Chrétien depuis plus d’un demi-siècle — d’abord au sein du Protestantisme fondamentaliste, puis dans le giron de l’Église d’Angleterre, et maintenant prêtre catholique — je suis persuadé que deux attitudes extrêmes jouent l’une contre l’autre pour tuer le véritable christianisme. Rigorisme légaliste et « Laisser-faire ».
Il nous faut comprendre que le heurt entre rigorisme et laisser-faire n’est qu’un des aspects de la religion Judéo-Chrétienne. Les païens de toute espèce n’attachent pas un code moral à l’adoration de Dieu. Un Bouddhiste peut pratiquer l’ascèse, mais c’est en vue de s’élever au-dessus de la condition de souffrance matérielle. Un païen peut offrir des sacrifices, mais parce qu’il souhaite apaiser son dieu, et lui plaire.
L’idée que le Dieu tout-puissant puisse apprécier un bon comportement des hommes fut une innovation soudaine et percutante de Moïse et de son clan. Pour la première fois, obéir à des lois devenait un moyen de plaire à Dieu.
Malheureusement la loi ne suffit pas, et Saint Paul a levé le doute en nous disant que la raison d’être de la loi n’était pas de nous rendre assez bons, mais de nous montrer que nous ne pourrions jamais être assez bons. La religion chrétienne était une autre innovation. Au lieu de vivre selon la loi, nous sommes appelés à vivre selon la foi dans une relation dynamique avec Dieu.
Malheureusement, c’est, semble-t-il, encore plus difficile, alors, nous retombons dans une religion soumise à la loi. On se soumet trop souvent à une directive immature, éviter ce qui est interdit,, et suivre les commandements. Nous nous persuadons qu’en respectant les règles tout ira bien jusqu’au bout. L’ordre jaillira du chaos. Tout ira bien comme çà. Dieu sera content de ses bons petits garçons et bonnes petites filles. Et si nous sommes très, très bons, rien de mal ne nous arrivera et un jour nous aurons droit à une sucette à savourer pour la vie éternelle.
Les conséquences sont désastreuses car, bien sûr, nous ne serons jamais assez bons. Et si nous sommes enfermés dans le légalisme, constater que nous ne pourrons jamais être assez bons va tout nous gâcher. Voulant désespéramment être assez bons, nous adoptons une posture de bon comportement afin de nous convaincre qu’après tout nous sommes vraiment bons. Comme pour le poivrot qui a toujours soif, l’échec à devenir meilleurs nous pousse à plus de rigueur légaliste, et non à moins.
Alors s’installe la pourriture. Avec nos efforts pour nous sentir meilleurs, nous repérons ceux qui sont pires que nous. Nous montrons du doigt. Nous toussotons. Nous critiquons les autres. Nous trouvons des boucs émissaires. Nous excluons, persécutons, et finalement complotons pour détruire les pécheurs. Ce schéma rigoriste et la spirale destructrice ont débuté avec Caïn, atteignant des sommets avec les Pharisiens et poursuivant son évolution cancéreuse dans notre monde avec les extrêmistes fondamentalistes de toutes branches du Christianisme.
Réagissant contre le rigorisme nous tombons sur l’autre piège, le Laisser-faire. Nous prétendons n’être soumis à aucune loi. La tolérance devient l’unique vertu, le seul commandement et credo. Selon nous, on est ici-bas pour vivre sa vie, libre, à la poursuite du bonheur, adoptant un credo de sorcière: agir comme on veut pourvu qu’on ne fasse pas de mal à autrui.
Hélas, le laisser-faire est aussi destructif que le rigorisme, car si on agit selon son plaisir tout le monde en pâtira. La liberté intégrale détruit la vie personnelle, la famille, et mène la société au chaos. De plus, suivre le chemin de la licence entraîne rapidement à l »auto-satisfaction et l’intolérance, tout comme le légalisme car inconsciemment le credo et commandement « fais ce que voudras, mais ne fais pas le mal à autrui,» est devenu la loi fondamentale. Par conséquent, c’est le rejet et la flagellation pour tous ceux qui oseraient critiquer ou condamner cette réaction.
Comment naviguer entre le Scylla de la rigueur légaliste et le Charybde de la licence et du laisser-faire ?
C’est ici que le conseil chrétien du repentir apporte une réponse. En se repentant on ne dit pas seulement « pardon pour les fautes que j’ai commises.» Au lieu de quoi on admet au plus intime de soi que non seulement on a contrevenu à la loi, mais qu’on ne sait pas sivre la loi. Se repentir sans la foi est sans espoir, et c’est par la foi qu’on s’ouvre non seulement au pardon du Christ mais aussi à la grâce de vivre une nouvelle dimension de vérité et de liberté.
Par ce moyen on se secoue pour éviter le pesant rocher Scylla du légalisme et on échappe au tourbillon Charybde du laisser-faire. Et le Nouveau Testament suggère qu’il est possible de suivre les voies du Seigneur, en suivant Ses lois non parce que nous le devons, mais parce que nous le voulons. On le fait en totale liberté, soutenus par un perpétuel renouvellemnt de la grâce dans nos vies.
On peut illustrer ce propos par un exemple: un musicien doué apprend à déchiffrer les notes, prend des leçons auprès d’un maître, répète des heures chaque jour, étudie les partitions puis, un jour, s’avance sur scène, et joue le troisième Concerto de Rachmaninov plein d’aisance, de beauté, de grâce. C’est le résultat d’une totale alliance de la loi et du libre choix — un cadre, et la liberté.
C’est la nouvelle dynamique de l’humanité à laquelle nous assistons dans les vies des saints. Ils nous montrent le niveau atteint en vivant les lois divines dans la joie et en totale liberté et, en le voyant, nous sommes les témoins de la grâce agissant merveilleusement, glorieusement, sur les humains.
Source : The Traps of Legalism and licence
Tableau : Entre Charybde et Sylla – Henry Fuseli, 1795.