François Hollande, dans le discours qu’il a prononcé lundi soir au traditionnel dîner du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France), a particulièrement insisté sur la menace que constitue l’antisémitisme : « C’est comme une lèpre qui revient toujours quand les civilisations croient s’en être débarrassées. » Et comme pour donner son avis sur la polémique qui avait éclaté le jour même à cause de propos de Roger Cukierman, il a tenu aussi à affirmer : « L’antisémitisme a des racines anciennes, qui plongent dans toute l’histoire de l’extrême droite française qui ne s’en est pas affranchie. » Je laisserai ici la querelle particulière qui concerne le Front national, pour réfléchir un instant sur la question plus générale des racines, qui déborde très largement ce qu’on appelle l’extrême droite. Car les racines évoquées concernent toute notre culture européenne. Et de ce point de vue toutes les familles de pensée sont en cause.
En veut-on un exemple emblématique ? On a beaucoup parlé de Voltaire ces temps-ci, pour mettre en valeur l’esprit critique, qui s’en prend aux religions. Mais Voltaire était aussi antisémite du genre enragé, si bien que ses œuvres sont aujourd’hui soigneusement expurgées, certains passages étant insupportables. Il faut avoir lu Léon Poliakov, le grand historien, spécialiste de l’antisémitisme, pour prendre conscience que la haine du peuple juif, sous ses aspects modernes, naît aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est sous les Lumières qu’apparaissent les théories racialisantes à prétention scientifiques. Par ailleurs, les grands penseurs, notamment allemands, qui ont présidé à l’essor de la philosophie contemporaine, tels Kant et Hegel, ne sont pas indemnes de lourds présupposés à l’égard de ce même peuple juif. On pourrait, paradoxalement, leur adjoindre Karl Marx.
Certes, la pensée a évolué, et la monstruosité hitlérienne a totalement changé les données de la question, en révélant la logique fatale de la haine et du ressentiment. Mais c’est surtout une approche nouvelle de la tradition juive, qui a permis de surmonter les préjugés pour une étude plus féconde d’un rameau historique auquel nous devons une conscience prodigieuse de notre vocation humaine et spirituelle.