Les syriaques catholiques sont arrivés en France dans les années vingt à l’issue du génocide perpétré par les Turcs. Leur présence conduit en 1925 à la création à Paris de la paroisse syriaque catholique, dotée de l’église Saint-Éphrem, du nom du diacre de Nisibe déclaré Docteur de l’Église en 1920. Cette paroisse va être desservie irrégulièrement, et restera souvent sans prêtre. Il faut dire que les ecclésiastiques syriaques qui venaient alors à Paris étaient plutôt des ambassadeurs de leur patriarche auprès du gouvernement français que des recteurs de paroisse. Ces premiers syriaques français ont été rejoints par une nouvelle vague d’émigrés dans les années 80 au moment de la guerre du Liban. Une troisième vague de syriaques arrive à présent d’Irak. La communauté syriaque de France compte environ 500 personnes, dispersées dans tout l’Hexagone. Et la majorité d’entre elles n’a pu garder aucun lien avec le Moyen-Orient.
Depuis 2008, le recteur de la paroisse est le P. Élie Waard. Originaire du Liban, il a fait ses études à l’université maronite du Saint-Esprit, puis à Rome à l’Institut pontifical oriental. Il prépare actuellement un doctorat à l’Institut catholique de Paris sur la question ecclésiologique dans l’Église syriaque. Plus encore que la sécularisation, la dispersion représente pour le P. Waard un défi, même pour la principale communauté en région parisienne, qui compte 200 personnes. L’éloignement ne permet pas aux paroissiens d’assister à la messe tous les dimanches à Saint-Éphrem. Du coup, ils s’engagent plutôt dans les paroisses latines. Néanmoins, un embryon de catéchisme a été mis en place avec une dizaine d’enfants, qui comprend l’apprentissage de l’arabe.
La France est une vraie terre de mission pour l’Église syriaque : outre Paris, il y a des communautés à Marseille, Lourdes et Lyon… à Tours, il existe une communauté soudée d’une vingtaine de familles que le P. Waard visite chaque mois, en lien avec l’évêque, Mgr Aubertin. Une messe mensuelle est proposée dans la chapelle des sœurs dominicaines de la Grande-Bretèche. Le P. Waard emmène volontiers ce petit troupeau en pèlerinage, à Lourdes ou à Lisieux, en lien avec les maronites ou les arméniens catholiques.
L’Église syriaque bénéficie d’un patrimoine liturgique original : héritière directe des apôtres, elle a en effet conservé les rites de l’Église primitive, à commencer par l’araméen, encore utilisé pour les paroles de la consécration. La liturgie syriaque est « marinée dans la culture du Christ » selon l’expression du P. Waard. Il n’existe pas moins de 82 anaphores dans la tradition syriaque ! Les plus utilisées sont celles de saint Eustache, celle des 12 apôtres, et celle de saint Jacques, l’évêque de Jérusalem, dit le « frère du Christ ». Cette dernière est la plus authentique, la plus ancienne de tout le christianisme ; elle est utilisée lors des grandes fêtes et pour les ordinations.
Le rite a gardé aussi diverses particularités héritées du judaïsme, comme ces « flabelles » à grelots que l’on agite lors de la messe pour symboliser les anges qui entourent Dieu. Pâques et Noël sont célébrés aux dates du calendrier grégorien, en communion avec l’Église latine. La pratique des différents carêmes des Églises orientales est variable selon les éparchies. Ainsi le carême de Ninive, qui fait mémoire de Jonas, est pratiqué en Syrie, mais pas au Liban. De même, le carême de Noël est souvent remplacé par une neuvaine. Enfin le Credo est celui de l’Église latine : il est dit en arabe au Liban, en Français à Paris.
L’Église syriaque reste marquée par la figure extraordinaire de sainte Thècle évoquée par les Actes des Apôtres (11, 19-26), mais aussi par divers textes apocryphes, comme les Actes de Paul. Elle a vu naître les premiers ermites, comme saint Maroun, qui donnera son nom aux maronites (cf. FC n° 3442), ou saint Siméon le Stylite. Cette Église sera la matrice de nombreux courants chrétiens en Orient ; les maronites et les melkites, sans compter les diverses Églises séparées comme les jacobites.
Les syriaques vont rejeter les positions ambiguës du concile de Chalcédoine (451), qui défend que le Christ a deux natures, homme et dieu. Se réclamant du concile d’Éphèse (431) et de saint Cyrille d’Alexandrie, qui avait rejeté la thèse de Nestor séparant les natures humaine et divine du Christ, l’Église syriaque se détache alors de Rome et devient « monophysite » en postulant une seule nature humano-divine pour le Christ.
Par la suite, diverses tentatives de rapprochement avec le catholicisme sont esquissées. Mais, pendant des siècles, la conception hiérarchique de l’autorité dans l’Église romaine empêche toute réconciliation avec les syriaques (et avec la plupart des autres Églises orientales). Ceux-ci sont pourtant représentés au concile de Florence-Ferrare (1439) qui visait à réunir l’Église romaine et les Églises de rite oriental, mais qui restera sans suite. Parallèlement, Rome envoie des missionnaires pour latiniser les chrétiens orientaux, engendrant de nombreuses crispations.
Le premier rapprochement sérieux des syriaques avec Rome s’opère en 1662, lorsque Mgr Akhijan est reconnu patriarche catholique d’Antioche. Mais les manœuvres politiques des Occidentaux mettent à mal cette avancée : la France soutient les catholiques des territoires ottomans, renforçant en réalité leur discrimination, car ils deviennent suspects de collusion avec des étrangers. D’autre part, les syriaques orthodoxes résistent aux « conversions », si bien que les syriaques catholiques sont aussi persécutés par leurs anciens coreligionnaires. Pendant cette période trouble, il est impossible de réunir un synode des syriaques catholiques permettant l’élection d’un patriarche suivant les règles. Les papes nomment alors directement des « patriarches » en leur conférant le pallium comme s’ils étaient des archevêques latins, générant des incompréhensions et des rejets dans la communauté syriaque catholique attachée à son antique tradition.
Ce n’est qu’en 1783 qu’a lieu une véritable élection synodale, qui permet la nomination valide d’un patriarche syriaque catholique, le métropolite Jarweh. Il faudra toutefois attendre 1894 avec la lettre de Léon XIII Orientalium dignitas pour mettre un terme à l’entreprise de latinisation des Églises orientales par les missionnaires occidentaux. Pour le P. Elie Waard, cette période difficile révèle en contrepoint la nature profonde du catholicisme : être en communion avec le pape, sans avoir nécessairement de subordination hiérarchique.
Aujourd’hui, les différents courants de l’Église syriaque ont tendance à se rapprocher devant les menaces qui pèsent au Moyen-Orient. Le P. Waard note qu’outre leur liturgie commune, les syriaques catholiques et orthodoxes partagent la même théologie. Une étape a été franchie en 1971 avec la déclaration commune de Paul VI et du patriarche de l’Église syriaque orthodoxe, Mar Ignatius Jacoub III. Seules la forme, la tradition, la coutume, l’histoire ont engendré des différences qui restent superficielles. Le travail de réconciliation, et l’espérance d’une réunion, forment certainement le grand défi des syriaques pour les prochaines années.
Concernant la situation en France, le P. Waard observe avec circonspection la position française à l’égard des religions : « La laïcité est boiteuse en France, dit-il. L’État n’a pas de religion privilégiée, c’est une bonne chose. Mais être laïc, c’est être ouvert et apprendre la culture de l’autre, apprendre sa religion, sa philosophie. La connaissance des religions et de la différence permet de vivre en paix. L’ignorance des hommes politiques français est inquiétante, surtout à l’égard des différents courants islamiques. »
Le P. Waard partage aussi son inquiétude sur la montée de l’islamisme et des violences djihadistes en France. « Ce qui peut sauver la France, conclut-il, c’est le retour à la laïcité en son vrai sens, dans la perspective d’une civilisation ouverte aux autres et combattant l’ignorance. »