LES SEPT CATASTROPHES MATHÉMATIQUES - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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LES SEPT CATASTROPHES MATHÉMATIQUES

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Une catastrophe n’est pas forcément ce qu’on croit. Il y a la question du point de vue. Jacques Bergier (a) illustre cette question du point de vue par l’histoire du saint homme et du lion. Un saint homme rencontre un lion dans le désert. Il s’agenouille et dit : « Seigneur, faites un miracle, inspirez à ce fauve des sentiments chrétiens ! » Et le miracle se produit. Le lion se prosterne, joint les pattes et dit : « Seigneur, bénissez ce repas ! »

Ce sont les mathématiciens qui ont le point de vue le plus général sur l’idée de catastrophe. L’un d’eux, le professeur René Thom, a fait la théorie de cette idée1. Sa définition de la catastrophe est abstraite et pourtant simple.

Il suffit, pour en comprendre le principe, de savoir ce qu’est une fonction, et cela nous le savons tous, même sans le savoir, puisqu’il nous arrive plusieurs fois par jour de dire que ceci est fonction de cela, que l’adhérence du pneu est fonction de son usure, que l’ennui dégagé par un écrivain est fonction de son style, que notre train de vie est fonction de notre salaire : on dit qu’une chose est fonction d’une autre quand la variation de la première fait varier la seconde ; et l’on n’ajoute rien en appelant la première chose « x », la deuxième « y » et en écrivant « x = f (y) » : on ne fait qu’employer le langage convenu par les mathématiciens et enseigné, si cela n’a pas changé, au moins dès la classe de troisième. Ne nous effrayons pas de cet « x » et de cet « y » : quand « x » varie, « y » varie, voilà la « fonction ».

Et maintenant, voyons ce que dit le professeur Thom (b). Il dit que, parfois, quand « x » varie de façon progressive, il se peut que « y », lui, fasse un saut, et que c’est cela une « catastrophe ». Exemple : je gonfle ma chambre à air, la quantité d’air pompée augmente de façon progressive ; le diamètre de la chambre aussi, le diamètre est donc fonction de la quantité d’air ; mais tout d’un coup un point de moindre résistance se manifeste dans la chambre, une hernie se forme : la quantité d’air pompée continue d’augmenter progressivement, tandis que le diamètre, à l’endroit de la hernie, se multiplie soudain par 4 ou 5. C’est la catastrophe.

Bien entendu, la théorie du professeur Thom n’est pas aussi simpliste. Il considère que tout ce qui survient dans ce monde se presse dans nos trois dimensions de l’espace et une de temps et que les catastrophes se produisent quand certaines variations continues qui se font sur ces quatre variables se traduisent dans la fonction de ces variables par un saut, une discontinuité. L’étonnant est que partant de bases si générales, il démontre que toutes les catastrophes possibles de notre univers à quatre dimensions se réduisent à sept types seulement, dont il donne les équations ! A titre de curiosité, voici l’équation du premier type de catastrophe :

E = x3/3 + ux

On admirera sa menaçante simplicité.

Nous avons tous joué dans notre berceau avec la forme la plus simple de cette catastrophe du premier type, quand nous faisions rouler des billes sur notre couverture. La bille descend doucement et sans à-coup en suivant un creux, puis elle arrive à un pli formant cascade, et son mouvement progressif est coupé par un petit saut. L’équation ci-dessus exprime ce qui se passe alors, et le professeur Thom a d’ailleurs donné le nom de Pli au premier type de catastrophe.

Les six autres catastrophes s’appellent dans sa théorie : Fronce, queue d’Aronde, Papillon et Ombilic, ces derniers étant de trois sortes : Hyperbolique, Elliptique et Parabolique. On a bien en tout et pour tout sept catastrophes. Renaud de la Taille, mi-plaisant, mi-sérieux, fait à ce sujet une remarque qui relancera les férus d’arithmologie religieuse : comme il a fallu sept jours pour faire l’univers, dit-il, à raison d’une catastrophe par jour, il n’en faudrait que sept pour le défaire. Je noterai cependant sur le même ton que, dans la Genèse (ch. 2, verset 2), il est dit que, le septième jour, Dieu, ayant vu que cela était bon, se reposa.

Les catastrophes n° 5 et n° 7 du professeur Thom sont respectivement, on l’a vu, hyberbolique et parabolique, c’est-à-dire qu’elles s’ouvrent sur l’infini. On peut rêver là-dessus.

On peut rêver aussi sur les résultats du raisonnement proposé par le professeur Thom lorsqu’on considère des univers à plus de quatre dimensions (quatre dimensions, c’est le nôtre). Avec cinq dimensions, il y a onze catastrophes possibles. Mais si l’on passe à six dimensions, le nombre des catastrophes devient infini.

Je me demande à quels problèmes philosophiques nous serons affrontés si un jour les physiciens se trouvent obligés d’utiliser des espèces à six dimensions, supposition qui n’a rien d’exorbitant quand on voit ce qu’ils doivent imaginer pour essayer de décrire les phénomènes de hautes énergies !2

Le lecteur sera peut-être tenté d’accueillir avec un certain sourire le répertoire des sept catastrophes mathématiques. Il aurait tort. Les mathématiques précèdent toujours la physique. Dans les dix ou vingt années qui suivent la découverte de nouvelles voies mathématiques, et souvent bien plus tôt, des physiciens commencent à remarquer que certains problèmes devant lesquels ils piétinent se trouvent déjà résolus dans les arcanes de très ésotériques abstractions pures3.

La théorie mathématique des catastrophes fournit une expression rigoureuse à certaines intuitions que l’on a sur les événements soudains dans les domaines les plus disparates : le « coup de foudre » en amour, les crises en économie, la conversion politique, voire religieuse (je veux dire, bien entendu, son expression extérieure4), la rupture d’un barrage, les mouvements inattendus d’une foule, la transition quantique, la découverte (scientifique ou autre), la crise d’infarctus, l’éruption d’un volcan, tous ces phénomènes ont quelque chose de commun. Qu’un homme de génie l’ait mis en équation montre que tout peut sortir de l’esprit de l’homme.

Aimé MICHEL

(a) Le lecteur au courant de ce qui vient de paraître me dira : « Ce n’est pas Bergier, c’est Blumroch, le personnage du dernier livre de Louis Pauwels, Blumroch l’admirable (Gallimard, 1976, page 24)5. Mais Pauwels a imaginé son Blumroch d’après deux heures de la vie réelle et quotidienne de Bergier. Le livre se lit en deux heures qu’on trouve trop courtes, car il est plein d’humour, d’idées extraordinaires, irrespectueuses, prophétiques, comme est Bergier depuis un demi-siècle. L’histoire du saint homme est bien de Bergier. Le livre est quand même de Pauwels. C’est un cas.

(b) Science et Vie, février 1976, n° 71, p. 30. L’article de Renaud de la Taille sur la théorie du professeur Thom représente un effort de divulgation vraiment remarquable. Ce n’est pas tout de comprendre ce qui est difficile. Encore faut-il savoir le faire comprendre aux autres, et cet article est un succès.

Notes de Jean-Pierre ROSPARS

(*) Chronique n° 235 parue dans France Catholique-Ecclesia − N° 1522 − 13 février 1976

  1. René Thom (1923-2002), né à Montbéliard, montre dès le départ des qualités intellectuelles rares : « Je crois, dit-il à Jacques Nimier, que j’étais arrivé à une très bonne intuition à cette époque, et je voyais déjà dans l’espace à quatre dimensions à l’âge de dix, onze ans. » Il entre en classes préparatoires au lycée Saint-Louis à Paris et, à la seconde tentative, intègre l’École normale supérieure en 1943. Il suit son maître Henri Cartan à Strasbourg et y apprend la topologie. Il soutient sa thèse en topologie différentielle en 1951. Il part en post-doctorat aux États-Unis où il rencontre Albert Einstein, Hermann Weyl et Norman Steenrod. De retour en France il enseigne à Grenoble et Strasbourg. En 1958, il reçoit la médaille Fields (l’équivalent du prix Nobel pour les mathématiques) pour ses travaux en topologie différentielle. « D’une nature extrêmement modeste, il a toujours pensé qu’il n’avait pas mérité cet honneur. Il avait l’impression que les travaux qui ont prolongé le sien étaient plus approfondis et que d’autres méritaient au moins autant que lui, si ce n’est plus, la médaille ». n 1964, il devient membre de l’Institut des Hautes Études scientifiques à Bures-sur-Yvette. (http://www.les-mathematiques.net/histoire/histoire_thom.php).

    En 1972, il publie l’article fondateur de la théorie des catastrophes. C’est « une tentative de décrire et classer des situations dans lesquelles une série de changements infimes entraîne un déséquilibre et une brisure de la continuité du système étudié ». « De quoi s’agit-il ? Simplement du fait qu’un “objet”, quel qu’il soit, dans certaines conditions extrêmes (des contraintes fortes en brisent la stabilité), opte afin de survivre pour une modification de son aspect formel. En termes encore plus simples, un verre se brise (il prend un autre aspect), un tissu se plisse à la croisée du bras et de l’avant bras replié, un bouton se forme sur la peau, une lézarde se fait sur un mur, etc. Toutes ces formes sont visibles dans la nature mais une classification topologique permet d’en réduire la diversité à sept dynamismes qui les ont engendrées. Le mot “catastrophe” (terme non choisi par l’auteur mais par un disciple américain Zeeman) ne signifie pas destruction mais apparition de formes, changement, morphogénèse. » « Ces dynamismes ne sont pas toujours visibles mais les introduire à l’intérieur d’un phénomène (sorte de boite noire avec trop de paramètres) permet d’expliquer le phénomène en question beaucoup mieux qu’une méthode statistique. Une continuité entre deux états est ainsi assurée, expliquant le saut qu’effectue un système pour passer d’un état à un autre selon des phases, des points de bifurcation ou de rebroussement, des cols et des seuils. La Théorie des catastrophes devient une méthodologie applicable à tout domaine (vu que les catastrophes sont indépendantes du substrat) et offrent une géométrisation descriptive et objectivante. A l’instar des Idées platoniciennes, ces catastrophes ont donc le double rôle de structurer les transformations des objets et de maintenir une continuité essentielle à tout effort de compréhension (on ne peut prédire mais expliquer). » (http://www.utqueant.org/net/Thom.html)

    À partir de 1974, Thom fait paraître plusieurs livre, notamment Modèles mathématiques de la morphogenèse (10/18, U.G.E., Paris, 1974), Esquisse d’une Sémiophysique (InterEditions, 1991), Prédire n’est pas expliquer (Champs, Flammarion, 1993). Il meurt le 25 octobre 2002 à Bures-sur-Yvette.

  2. Effectivement, cette supposition n’a rien d’exorbitant. Ainsi, selon la théorie des cordes, l’unification des équations de la relativité générale et celles de la mécanique quantique est possible dans un univers à dix dimensions. À l’unique dimension de temps et aux trois dimensions d’espace (celles que nous connaissons, dites étendues) s’ajoutent six dimensions invisibles à notre échelle car enroulées sur elles-mêmes et de taille microscopique (bien plus petite qu’un atome). Des variantes utilisent même 11 (théorie M d’Edward Witten), voire 26 dimensions.
  3. La théorie des « catastrophes » commence par connaître un très grand succès. Le Tout Paris en parle avec ferveur. On l’applique en physique et en biologie. Les philosophes et les linguistes s’y intéressent aussi. Les artistes mêmes ne sont pas en reste (Salvador Dali peint un tableau en hommage à Thom en 1983). Puis peu à peu l’enthousiasme retombe. René Thom lui-même le reconnaît : « C’est un fait que la théorie des catastrophes est morte. Mais on peut dire qu’elle est morte de son propre succès. Elle s’est effondrée le jour où on a tenté d’étendre le cas analytique à des modèles qui n’étaient que différentiables. Quand il devint clair que la théorie ne permettait pas de prédictions quantitatives, les esprits brillants décidèrent… qu’elle n’avait pas de valeur. » (http://www.les-mathematiques.net/histoire/histoire_thom.php). Deux ingrédients manquaient à la théorie des catastrophes pour connaître un succès durable : l’aptitude à quantifier (c’est une théorie essentiellement qualitative) et l’aptitude à prédire. La théorie de Thom a été finalement dominée par la théorie du chaos dont les tenants « s’appuient sur les statistiques pour décrire un phénomène et optent pour l’idée de régulations partielles » alors que la théorie des catastrophes se veut « universelle, descriptive de la nature et indépendante du substrat ». (http://www.utqueant.org/net/Thom.html)
  4. Aimé Michel ne manque jamais une occasion de signaler la différence entre les deux mondes, le monde extérieur, objet de la science, et le monde intérieur de la conscience. Cette distinction est en lien direct avec les enseignements de la chronique de la semaine dernière : la vérité est de l’ordre de la conscience, pas de la science.

    « Quoique la science elle-même ne cesse de faire croître sous nos yeux l’immensité de ce que nous ignorons, son ascension jamais interrompue convainc même le non-scientifique (et, en fait, surtout lui) qu’il vaut mieux passer dès à présent par profits et pertes l’idée que quelque chose pourrait ne pas appartenir au monde de la science, donc au monde des phénomènes. » (Le Mysticisme, l’homme intérieur et l’ineffable, 1972, p. 18, cité en marge de la chronique n° 153, Un substitut de la contemplation – Electroencéphalographie et mysticisme, parue ici le 06.06.2011).

    Voir aussi la théorie des trois Mondes de Karl Popper, dans la chronique n° 86, Dans l’abîme du temps – Des êtres mortels ont su inscrire un message qui survivra à leur planète, à leur soleil, à leur ciel, parue ici le 12.09.2011.

  5. Blumroch l’admirable ou Le déjeuner du surhomme a paru en livre de poche (Folio, n° 1062).