Longtemps, Nathalie Rheims s’était persuadée qu’elle n’était pas concernée. Que ses reins à elle ne seraient jamais « victimes d’un gène qui ne songeait qu’à leur être fatal ». Celui qui avait touché les femmes de sa famille… Jusqu’à ce qu’il se rappelle, soudainement, cruellement, à son souvenir. Examens, dialyses, insuffisance respiratoire, réanimation… C’est depuis son lit d’hôpital qu’elle raconte la souffrance, l’impasse, la peur aussi. Avec dignité, retenue, comprenez talent. Une maîtrise que les critiques n’ont pas manqué de saluer. Mais si ces derniers ont relaté les soubresauts de ses reins et ceux de son cœur, à l’instar du titre de l’ouvrage, ils font l’impasse sur sa force spirituelle. « J’avais fini, écrit-elle, par imaginer que les reins, parce qu’ils fonctionnent sans qu’on puisse rien en savoir, sont le véritable siège de l’inconscient. J’avais opté pour les maintenir dans cette sphère de mon ignorance. Inutile de fouiller dans les zones d’ombre, je savais très précisément où cela me conduirait. Qui étais-je pour me croire l’égale de celui qui, seul, peut sonder les reins et les cœurs ? »
Chemin de croix… et de grâces
Son chemin de croix est ainsi ponctué de petites phrases pleines de grâce. Alitée, Nathalie Rheims bat sa coulpe, pense à celle qui l’a mise au monde et qu’elle a toujours connue affaiblie, « accrochée à sa machine », s’en veut de ne pas en avoir pris la mesure de ce qu’elle avait enduré. « Tout ici me ramène à ma mère. Face au courage dont elle a fait preuve, finalement, je reconsidère la question du pardon. Impossible de dire dans quel sens circule la miséricorde. » Son état de dépendance lui fait toucher du doigt la grandeur de ceux qui entourent, soignent : « Depuis des jours et des nuits, des infirmières me lavent, me changent, s’occupent de moi avec une douceur infinie. Mes pensées dérivent vers leur sainteté, vers Jésus, vers son corps supplicié que la sainte Vierge tient entre ses bras. »
Lorsque la seule issue tombe – transplantation rénale –, Nathalie Rheims a ces mots : « Mon esprit se met à fuir cette pensée redoutable. Je me réfugie dans mes souvenirs, dans un texte que j’avais complètement oublié. Quelques vers du Porche du mystère de la deuxième vertu de Charles Péguy qui expriment comment l’espérance ne peut surgir que quand il n’y a plus d’espoir : « Mais l’espérance, dit Dieu, voilà ce qui m’étonne moi-même. Ça c’est étonnant. » C’est ça qu’il trouvait étonnant, Charles Péguy, pas la foi, pas la charité, non, l’espérance ? C’est vrai, étonnant. »
C’est qu’un donneur, vivant, bien vivant, prénommé Flavien, consent à lui donner un rein. Comme la loi aujourd’hui le permet de tout adulte en bonne santé. Mais comment accepter d’altérer la vie d’un autre pour sauver la sienne ? « Ce qui n’est pas prévu dans la loi, toutefois, écrit-elle, c’est un autre impératif catégorique de la morale, celui de la culpabilité qui, au-delà, de toute rationalité, de tout sentiment, ferme à double tour ce porche. Aucune des trois vertus n’aurait pu le franchir : ni la foi, ni la charité, ni même l’espérance. Et pourtant. » Et pourtant, elle finit pas accepter humblement ce don qui va lui permettre de renaître. « Je pense à Flavien, à cet ange descendu du ciel, à ma hantise de le faire déchoir. Je m’abandonne, un instant, au destin, je m’adresse à Dieu, je sais que lui seul m’apportera une réponse juste. » Il y a parfois des livres, aimés du Tout-Paris, qui cachent de jolies pépites.
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Nathalie Rheims, Les Reins et les Cœurs, éd. Léo Scheer, 216 p., 18 €.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
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