sur la base de ces conditions, les dirigeants noirs ont cherché à négocier avec les pères de la ville. Mais ceux-ci ont refusé systématiquement de négocier de bonne foi…

Nous avons appris à travers une expérience douloureuse que la liberté n’est jamais octroyée volontairement par l’oppresseur ; l’opprimé doit l’exiger. Franchement, je ne me suis pas encore engagé dans une campagne d’action directe qui soit « opportune » aux yeux de ceux qui n’ont pas souffert indûment de la maladie de la ségrégation. Depuis des années maintenant j’entends le mot « Attends ! » Il résonne aux oreilles de tous les noirs avec une familiarité perçante. Cet « Attends ! » veut presque toujours dire « Jamais. » Il faut que nous arrivions à voir, avec l’un de nos juristes distingués, que « la justice trop longtemps reportée est une justice refusée. »

…Nous avons la responsabilité non seulement légale mais aussi morale d’obéir aux lois justes. Inversement, nous avons la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes. Je suis d’accord avec St Augustin pour dire qu’ « une loi injuste n’est pas une loi du tout. »

Or, quelle est la différence entre les deux ? Comment déterminer si une loi est juste ou injuste ? Une loi juste est un code fabriqué par l’homme qui s’accorde avec la loi morale ou la loi de Dieu. Une loi injuste est un code en désaccord avec la loi morale. Pour parler dans les termes de St Thomas d’Aquin : Une loi injuste est une loi humaine qui n’est pas enracinée dans la loi éternelle ni dans la loi naturelle. Toute loi qui élève la personnalité humaine est juste. Toute loi qui dégrade la personnalité humaine est injuste. Tous les statuts de la ségrégation sont injustes parce que la ségrégation déforme l’âme et endommage la personnalité…

Naturellement, il n’y a rien de nouveau dans ce genre de désobéissance civile. Il a été mis en évidence sublimement dans le refus de Shadrach, Meshach et Abednego d’obéir aux lois de Nabuchodonosor, au motif qu’une loi morale supérieure était en jeu. Il a été pratiqué superbement par les premiers chrétiens qui étaient prêts à affronter des lions affamés et la douleur atroce causée par les outils des bouchers plutôt que de se soumettre à certaines lois injustes de l’Empire romain. Jusqu’à un certain point, la liberté académique est une réalité aujourd’hui parce que Socrate a pratiqué la désobéissance civile. Dans notre propre pays, la Boston Tea Party 1a représenté un acte massif de désobéissance civile…

J’ai essayé de dire que ce mécontentement normal et sain pouvait être dirigé vers un débouché créatif d’action directe non-violente. Et maintenant, cette approche est qualifiée d’extrêmiste. Mais bien quej’aie d’abord été déçu d’être mis dans la catégorie des extrêmistes, j’ai continué à réfléchir à la question et petit à petit j’ai tiré une certaine satisfaction du label. Jésus n’était-il pas un extrêmiste de l’amour : « Aimez vos ennemis, bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent, et priez pour ceux qui se servent de vous avec malice et vous persécutent. » Amos n’était-il pas un extrêmiste de la justice : Que la justice descende comme les eaux et la vertu comme un fleuve qui coule toujours. » Paul n’était-il pas un extrêmiste de l’évangile chrétien : «  Dans mon corps, je porte les marques du Seigneur Jésus. »

… Je dois honnêtement répéter que j’ai été déçu par l’’Eglise. Je ne dis pas cela comme l’un de ces critiques négatifs qui peuvent toujours trouver quelque chose de mal avec l’église. Je le dis en tant que ministre de l’évangile qui aime l’église ; qui a été nourri dans son sein ; qui a été soutenu par ses bénédictions spirituelles et qui lui sera loyal aussi longtemps que le cordon de la vie s’allongera…

Profondément désappointé, j’ai pleuré sur le laxisme de l’Eglise. Mais soyez assurés que mes larmes étaient des larmes d’amour. Il ne peut pas y avoir de profonde déception là où il n’y a pas d’amour profond. Oui, j’aime l’Eglise. Comment pourrait-il en être autrement ? Je suis dans la position plutôt exceptionnelle d’être le fils, le petit-fils et l’arrière petit-fils de prédicateurs. Oui, je considère l’Eglise comme le Corps du Christ. Mais, oh ! Comme nous avons terni et meurtri ce corps par négligence sociale et par peur d’être nonconformistes.

Si, dans cette lettre, j’ai dit quoi que ce soit qui exagère la vérité et indique une impatience déraisonnable, je vous prie de me pardonner. Si j’ai dit quoi que ce soit qui minimise la vérité et indique une patience qui me permet de me contenter de moins que la fraternité, je prie Dieu de me pardonner.
J’espère que cette lettre vous trouvera forts dans la foi. J’espère aussi que les circonstances me permettront bientôt de rencontrer chacun d’entre vous, non en tant que champion de l’intégration ou leader pour les droits civils, mais en tant que collègue et frère dans le Christ. Espérons tous que les sombres nuages des préjugés raciaux se dissiperont et que l’épais brouillard de l’incompréhension sera levé au-dessus de nos communautés tremblantes de peur et que dans un lendemain peu éloigné les radieuses étoiles de l’amour et de la fraternité brilleront sur notre grande nation avec toute leur scintillante beauté.

Martin Luther King Jr.

Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/01/16/letter-from-birmingham-jail-2/

Le Docteur Martin Luther King Jr. (1929-1968) était un pasteur baptiste, président de la Southern Christian Leadership Conference. Pour ses efforts non-violents en faveur des droits civils, il reçut le Prix Nobel de la Paix en 1964. En mars 1963, il conduisit une Marche sur Washington, où son discours « J’ai un rêve » a marqué un tournant dans l’histoire de l’Amérique.
(NT) Il a été assassiné le 4 avril 1968.