Une intervention militaire extérieure se précise au Nord-Mali. Mais de qui et contre qui ? Le flou domine.
On peut en effet distinguer au moins quatre guerres : la guerre libyenne, la guerre malienne, la guerre ouest-africaine, la guerre algérienne. Au risque d’y ajouter une cinquième : la guerre occidentale.
La guerre libyenne, c’est en gros celle de l’Azawad, le territoire traditionnel touareg libéré par les milices qui s’étaient exilées en Libye et servaient le colonel Kaddafi. Bamako a tout de suite critiqué la France de Sarkozy pour avoir mené la guerre contre ce dernier sans se préoccuper des retombées collatérales. Mais qu’est ce que le pouvoir à Bamako avait fait pour intégrer les Touaregs ? Le président Amadou Toumani Touré, prudent politique, fut renversé le 22 mars par ses propres militaires qui s’étaient évanouis devant la menace nordiste. D’où une guerre intra-malienne à Bamako, arbitrée tant bien que mal par l’organisation régionale ouest-africaine, la CEDEAO, avec les bons offices du président burkinabé Blaise Compaoré. A l’issue de cette médiation, pourtant incomplète (le président de l’Assemblée, président par intérim, est encore réfugié à Paris à la suite d’une tentative d’élimination), les efforts se sont reportés sur la reconquête du Nord. Un sommet à Lomé le 6 juin, a décidé de saisir le Conseil de Sécurité afin d’y déployer une force africaine estimée alors à 3.300 hommes. La présidence de la CEDEAO est assurée désormais par le président ivoirien, le musulman Alassane Ouattara.
Comme l’a remarqué fort justement l’ancienne ministre malienne, l’altermondialiste Aminata Traoré, ce sont les opposants africains à la guerre en Libye (les meilleurs amis de feu le colonel Kaddafi) qui sont désormais à la pointe de l’intervention au Nord-Mali ! Ils sont restés sur le schéma traditionnel de l’intégrité territoriale des Etats africains. Or ce schéma est remis en cause par la prise de pouvoir islamiste à Tombouctou, Gao et Kindal. Mais qui sont ces « islamistes » ? Le groupe mis en avant, Ansar Dine, est à l’origine une dissidence du mouvement touareg de l’Azawad. Vus d’Afrique du Nord, ce sont toujours des Touaregs maliens. Alger avait donc résolu de demeurer discret dans un conflit d’abord ouest-africain, au grand dam de ceux qui voulaient faire de l’Algérie une sorte de gendarme régional, et l’inciter à une grande politique africaine, après que Egypte et Libye, qui en étaient les champions, aient fait défaut (le Maroc, depuis l’affaire du Sahara occidental, n’est pas membre de l’Union Africaine, position qui pourrait changer si Alger s’en mêle).
C’est alors que l’on assiste, quasiment en direct, dans une opération mondialement médiatisée, à la destruction à la main de sept mausolées de saints marabouts à Tombouctou par des militants salafistes. Quelques jours seulement après la réception d’une délégation d’Ansar Dine à Alger venue négocier la libération du Consul algérien de Gao et de six collaborateurs enlevés le 5 avril par un groupe « terroriste », le MUJAO, Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (1)1., dissident de l’AQMI (Al Qaeda pour le Maghreb islamiste) ! En l’occurrence, il s’agit non plus du tout de Maliens mais d’islamistes algériens poursuivant leur guerre avec le régime algérien, et ayant multiplié ces derniers temps des incursions au Sud-Algérien (Tamanrasset, Ouargla).
Une intervention ouest-africaine au Nord ne se conçoit pas sans l’Algérie. Mais une intervention algérienne sera la guerre de l’Algérie et non celle des Africains. On risque alors de retomber dans l’ambiguïté originelle de l’intervention en Afghanistan : une opération anti-terroriste dirigée contre Al Qaeda, et une guerre contre les Talibans. Alger veut en découdre avec le MUJAO mais ne tient pas à mener une guerre contre Ansar Dine ou les Touaregs. Il devrait sur ce point avoir le soutien de Paris et de Washington qui ont appris leur leçon afghane. Mais cela ne satisfera pas les Africains. Une résolution trop imprécise du Conseil de Sécurité de l’ONU qui ignorerait ces subtilités serait la porte ouverte vers une nouvelle aventure. Alger n’en a pas besoin.
- L’Unicité est le mot clé : la destruction de mausolées de « saints » musulmans en est la conséquence directe. Au-delà même du « salafisme », terme trop général, c’est typique du mouvement wahhabite (d’AbdelWahab en Arabie au XVIIIe siècle) qui ne reconnaît aucun intermédiaire entre Dieu et le fidèle en Islam, donc aucun saint. Le Wahhabisme a ainsi commencé par détruire la propre tombe du prophète Mohamed. L’Arabie saoudite ne commémore pas la naissance du prophète (Mouloud, fête célébrée partout ailleurs dans le monde musulman). Les destructions de Tombouctou sont donc à attribuer au MUJAO et non d’une manière indistincte à « Ansar Dine », sous-entendu aux Touaregs, même s’il s’agit désormais d’une nébuleuse.
On ne saurait donc comparer cet acte de destruction avec celle des Bouddhas de Bamiyan par des Taliban afghans, qui étaient les témoignages d’une autre religion. Il s’agit ici d’une concurrence intra-islamique : malékites contre wahhabites. Tombouctou n’est pas non plus devenu, comme le titrait une opinion du « Monde » (29 juin), « l’épicentre d’un obscurantisme islamiste africain ». Les destructions à Tombouctou sont au contraire une négation de cet « Islam noir » si bien décrit par Vincent Monteil.
Ce n’est pas non plus une réaction « iconoclaste ». Car en l’occurrence, il n’y a pas de différence sur ce point entre Musulmans, africains ou non. La représentation de Dieu par l’image est partout proscrite