« Les trois clichés sur l’Ukraine des anciens soviétologues français. Réponse à Hélène Carrère d’Encausse » - France Catholique
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« Les trois clichés sur l’Ukraine des anciens soviétologues français. Réponse à Hélène Carrère d’Encausse »

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Depuis plusieurs jours ma conscience ne peut pas trouver sa tranquillité habituelle. Non en raison d’un forfait de ma part mais à cause de mon absence de réaction. Après avoir assisté au débat dans le cadre de la Soirée d’Ethique publique de la Faculté jésuite de Paris, avec la participation de Mme Helene Carrère d’Encausse et de M. Bertrand Dufourcq, animée par François Boedec. J’ai été proprement sidéré par les clichés nostalgiques répétés au cours de la soirée par les deux principaux intervenants.

C’est qui me frappe tout d’abord, c’est que les conférenciers invités, pour éclairer la crise ukrainienne, sont des spécialistes du monde russe ou bien soviétique, et de plus, ils partagent les mêmes opinions. La rencontre des personnes de mêmes convictions dès le départ, élimine le débat et est contradictoire à l’échange intellectuel propre au milieu académique. Paris est suffisamment riche pourtant en spécialistes du monde ukrainien, qui sont disponibles et ouverts pour un vrai échange d’arguments.

Le cliché géo-politique

Le débat a commencé par la justification des mots du président russe Vladimir Poutine parlant de la chute de l’URSS comme la plus grande catastrophe du XXième siècle. Selon l’avis de Mme Carrère d’Encausse, la fin d’un empire est toujours une catastrophe géopolitique. Telle était l’intention du président russe, parlant de la chute de l’URSS. De telles simplifications ne peuvent jamais être acceptées. Il faut toujours se souvenir, que l’URSS était un empire, désigné par l’adjectif de totalitaire. Totalitaire, entre autre, veut dire qu’il fut responsable de dizaines de millions des morts, que personne n’est susceptible de compter, ainsi que de dizaines de millions de consciences brisées. Il est juste ici, en tant qu’exemple, d’évoquer la question du génocide ukrainien, le Holodomor de l’année 1932-1933, visant à l’extermination du peuple ukrainien. Les paysans ukrainiens opposés à la collectivistation du régime stalinien ont dû payer un prix énorme. L’empire soviétique, pour faire céder les paysans ukrainiens, a provoqué une famine artificielle causant 5 millions de morts ukrainiens. Raphael Lemkim, l’auteur de la définition du génocide, adoptée par les Nations Unis en 1948, entend par ce terme un plan coordonné de multiplication des actes visant à détruire les fondements essentiels de la vie des groupes nationaux.

Probablement aujourd’hui le temps pour la reconnaissance du Holodomor comme un génocide, de la part de ces pays qui s’abstiennent encore de le faire (comme la France mais pas comme le Vatican), est arrivé.

La chute d’un empire s’attaquant à la dignité humaine n’est pas une catastrophe géopolitique mais traduit au contraire la justice et la normalisation géopolitique! Le mot catastrophe a une connotation strictement négative et il est franchement malhonnête de décrire, ainsi que de justifier, par un tel mot la chute d’un empire, qui finalement a rendu la liberté aux peuples.

Le cliché historique

La deuxième question traitée de façon superficielle fut la question de la Crimée.

Quel n’a pas été mon étonnement d’entendre, que l’attribution de la presqu’île de Crimée, fut un acte politique, pris à la légère par Khrouchtchev. Brièvement, l’attachement de la Crimée à la RSS d’Ukraine ne fut pas l’invention de Khrouchtchev, mais la décision prise par le présidium suprême de l’URSS, qui l’argumenta par le motif suivant « des relations étroites sur le plan économique et culturel entre le département de Crimée et la république de l’Ukraine. »

Pour abattre les clichés sur l’appartenance russe de la presqu’île de Crimée, j’aimerais ajouter quelques évidences historiques. Les fouilles archéologiques prouvent que la Crimée fut habité déjà avant Jésus Christ par les tribus des Taures, éliminées par les Scythes, avant l’arrivée des Grecs. Ce sont eux qui fondèrent trois villes de Crimée: Kertch, Feodossia et Chersonèse Taurique, qui depuis 2013 font partie du patrimoine mondial de UNESCO.

La presqu’île fut marquée aussi par la présence des Romains, et après la chute de l’Empire romain se trouva sur l’influence de l’Empire byzantin. A cette époque, la Crimée devint la source spirituelle de la Rous’ de Kyiv, car c’est à Chersonnèse, que le prince Volodymyr le Grand reçût le baptême de Byzance.

Une fois et pour toujours ce lieu devint la source spirituelle de l’Ukraine.

A partir de l’année 1239 la Crimée se trouva sous la domination de la Horde d’or. Le peuple Tatar est considéré aujourd’hui comme originaire de la presqu’île. Les Tatars ont habité ce lieu pendant des siècles jusqu’à la tragique déportation par Staline de 1944, sous un prétexte faux et cynique de leur collaboration avec les nazis. Au XVIe siècle le Khanat de Crimée s’engagea dans la guerre avec la Grande Principauté de Moscou, au XVIIe siècle la Turquie rejoignit la guerre. Suite aux conflits intérieurs dans le Khanat, l’impératrice Catherine la Grande en 1783 intervint militairement en proposant son « aide fraternelle » pour protéger les Russes, dont la présence était alors très faible. De ce fait, la Crimée perdit son autonomie et la Russie s’empara de la presqu’île après la guerre de Crimée dans les années 1860. La « préoccupation » au sujet des conditions des habitants russes servait à la Russie pour élargir son territoire et pour avoir l’accès à la mer.

La communauté internationale a pu observer un processus équivalent au mois de mars 2014, quand sous la présence de troupes russes, le Kremlin à organisé un pseudo référendum afin d’annexer illégalement et violemment un territoire appartenant à l’Etat ukrainien.

Ces quelques faits historiques détruisent les clichés fréquemment répétés par certains: la Crimée n’avait pas été « donnée » à la légère à l’Ukraine par Khrouchtchev en état d’ivresse ; malgré la présence en son sein de russophones, la Crimée n’est pas un territoire originairement russe, la présence actuelle des russophones est aussi le résultat de la déportation des Tatars et le déplacement d’un nombre important de Russes dans la presqu’île. Avant la déportation des Tatars, la présence des Russes sur presqu’île était minoritaire.

Le cliché diplomatique

Ma troisième préoccupation concerne l’avis de Mme Carrère d’Encausse sur l’accord du 22 février 2014, négocié toute la nuit par le trio diplomatique Sikorski, Steinmeier, Fabius et le représentant russe V. Loukine. Selon elle, cet accord, fut « déchiré » par la foule demandant le départ du président Yanoukovytch. On peut être d’accord que cet accord a été déchiré, mais celui qui l’a déchiré, c’est son signataire lui-même, à savoir le président Yanoukovytch, en fuyant son pays. L’accord prévoyait l’adoption d’une loi restaurant la constitution de 2004 dans les 48 heures, et également, les signataires déclaraient leur volonté de créer un gouvernement d’unité nationale dans les 10 jours.

Cependant, selon l’accord, les élections présidentielles anticipées devaient se tenir avant le 14 décembre. Le jour même 386 députés votèrent pour le retour à la constitution de 2004, mais le président Yanoukovytch au lieu de signer la loi adoptée par la Rada quitta l’Ukraine pour la Russie. Suite à cette fuite honteuse de Yanoukovytch, les parlementaires ont pris leurs responsabilités pour diriger un pays miné par la crise économique et politique créée par le gouvernement d’Azarov. Un gouvernement d’unité nationale a été créé afin de sauver le pays et de préparer les élections présidentielles. De plus, les collaborateurs de Yanoukovytch, comme le procureur général Pchonka, ont été destitués d’une manière hyper démocratique, c’est-à-dire par les voix des députés. Aujourd’hui on peut constater que les conditions de l’accord ont été remplies: le retour de la constitution de 2004 (21 février); la création d’un gouvernement d’unité nationale (27 février) et les élections présidentielles anticipées (25 mai). Un seul accord a été déchiré, pendant la crise ukrainienne, c’est précisément le mémorandum de Budapest qui garantissait (notamment de la part de la Russie) l’intégrité territoriale de l’Ukraine en contrepartie de sa dénucléarisation.

Conclusion

Le résultat de la soirée fut le suivant : « Il ne faut surtout pas que l’Ukraine entre dans l’Union Européenne ».

Je considère à l’inverse que l’Union Européenne ne s’accomplira jamais sans l’Ukraine, mais aussi sans la Biélorussie et pourquoi pas sans la Russie. S’opposer à l’accès à l’UE de nouveaux membres provenant du continent européen, c’est s’opposer à l’UE même. On ne vit pas aujourd’hui la crise de l’UE, on traverse une période difficile caractéristique du processus de maturation de tout organisme. Les événements en Ukraine ont accéléré la révélation de problèmes organiques à l’UE, mais ils peuvent être aussi une source de renforcement européen.

Le destin de l’UE reste dans les mains des dirigeants européens. Le gouvernement ukrainien pendant plusieurs semaines lors de l’agression russe et en pleine crise économique a démontré qu’il était au niveau européen, beaucoup plus que certains pays dont les résultats aux élections européennes donnent à réfléchir. Il est important que dans ce processus de revitalisation de l’UE la volonté d’un pays qui a sacrifié des centaines de vies au nom de l’idée européenne soit respecté ! Il nous faudra éviter à tout prix que l’UE devienne une villa de luxe, où l’accès pour certains est éternellement empêché suite à certains accords silencieux.

Vingt-cinq ans après la chute du rideau de fer, nous souvenant de ce qui s’est passé hier, nous, nous les acteurs de l’histoire contemporaine, nous sommes appelés à empêcher que l’histoire dramatique des idéologies du XXe siècle se reproduise. L’Ukraine est un Etat-nation européen qui doit trouver son accomplissement au sein de la grande famille des membres de l’Union européenne.

Michal Pliszka