Les relations entre Jean-Paul II et Oscar Romero : une mise au point - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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Les relations entre Jean-Paul II et Oscar Romero : une mise au point

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On vient d’annoncer que le pape François allait béatifier l’archevêque Oscar Romero. Ce n’est que justice, puisque Mgr Romero était un saint pasteur qui a été assassiné en 1980 pendant qu’il célébrait la messe, parce qu’il avait défendu les victimes de la répression au Salvador. Mais un grand nombre de médias (notamment d’importants hebdomadaires comme le National Catholic Reporter ou America) feront de la décision du pape François un instrument de plus pour dénigrer ses prédécesseurs. Les grands pontes ressortiront très certainement un ancien mythe, à savoir que saint Jean-Paul II, aveuglé par son anticommunisme polonais primaire, s’est mal comporté à l’égard de Mgr Romero. Je vais démythifier cette fable à titre préventif. Dans sa nécrologie publiée en 2005 à l’occasion du décès du pape Jean-Paul II, John L. Allen junior, un important porte-parole du catholicisme américain progressiste, écrit que le pape « alla jusqu’à rappeler à l’ordre des gens qui risquaient leur vie ou leur carrière pour apporter à l’Amérique latine les libertés que lui-même voulait pour la Pologne. La mesquinerie dont il fit preuve à l’égard de l’archevêque-martyr d’El Salvador Oscar Romero n’en est que l’exemple le plus connu. » Dans son History of the Popes, John W. O’Malley S.J. soutient que le pape Jean-Paul II était “mécontent” de Mgr Romero, et ne lui témoigna du respect qu’à titre posthume en engageant la procédure de la béatification de celui-ci. Par ailleurs, dans le téléfilm de la chaîne ABC Have no Fear : The Life of Pope John Paul II, le pontife, dont le rôle est joué par un acteur allemand, Thomas Kretschmann, réprimande Mgr Romero avec fanatisme et lui enjoint de se soumettre à Rome. Ce n’est qu’après l’assassinat de l’archevêque que le pape éprouve des remords et va prier sur sa tombe au Salvador. Ce ne sont là que quelques exemples d’un mythe qui a la vie dure, à savoir que le pape Jean-Paul II aurait maltraité Mgr Romero. Rétablissons la vérité. Dans le journal intime de ce dernier, on trouve des comptes rendus des deux audiences que Jean-Paul II lui accorda en 1979 et 1980. Pendant la première, Mgr Romero évoqua les difficultés de son ministère dans un pays déchiré par la violence politique. Le pape l’écouta attentivement et compara son expérience avec ce qu’il avait subi lui-même en Pologne, mais l’encouragea à la « prudence ». Mgr Romero écrit avoir eu le sentiment que le pape l’avait vraiment écouté, mais se dit préoccupé par les critiques que les collaborateurs de Jean-Paul II ont pu formuler à son sujet : « Bien que ma première impression n’ait pas été entièrement satisfaisante, je pense que cet entretien a été très utile, parce que le pape était d’une très grande franchise ». Mais avant la seconde audience, un collaborateur du pape, le cardinal argentin Eduardo Pironi, lui parla en termes chaleureux de Mgr Romero. Le Saint-Père exhorta l’archevêque à se battre avec courage, le serra dans ses bras et lui affirma qu’il priait pour son pays chaque jour. Le futur martyr était plein de joie. Dans son journal, il écrit qu’il est convaincu de l’entière approbation de sa mission par le pape ainsi que de sa « confirmation par Dieu et de la force dont Il comble [son] pauvre ministère » et que la journée a été « une source de totales satisfaction et instruction pastorale ». Peu de temps après, Mgr Romero cita Jean-Paul II dans ses homélies du temps de Carême. Après l’assassinat de Mgr Romero en 1980, Jean-Paul II s’insurgea contre les prélats qui présentaient l’archevêque comme un cryptocommuniste. Il expédia un télégramme condamnant ce meurtre et envoya son représentant personnel, le cardinal mexicain Ernesto Carripio, présider les obsèques. En 1983, il se rendit au Salvador. Les prélats latino-américains le pressèrent de ne pas aller sur la tombe de Mgr Romero, et pourtant, au cours du trajet, il demanda que sa papamobile se dirigeât vers la cathédrale. Elle était fermée, mais Jean-Paul II attendit opiniâtrement que quelqu’un trouvât la clé. Il pria ensuite près de la tombe de Mgr Romero, en le louant d’avoir été « un pasteur zélé qui avait tenté d’arrêter la violence ». Il devait y prier de nouveau en 1996. Pendant une cérémonie au Colisée à Rome en l’an 2000, des cardinaux latino-américains pressèrent Jean-Paul II de ne pas présenter Mgr Romero comme un martyr américain. Le pape n’en fit rien. D’où vient donc alors cette image populaire de Jean-Paul II le pharisien rappelant à l’ordre l’archevêque Romero ? Ceux qui ont lancé cette histoire veulent se servir de Mgr Romero pour critiquer Jean-Paul II. Ils le présentent comme un anti-communiste réactionnaire, sourd aux souffrances des peuples soumis à des dictateurs de droite. Ils veulent aussi le critiquer à cause de sa répression des hérésies, notamment les interprétations marxistes de la théologie de la libération. Naturellement, c’est une caricature. Oui, Jean-Paul II était anticommuniste. Même des historiens qui n’aiment pas l’Eglise admettent que le voyage du pape en Pologne en 1979 suscita la naissance du mouvement Solidarność qui joua un rôle crucial dans la chute de l’empire soviétique. Mais Jean-Paul II n’était pas un Henry Kissinger en soutane blanche. Il visita de nombreux pays (Brésil, Chili, Haïti, Paraguay) gouvernés par des dictateurs où l’anticommunisme servait d’alibi pour justifier la tyrannie et condamna à chaque fois l’oppression. Ces visites contribuèrent souvent à restaurer la démocratie. De même, présenter Mgr Romero comme un Camilo Torres [indépendantiste colombien, 1776-1815] salvadorien est une absurdité. Comme je l’ai écrit ailleurs, s’il a condamné l’inégalité des revenus et les abus de la junte au pouvoir, Mgr Romero a toujours rejeté une solution à la cubaine pour résoudre les problèmes de son pays et critiqué l’impérialisme soviétique et le terrorisme gauchiste. Nous n’avons pas la moindre preuve que Mgr Romero ait étudié la théologie de la libération (elle pourrait au plus l’avoir influencé indirectement à cause de ses contacts amicaux avec plusieurs jésuites marqués par cette théologie). Dans ses sermons, il cite les Ecritures, les encycliques papales, les documents de Vatican II et ceux de la Conférence des évêques d’Amérique latine, mais jamais le marxisme ou la théologie de la libération qu’il évitait soigneusement. Plusieurs personnes proches de Jean-Paul II essayèrent de ralentir la procédure de béatification de Mgr Romero. Le défunt cardinal colombien Alfonso Lόpez Trujillo (ancien président du Conseil pontifical pour la famille et ardent défenseur de la loi naturelle) s’opposa à cette béatification parce que, selon lui, l’archevêque avait été tué dans un contexte de violence politique anarchique et non à cause de sa foi. Il se montra également sceptique quant à la béatification de Pino Puglisi, un prêtre italien tué par la mafia en 1993. Mais le pape Jean-Paul n’intervint jamais lui-même pour ralentir la béatification de Mgr Romero et déclara même à un journaliste américain, Kenneth Woodward, que le fait que l’archevêque avait été tué pendant qu’il célébrait la messe pour un ami défunt suffisait pour qu’on le reconnaisse comme un martyr. Le pape Jean-Paul II et l’archevêque Oscar Romero comptent parmi les meilleurs avocats catholiques de la paix du XXe siècle. Nous devons nous efforcer de comprendre leur vraie nature au lieu de caricaturer grossièrement leur héritage spirituel et de déformer la relation qui les a unis : une relation de respect et d’estime mutuels.
— – Photographie Saint Jean-Paul II en prière devant la tombe de Monseigneur Romero en 1983
— – Filip Mazurczak est un chroniqueur régulier du Katolicki Miesięcznik « LIST ». Ses articles ont également paru dans First Things, The European Conservative et Tygodnik Powszechny.
Source : http://www.thecatholicthing.org/2015/02/05/understanding-jpii-oscar-romero/