Les règles jouent un rôle important dans la vie, ce qui vaut aussi pour la vie de l’Eglise. Les règles nous indiquent comment il faut vivre (ce qu’il faut faire et ce qu’il faut éviter) pour pouvoir s’épanouir. Un homme installé dans un dépotoir et chargé de fabriquer une voiture serait sûrement plus à l’aise si on lui donnait des instructions que s’il devait se débrouiller par lui-même. Dans ce sens, les règles, même si elles comportent certaines restrictions – le volant doit être fixé à l’essieu et pas au réservoir – peuvent être libératrices parce que ce sont des moyens avérés de nous aider dans notre recherche du bien et de la vérité.
Certains catholiques aiment les règles, tant celles données par Dieu que celles fixées par l’Eglise parce qu’ils savent que ces règles mènent à Dieu. Les règles, qu’elles soient négatives (les interdits) ou positives (le commandement sur l’amour mutuel) nous montrent comment vivre et sont une source de certitude dans des moments de doute. Ces catholiques, appelés à juste titre « conservateurs », parce qu’ils militent pour la conservation des lois divines, sont un peu mécontents de la manière dont certaines règles ont été assouplies voire abolies depuis Vatican II par des catholiques (membres du clergé ou laïcs) « progressistes » qui considèrent les règles comme des obstacles à une vie de foi idéale.
C’est dans ce vaste contexte de disparité culturelle et théologique entre conservateurs et progressistes que le pontificat du pape François a débuté. La caricature de « François le réformateur » présentée par les médiasi est désormais bien établie. Mais il faut aussi reconnaître que certains actes et commentaires du pape lui-même ont alimenté cette image.
Et le pape François a ravivé ce scénario en proclamant un jubilé tout à fait extraordinaire, une Année Sainte de la Miséricordeii que l’Eglise se devra de célébrer. Le pape espèreiii que « l’Eglise tout entière trouvera dans ce jubilé la joie nécessaire pour redécouvrir et faire fructifier la miséricorde de Dieu grâce à laquelle nous sommes tous appelés à apporter la consolation à chaque homme et chaque femme de notre temps ».
La miséricorde a été au centre de la vie sacerdotale de François ; les règles et les structures ne semblent pas avoir eu le même degré de priorité. A l’approche d’un autre synode, cet automne, au cours duquel seront discutées un ensemble donné de règles – la pastorale des divorcés et des personnes remariées civilement – juste avant le début de l’Année de la Miséricorde, il est normal de se demander si le pape François modifiera ces règles, en considérant ce changement comme une œuvre de miséricorde.
Mais tout comme l’interprétation du pontificat de François s’inscrit dans un plus vaste registre, une question plus profonde se pose à propos de l’organisation du prochain synode. La miséricorde et les règles sont-elles antinomiques ?
Pressé de répondre à cette question il y a environ 800 ans, Saint Thomas d’Aquin déclare que ces deux concepts ne sont pas contradictoires : «Etre miséricordieux c’est compatir à la misère d’autrui dans la mesure où nous la regarderons comme la nôtre et par conséquent vouloir porter remède à la misère du prochain comme si c’était la nôtre ».
Porter remède à la misère d’autrui ne nécessite pas qu’on modifie les règles ni qu’on aille à l’encontre de ce qui est juste pour autrui. Saint Thomas décrit la manière dont Dieu et l’homme agissent avec miséricorde à cet égard : « En faisant miséricorde, Dieu n’agit pas contre Sa justice, mais au-dessus de la justice ; ainsi un homme qui donne à un autre homme deux cents pièces d’argent, alors qu’il ne lui en doit que cent, n’agit pas contre la justice, mais fait preuve de générosité ou de miséricorde. Il en va de même quand on pardonne une offense, car remettre ou pardonner, c’est librement donner ».
Thomas conclut que « la miséricorde n’ôte pas la justice, elle en est la plénitude ». Etre miséricordieux envers autrui, ce n’est donc pas modifier les règles pour que le malheureux se trouve dans de nouvelles circonstances. C’est plutôt combler le malheureux d’amour et de compassion pour soulager la peine dans laquelle il se trouve.
La rédemption de l’humanité, triomphalement célébrée à Pâques, est le modèle par excellence de l’union harmonieuse des règles et de la miséricorde. Dans un acte de miséricorde, Dieu a envoyé Son Fils dans le monde pour racheter les êtres humains qui se morfondaient dans la misère du péché. Bien qu’il eût pu sauver l’humanité de multiples façons, le Fils a consenti à une mort atroce parce que les règles édictées par le Père exigeaient que Son sang fût versé pour expier le péché. Dieu créateur de l’univers et de toutes les règles aurait pu changer ses propres règles pour sauver Son Fils.
Mais au lieu de modifier les règles, Dieu a fait preuve de véritable miséricorde envers nous. Le Fils s’est abaissé jusqu’à notre misère, non pas pour nous en libérer, mais pour nous aider à nous sanctifier au sein même de cette misère. Et Sa grâce dissipe la misère de nos cœurs, même si notre misérable condition demeure inchangée.
Des exégètes bibliques ont présenté Jésus comme un progressiste moderne combattant le strict respect de la loi des Pharisiens conservateurs. Mais Jésus n’a pas aboli une seule loi et, dans le domaine où les lois sont le plus contestées (la sexualité) les a même rendues encore plus strictes. Au contraire, Jésus a contraint les Pharisiens à ne pas laisser de côté « ce qui est plus important dans la loi, la justice, la miséricorde et la bonne foi ». (Matthieu 23,23).
L’exhortation de Jésus est un excellent modèle pour le prochain Synode sur la famille et l’Année de la Miséricorde : point de nouvelles règles, mais les mêmes appliquées avec justice, miséricorde et bonne foi.
Mercredi 15 avril 2015
Photographie : Le pape proclame une Année de la Miséricorde (Alberto Pizzoli, Getty Images)
David G. Bonagura Jr enseigne au séminaire Saint Joseph à New York