LES PULSARS AU RENDEZ-VOUS DU CALCUL - France Catholique
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LES PULSARS AU RENDEZ-VOUS DU CALCUL

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On parle beaucoup, ces jours-ci, du pulsar découvert le 2 septembre dernier par des radio-astronomes canadiens dans la constellation du Cygne, et des mesures par lesquelles d’autres radio-astronomes, français ceux-là, ont pu presqu’aussitôt, à Nançay, calculer sa distance : 25 000 années lumière.1.

Rappelons d’abord ce qu’est un pulsar du point de vue expérimental, c’est-à-dire la forme sous laquelle il se révèle à l’observation.

Une merveilleuse correspondance

Le premier pulsar fut découvert par hasard en 1967 par une étudiante de l’Université de Cambridge, Jocelyn Bell, que ses professeurs avaient chargée d’un travail de routine sur les variations de puissance des ondes radio émises par certains points du ciel. Elle eut la surprise de constater qu’une de ces sources d’ondes était rigoureusement périodique : elle envoyait un éclair d’ondes-radio à peu près chaque centième de seconde2. Les mesures montrèrent aussitôt que la périodicité de ces éclairs était d’une telle précision qu’elle ne variait pas d’un demi-millionième. En d’autres termes, si votre montre était aussi bien réglée, elle ne varierait pas de plus d’une seconde par an.

Aussitôt alertés, les astronomes tournèrent leurs instruments vers cet objet si aguichant. Ils constatèrent que l’éclair radio du pulsar était émis non sur une longueur d’ondes précise, comme c’est le cas de nos émetteurs radio, de nos radars, etc., mais sur une large bande de fréquences. Si l’on se rappelle que les ondes radio sont des ondes électro-magnétiques exactement comme la lumière visible, on peut comprendre cette caractéristique des pulsars en disant qu’ils n’ont pas une couleur pure, mais qu’ils diffusent un mélange de couleurs.

Dans les mois et les années qui suivirent la découverte de Jocelyn Bell, les connaissances sur ces étranges objets se multiplièrent. En 1968, on repéra un pulsar dans la Nébuleuse du Crabe, c’est-à-dire là où, vers 1965, on avait en vain cherché une « étoile à neutrons » prévue par la théorie, mais jamais décelée3. Actuellement, on admet que les pulsars sont des étoiles à neutrons. Si bien que la découverte des pulsars doit être tenue pour triomphe de la physique théorique, qui avait prévu ces étranges objets plusieurs années avant leur découverte : l’univers est venu docilement prendre sa place dans le cadre préétabli par la physique.

Certes, bien des aspects des pulsars restent inexpliqués. Mais l’essentiel semble être compris : le pulsar est une étoile très vieille, effondrée sur elle-même après avoir perdu la plus grande partie de ses électrons et de ses protons ; elle est encore des millions de fois plus massive que la Terre, mais son volume tiendrait dans l’enceinte de Paris. Un centimètre cube de pulsar pèse des millions de tonnes4. Et, conformément aux lois de la mécanique, cette étoile rétrécie tourne très vite sur elle-même, exactement comme un phare : nous recevons son onde radio à chacun des balayages que provoque cette rotation.

La merveilleuse correspondance du pulsar avec l’étoile à neutrons prévue par la physique a de quoi stupéfier. Ce triomphe de la science sera certainement invoqué, du point de vue philosophique, par les tenants de la théorie hégélienne selon laquelle les lois de l’univers seraient celles-là même de notre pensée.

Eh bien ! il y a chez eux, en gros, deux écoles de pensée.

Il existe d’abord une forte « majorité silencieuse » de savants qui, n’ayant jamais jugé utile de se poser la question, admettent implicitement, et le plus souvent inconsciemment, qu’il y a identité entre les structures de l’univers et celles de notre pensée. Ce sont des hégéliens qui font de la prose comme M. Jourdain. Ils trouvent tout naturel que les processus de pensée de l’homme aboutissent à cette « adaequatio rei » aussi appelée « vérité ».

Assez curieusement, ces savants se recrutent aussi bien chez certains matérialistes convaincus de la suprématie de l’esprit humain comme on l’était du temps du baron d’Holbach que chez des croyants portés à interpréter de façon flatteuse la phrase sur l’homme « créé à l’image de Dieu ». Cette façon de penser a été, comme on sait, exprimée avec éclat par Monod dans son livre le Hasard et la Nécessité. Selon lui (p. 54-55), tout dans l’univers est explicable, et presque tout est prévisible. Les seuls phénomènes non prévisibles sont, selon lui, les événements singuliers, c’est-à-dire tel caillou ou tel homme pris en particulier.

Dans un univers totalement soumis hors cela à la nécessité, ils sont la part du hasard. L’image des choses proposée par Monod est donc celle d’un univers intégralement intelligible, conforme par conséquent aux lois et structures de la pensée humaine5. Lorsqu’on discute avec les savants, on se rend compte que la plupart d’entre eux, s’ils n’ont pas longuement réfléchi à cette question, pensent comme Monod (ce qui ne veut pas dire que Monod, lui, n’y ait pas réfléchi !).

Il faut, en revanche, reconnaître que, parmi ceux qui ont examiné le problème, Monod fait exception. Je ne connais pas d’autre savant contemporain ayant développé une opinion semblable à la sienne. Certes, je n’ai pas tout lu, mais il semble que Monod non plus n’en connaisse aucun puisqu’il ne cite que des cas de désaccord (Elsasser, Polanyi, sans parler des marxistes).

Ce sont les physiciens, c’est-à-dire ceux parmi les savants qui vivent dans la plus grande familiarité avec les aspects fondamentaux du cosmos, qui sont le plus éloignés d’admettre que celui-ci soit forcément, par nature, intelligible. Monod semble croire (p. 41) que les incertitudes exprimées par les physiciens, ne visent que l’étrangeté des êtres vivants6. Loin de là ! C’est au cœur même de la physique qu’ils trouvent des raisons de se méfier des pièges de la pensée raisonnante. « Dans la mesure où un calcul est appliqué à la réalité, écrit sir Karl Popper, il perd son caractère de calcul logique et devient une théorie descriptive qui peut se trouver réfutée par l’expérience » (c’est lui qui souligne) et dans la mesure où il est considéré comme irréfutable… il ne s’applique pas à la réalité.

Une souplesse de la raison…

Par exemple, dit Popper, que penser de l’assertion que 2 x 2 font 4 ? Peut-on dire que cela exprime une réalité ? Non, répond Popper. Cela peut servir à manipuler la réalité, sans plus. Il est des cas où 2 x 2 font 3 (la somme relativiste des vitesses par exemple), d’autres où 2 x 2 font 1 (ajouter quatre gouttes l’une à l’autre, cela fait une goutte), d’autres encore où 2 x 2 font 7 ou 8 (par exemple, dit Popper, si vous mettez 2 x 2 lapins dans un panier et que vous attendiez un peu !) « Et si vous me dites que ces exemples ne sont pas de jeu, parce que quelque chose est arrivé à mes lapins et à mes gouttes et que l’équation 2 x 2 = 4 ne s’applique qu’à des objets à quoi rien n’arrive, ma réponse sera que, dans la réalité, il n’existe pas d’objets à quoi rien n’arrive. » (Popper, p. 212.)

Les physiciens qui examinent cette question se réfèrent toujours à l’analyse de Popper sur la vérité des propositions a priori : si elles sont a priori, elles ne concernent pas la science expérimentale, et si elles sont utilisées dans le cadre de la science, elles peuvent toujours se trouver démenties par quelque expérience.

L’admirable réussite de la physique prévoyant les étoiles à neutrons prouve-t-elle donc que l’univers est conforme aux structures de la raison humaine ? La tendance actuelle des savants est de répondre qu’il n’en est rien et qu’elle prouve seulement la souplesse de la raison, toujours capable, si elle est docile aux faits et à eux seuls, de prévoir d’autres faits. Ce n’est pas la même chose. Ce serait même plutôt le contraire7.

Aimé MICHEL

(*) Chronique n° 111 parue initialement dans France Catholique – N° 1346 – 29 septembre 1972.


Notes de Jean-Pierre ROSPARS du 1er octobre 2012

  1. Je n’ai pas retrouvé de quelle étoile pulsante (ou pulsar) il s’agit. Il existe bien un pulsar célèbre dans la direction de la constellation du Cygne, Cygnus X-1, ainsi nommé parce qu’il émet des rayons X mais il a été découvert en 1971, non le 2 septembre 1972. Voir la fin de la note 3 ci-dessous.
  2. Le texte imprimé était « centaine de seconde », erreur typographique manifeste car les pulsars dont la rotation est la plus lente font 4 tours par seconde. Jocelyn Bell, née à Belfast en 1943, alors étudiante en thèse, observait la scintillation de quasars provoquée par la turbulence du gaz ionisé interplanétaire (à propos de ce milieu voir la chronique n° 19, L’histoire du gros ordinateur, parue ici le 02.11.2009). Comme cette turbulence provoque des fluctuations aléatoires de l’intensité des radiosources, elle fut fort intriguée par l’une d’elles dont les variations étaient d’une grande régularité. Elle dut se montrer patiente et obstinée car son patron, Antony Hewish (né en 1924), pensait qu’il s’agissait d’une interférence d’origine humaine. Elle lui montra que le signal était persistant et qu’il venait d’un point fixe dans le ciel, ce qui signifiait qu’il ne pouvait pas venir d’émetteur situé sur Terre ou sur un satellite artificiel. Comme deux ans auparavant lors de la découverte du premier quasar, CTA-102 (voir la chronique n° 68, Les savants russe et les anges, mise en ligne le 01.03.2011, notamment la note 3), les chercheurs pensèrent pendant un temps avoir trouvé une balise radio artificielle construite par une civilisation extraterrestre et l’appelèrent LGM-1 (Petit homme vert n° 1) ! Bien que la découverte ait été faite par Jocelyn Bell, elle n’était que second auteur de la publication qui en résulta ; elle fut donc « oubliée » par le comité Nobel qui attribua, en 1974, le prix de physique à Antony Hewish et à l’ancien patron de ce dernier, Martin Ryle. Il en résulta une controverse ; Fred Hoyle en particulier dénonça le scandale (sur ce célèbre astronome, voir la chronique n° 173, Le chaos extérieur, l’image de l’univers donnée par la nouvelle astronomie, mise en ligne le 02.08.2011). Hewish avait pu obtenir en 1965 les crédits nécessaires à la construction du grand instrument de radioastronomie pour grandes longueurs d’onde (donc les fréquences élevées) qui permit deux ans plus tard la découverte de ce qu’on devait appelé plus tard les pulsars. Jocelyn Bell assura qu’elle n’était pas déçue et elle fut honorée d’autres prix et distinctions, dont l’ordre de l’Empire Britannique (elle est Dame Jocelyn Bell Burnell). Josef Shklovsky lui déclara en 1970 : « Mademoiselle Bell, vous avez fait la plus grande découverte astronomique du XXe siècle ». Elle ne pouvait espérer plus bel hommage d’un des plus talentueux astrophysiciens du siècle passé (sur Iosef Chklovski voir la chronique n° 68, Les savants russe et les anges, les astronomes à la recherche d’êtres supérieurs à l’homme et faiseurs de prodiges, parue ici le 01.03.2011). De fait, ces objets inattendus ont été une révolution en astrophysique.
  3. En 1965, Hewish avait observé un signal intermittent en provenance de la nébuleuse du crabe et avait déjà suggéré qu’il pouvait provenir du reste d’une étoile ayant explosée en supernova.
  4. Cette formulation qui mêle poids et masse déplaira sûrement aux puristes ! La masse (quantité de matière) est un invariant mais non le poids qui dépend de l’intensité du champ de gravitation dans lequel la masse est plongée : la même masse n’a pas le même poids sur la Terre et sur la Lune.

    Pour le reste l’interprétation des pulsars résumée par Aimé Michel a été confirmée par les recherches ultérieures. Le pulsar résulte donc de l’explosion (supernova) qui se produit lorsque les réactions nucléaires au sein d’une étoile massive (au moins 8 fois la masse du soleil) en fin de vie sont incapables de contrebalancer la pression due à la gravitation. Le cœur de l’étoile s’effondre sur lui-même tandis que l’enveloppe externe est éjectée formant une nébuleuse bien visible au télescope. Les électrons, protons et neutrons du cœur stellaire (une masse solaire environ) sont tellement comprimés que la réaction proton + électron > neutron + neutrino devient possible (sur cette réaction voir la note 2 de la chronique n° 155, D’embarrassants cadeaux de Gargamelle, La recherche des particules élémentaires, mise en ligne le 09.05.2011). Tous les protons et les électrons se transforment en neutrons, d’où le nom d’étoile à neutrons (ce nom est consacré par l’usage même s’il serait plus juste de dire « étoile de neutrons »). L’étoile devient une sorte de noyau atomique géant d’une dizaine de km de diamètre qui tourne très rapidement sur lui-même du fait de la conservation du moment cinétique (l’effet bien connu du patineur qui ramène ses bras le long du corps), tandis que l’effondrement concentre le champ magnétique. L’énorme champ magnétique tournant qui en résulte se comporte comme une dynamo : il produit un champ électrique capable d’arracher des charges électriques à la surface de l’étoile. Ces charges, accélérées à des vitesses proches de celle de la lumière le long des lignes de champ courbes, émettent des ondes radio en deux faisceaux partant des deux pôles magnétiques Nord et Sud de l’étoile. Ce sont ces faisceaux qui balayent le ciel et sont détectés sur Terre, du moins pour les pulsar dont l’axe Nord-Sud est orienté vers nous.

    Certains pulsars se sont révélés très intéressants car ils ont permis de remarquables confirmations de la théorie de la relativité générale. En 1974, Russell A. Hulse, alors étudiant en thèse, et Joseph H. Taylor, son directeur de thèse, découvrirent, grâce au radiotélescope d’Arecibo à Porto Rico, un pulsar dénommé PSR 1913+16 aux caractéristiques surprenantes : la période de ses impulsions radio était de 59 millisecondes (ce qui correspond à 17 tours par seconde) mais elle variait de 5 microsecondes selon un cycle de près de 8 heures. Ils interprétèrent cette variation par la présence d’un compagnon invisible : une autre étoile à neutrons. Selon cette interprétation, les deux astres sont en orbite autour de leur centre de gravité commun et forment ainsi ce qu’on appelle un système binaire. Le cycle de 8h environ correspond à un tour d’orbite complet dont la brièveté s’explique par la proximité des deux astres (de l’ordre de la distance Terre-Lune). Quant à la différence de 5 µs, elle s’explique par l’effet Doppler-Fizeau, suivant que le pulsar sur son orbite s’approche ou s’éloigne de la Terre. Selon la théorie de la relativité générale les puissants champs gravitationnels en jeu doivent déformer l’espace-temps, or plusieurs effets liés à cette déformation ont pu être observés. D’après cette théorie, une masse accélérée (ce qui est le cas ici en raison de la trajectoire incurvée de chacun des deux astres) doit produire des ondes gravitationnelles, de même qu’une charge électrique accélérée produit des ondes électromagnétiques (cf. ci-dessus). Ces ondes en emportant de l’énergie diminuent l’énergie mécanique du système, d’où une diminution de la taille de l’orbite et donc de la période des impulsions. En 1979, Taylor réussit à mesurer cette diminution de période (75 millionième de secondes par an !) et la trouva en accord avec les prédictions de la théorie, confirmant ainsi indirectement l’existence d’ondes gravitationnelles. En outre, ces chercheurs mirent en évidence une avance du périastre d’environ 4 degrés par an qui est l’équivalent de l’avance du périhélie de Mercure dans le système solaire (mais cette dernière n’est que d’environ 40 secondes d’arc par siècle car la gravité à la surface du soleil est 5 milliards de fois inférieure à celle qui règne à la surface d’un pulsar !). Plusieurs autres effets ont pu être mesurés, tous en accord quantitatif avec la théorie d’Einstein. Pour ces travaux Taylor et Hulse partagèrent le prix Nobel de physique en 1993. Si l’ex-doctorant Hulse fut récompensé, c’est sans doute en raison des critiques et controverses qui suivirent l’oubli de Jocelyn Bell en 1974.

    La plupart des pulsars sont jeunes (moins de 10 millions d’années) et situés près de leur lieu de naissance dans le plan de la Galaxie. Les autres sont anciens (plus d’un milliard d’années) et situés en peu partout en dehors du plan galactique car ils ont eu le temps de s’en éloigner. Ces pulsars anciens, dont PSR 1913+16 est un bon exemple, se distinguent sur plusieurs points des pulsars jeunes : leur rotation est beaucoup plus régulière, leur champ magnétique beaucoup plus faible et ils appartiennent à des systèmes binaires. On pense qu’au bout d’une dizaine de millions d’années la rotation des pulsars jeunes est si ralentie que l’effet dynamo disparaît et avec lui les impulsions radio. Le pulsar alors s’éteint à moins justement qu’il n’appartienne à un système binaire. Si le compagnon est une géante rouge, c’est-à-dire une vieille étoile dont l’enveloppe est en expansion, les gaz qu’il déverse sur l’étoile à neutrons provoquent une accélération de la rotation de celle-ci. L’effet dynamo réapparaît et le pulsar s’allume à nouveau.

    Le pulsar Cygnus X-1 (cf. note 1) appartient à un système binaire de ce genre, sauf que sa masse (au moins 6 ou 7 fois la masse du Soleil) est trop élevée pour être une étoile à neutrons (ces dernières ne peuvent excéder 3 masses solaires). Le seul objet prévu par la théorie pouvant atteindre une telle masse sous un faible volume est un trou noir. Son compagnon est une étoile visible de 30 masses solaires de type spectral B (sur les types spectraux, voir la chronique n° 94, Petit supplément au livre de Ruth, parue ici le 18.01.2010).

  5. Dans le passage de son livre le Hasard et la Nécessité cité par Aimé Michel (pp. 54-55), Monod explique en substance que « contrairement à ce que croyait Laplace, et après lui la science et la philosophie “matérialiste” du XIXe siècle », une théorie scientifique universelle « ne pourrait jamais contenir la biosphère, sa structure, son évolution en tant que phénomènes déductibles des premiers principes ». « En disant que les êtres vivants, en tant que classe, sont non prévisibles à parti des premiers principes, je n’entends nullement suggérer qu’ils ne sont pas explicables selon ces principes, qu’ils les transcendent en quelque manière, et que d’autres principes, à eux seuls applicables, dussent être invoqués. La biosphère est à mes yeux imprévisible au même titre, ni plus ni moins, que la configuration particulière d’atomes qui constituent ce caillou que je tiens dans ma main. Nul ne reprocherait à une théorie universelle de ne pas affirmer et prévoir l’existence de cette configuration particulière d’atomes ; il nous suffit que cet objet actuel, unique et réel, soit compatible avec la théorie. Cet objet n’a pas, selon la théorie, le devoir d’exister, mais il en a le droit. » C’est la thèse de la contingence de la vie qui sera reprise par la suite par Stephen J. Gould notamment. Monod semble effectivement suggérer « un univers intégralement intelligible, conforme par conséquent aux lois et structures de la pensée humaine », mais sans que cela soit fermement explicité.
  6. Dans ce second passage cité par Aimé Michel (p. 41), Jacques Monod écrit : « On peut comprendre, certes, que des physiciens aient été frappés, plus encore que des biologistes, par l’étrangeté des êtres vivants. » Il donne l’exemple des physiciens Elsässer et Polanyi (voire du « grand Nils Bohr lui-même ») pour qui ces propriétés étranges d’invariance (l’activité et la croissance cellulaires) et de téléonomie (l’embryogenèse) ne violent pas la physique, mais « ne sont pas entièrement explicables à l’aide des forces physiques et interactions chimiques révélées par l’étude des systèmes non vivants ». Monod rejette vivement cette thèse vitaliste. Selon lui, l’invariance est bien connue et ne nécessite aucun principe non physique. Quant à la téléonomie, il admet qu’elle échappe encore (en 1970) à l’analyse ce qui ne suffit pas à fonder le vitalisme, lequel ne se justifie pas « par des connaissances précises (…) mais seulement par notre actuelle ignorance ». Il ajoute : « Le vitalisme a besoin, pour survivre, que subsistent en biologie, sinon de véritables paradoxes, au moins des “mystères” ». De fait, Monod passe ainsi complètement sous silence l’étrangeté profonde de la physique quantique. Sans entrer dans la querelle du vitalisme (sur laquelle il faudra revenir), on peut comprendre que la simplification opérée sans le dire par Monod paraisse excessive à Aimé Michel. Comme il l’écrira trois ans plus tard : « Il faut, pour ne voir aucun mystère dans la biologie sous prétexte qu’elle s’expliquerait entièrement par la physique quantique, n’avoir aucune notion des ennuis où se débattent les physiciens eux-mêmes ! (…) La biologie est actuellement à sa phase conquérante, rationaliste, parce qu’elle n’a pas encore vu le bout de la physique qu’elle utilise. » (Chronique n° 210, Les marchés de l’immatériel, Presque toute richesse est destinée à devenir informationnelle, mise en ligne le 12.01.2012). Sur les paradoxes de la physique quantique voir par exemple la chronique n° 119, Heisenberg ou le non représentable, parue ici le 19.06.2010 et les autres chroniques qui y sont citées.
  7. Le titre de la chronique « Les pulsars au rendez-vous du calcul » est un décalque de celui de l’article de Pierre de Saint-Seine, plusieurs fois cité par Aimé Michel, « Les fossiles au rendez-vous du calcul » paru dans la revue Études en 1949 (voir la chronique n° 100, La bicyclette de Darwin, L’évolution s’observe, s’expérimente et se mesure, parue ici le 28.11.2011). Mais alors que le calcul est élémentaire dans le cas des fossiles, il atteint des sommets d’ingéniosité dans le cas des pulsars. Cela pose une grave question que j’ai mise en sous-titre « L’univers est-il conforme aux structures de la raison humaine ? » après l’avoir simplement reprise de la conclusion d’Aimé Michel, conclusion auquel il répond par la négative.
    Fidèle à son habitude, qui est l’une des originalités de ses chroniques, Aimé Michel s’interroge sur la signification (ou plutôt l’une des significations) de ces découvertes astrophysique quant à la place et au devenir de l’homme dans la Nature, passant ainsi presque sans transition de la (banale) vulgarisation scientifique à la métaphysique. Toutes les recherches succinctement présentées dans cette chronique sur les étoiles à neutrons et les pulsars sont un mélange inextricable d’observations et de théories. Les signaux émis par les pulsars n’auraient jamais pu être interprétés et compris sans l’aide des prévisions théoriques. Ainsi les étoiles à neutrons avaient été prédites dès 1933 par Walter Baade et Fritz Zwicky, un an seulement après la découverte du neutron par James Chadwick ; prédiction oubliée que l’on exhuma pour rendre compte des pulsars. Pourtant cela ne prouve nullement que l’univers soit, par nature, intelligible.

    Aimé Michel est souvent revenu sur cette idée-force qu’il a exprimé clairement pour la première fois à ma connaissance dans son livre Mystérieux Objets Célestes (Arthaud, 1958). Elle a été redécouverte, indépendamment semble-t-il, par plusieurs auteurs au cours des cinquante dernières années. Je renvoie aux chroniques précédentes qui développent cette idée : n° 80, Questions aux philosophes, 16.11.2009 ; n° 58, Notre chair dans les étoiles (La solitude de l’homme dans l’univers apparaît comme immensément invraisemblable), 12.12.2010, notamment la note 6 ; n°156, Le physicien dans le laboratoire (Entre pessimisme et espoir), 12.06.2011.