Paris, 25 février 1954, vers 18 heures, dans le quartier de la bourse, au 36 rue Vivienne, un jeune homme en gabardine entre chez monsieur Alexandre Silberstein, courtier en monnaie. Il vient pour s’emparer de la caisse. Silberstein a la présence d’esprit d’appeler à l’aide. Entendant les cris de sa victime, le jeune homme panique. Il fuit par les rues adjacentes. Sur les grands boulevards, l’agent de police Vergne est près de l’arrêter. Le jeune homme s’affole, glisse la main dans la poche de sa gabardine, serre le pistolet qui s’y trouve, sans sortir l’arme de sa poche, tire. L’agent de police, jeune père d’une petite fille de quatre ans, s’effondre mortellement blessé. Quelques minutes plus tard, le malfrat est arrêté. Ainsi commence l’affaire Jacques Fesch. Ainsi commence le long cheminement vers Dieu de Jacques Fesch dont le cardinal Jean-Marie Lustiger disait : Personne n’est jamais perdu aux yeux de Dieu.
Jacques Fesch n’était aucunement destiné à devenir un voleur, encore moins un tueur de flic. Mais ce n’était pas une époque anonyme, comme le dit son ami d’enfance Michel Grondin : « Il y eut la guerre 39/45 et pendant cette guerre il a vécu dans l’ignorance du mal. Le mal était normal… normalité des violences de la guerre… ». Ce que confirme Jean Duchesne : « Il a eu le malheur de devenir adolescent dans une époque où tous les courants intellectuels rejettent les critères de la morale bourgeoise. Simplement, l’individu doit se construire avec ses désirs, sa volonté. Parce qu’il est faible ! Il considère qu’il a droit à ses rêves… idéaux porté par la littérature de l’époque ».
Au début des années 50, Jacques Fesch fonde une famille avec Pierrette Polack dont il a une fille Véronique. Dans un premier temps, il travaille chez son beau père distributeur de charbon. Sa mère lui donne de l’argent pour créer une société identique. Il en profite pour s’acheter une belle voiture. Fin 52-53, il y a une espèce d’emballement, c’est un garçon qui n’a pas trouvé sa place. Il décide de fuir. Fesch rêve du grand large ! Partir en voilier, ailleurs ! Chez ce jeune homme en déshérence, pour réaliser ses rêves, il lui faut beaucoup d’argent et c’est ainsi qu’il est devenu voleur et assassin. Dans l’après guerre, tuer un flic, même par inadvertance, conduit immanquablement à l’échafaud. Il sera guillotiné le 1er octobre 1957, jour de la sainte Thérèse. Il avait 27 ans.
L’affaire judiciaire est terminée. L’affaire Fesch, la destinée de cet homme commence. Il va croiser le chemin du Christ et ne plus le quitter. Du fond de sa cellule le larron va retrouver Dieu. Va retrouver le chemin de Dieu. Jacques Fesch va écrire, se raconter, raconter son voyage vers la félicité. S’avouer croyant n’est pas si simple qu’il y paraît, même entre quatre murs. Le témoignage de Jacques Fesch, son cheminement spirituel est sans doute l’un des beaux voyage que nous pouvons lire aujourd’hui. Voilà sans doute pourquoi nombre de croyants se retrouvent dans ses paroles. Voilà pourquoi le cardinal Lustiger a voulu faire instruire son procès en béatification.
Jean Duchesne. « Avec Bernard Gouley, j’ai écrit un livre en 1994, à la demande de Mgr Lustiger, lorsque ce dernier a accepté d’introduire la procédure de béatification. J’avais lu les écrits de Jacques Fesch à leur parution et j’avais été impressionné par la démarche de Fesch. C’est vraiment une démarche de foi. Pour Mgr Lustiger le message de Jacques Fesch est que quiconque est en situation de rejet par la société, et Fesch représente bien le rejet maximal, n’est pas rejeté par Dieu. Ceci constitue donc un espoir pour tous »… « Depuis 1983 les causes de béatification peuvent être introduites par les évêques locaux. Il doit y avoir toute une procédure diocésaine avant que le dossier soit transmis à Rome. Nous en sommes là. Je pense que d’ici trois ans nous pourrons transmettre le dossier, car Fesch a beaucoup écrit (plus de 500 lettres) et nous devons toutes les vérifier. Une béatification ne crée pas un saint pour le mettre sur les autels mais reconnaît la légitimité d’un culte qui est déjà là ».
Ce qu’explique Quentin Toury : « Par ses écrits. Il y a un lien particulier entre Fesch et ses lecteurs. Il y a une sorte de dévotion personnelle. Au point que sa tombe à Saint-Germain en laye est devenu un lieu de quasi pèlerinage où des anonymes déposent de petits mots (encore actuellement). Beaucoup lui demandent d’être leur intercesseur. Les gens viennent de France comme de l’étranger. On retrouve, sur sa tombe aussi de petites statuettes, des objet, des ex-votos. C’est un vrai culte populaire qui s’est créé spontanément ».
En 2007, pour le cinquantenaire de la mort de Jacques Fesch, en l’église de Saint-Germain, sa ville natale, une messe est dite. Autour de la famille, des amis, comme Michel Grondin, et une petite foule de lecteurs des écrits du condamné à mort. C’est à partir de cette énergie commune qu’une association « Les Amis de Jacques Fesch » est créée deux ans plus tard. Michel Grondin a accepté d’en être le président d’honneur et Quentin Toury le vice président délégué général. L’un des principaux objectifs de cette jeune association est de faire connaître les écrits de Fesch. Elle a décidée d’envoyer gratuitement des livres dans les prisons et les écoles. En outre, elle souhaite apporter une aide morale aux détenus, aider à leur réinsertion et apporter un soutien aux jeunes en manque de repères.
Mais ce n’est pas tout. Alain Sportiello, jeune et talentueux comédien qui nous a donné plusieurs années de suite un superbe « Moi François d’Assise » a interprété, en mars et avril 2009, dans la crypte de l’église Saint-Sulpice à Paris, « Lumière sur l’échafaud », les lettres de prison de Jacques Fesch. Pièce qui a d’ailleurs été reprise lors du festival du Marais chrétien à Paris.
En décembre et janvier derniers, la chaîne de télévision « 13ème rue », productrice du film, a diffusé plusieurs fois le beau documentaire de Patricia Valeix : « L’affaire Fesch ». Patrica Valeix : « La première fois que j’ai entendu parler de Fesch, c’était dans un livre qui parlait d’un culte populaire sur sa tombe. Pour moi, c’était un mystère et j’ai traité mon documentaire sous forme de mystères successifs : le basculement entre sa vie avant la prison, son acte – le meurtre du policier – sa vie en cellule, sa rencontre avec la foi. Personne n’a d’explication ! Avec Fesch, ce basculement je le vois presque comme une tragédie grecque.
L’enchaînement des événements conduit à la formule : chronique d’une mort annoncée, c’est très troublant. Après, il y a le mystère de la conversion , mais aussi le mystère de la confrontation avec l’enjeu final : la guillotine. Et encore après sa mort, le mystère de sa vie posthume. A chaque fois, on n’a pas de réponse… de vérité absolue. On n’a que des conjectures et c’est cela qui est troublant dans sa vie comme dans sa conversion, comme dans son aura posthume. C’est cela que j’ai essayé de montrer dans mon film. »
Paradoxalement, peut-être, Jacques Fesch est mort en homme libre… beaucoup plus libre, enfermé dans sa cellule 18 de la Santé que dans la société ? « Oui, c’est pourquoi nous avons tourné la scène où on le voit dans une espèce de halo très lumineux. Une lumière très crue où les murs de sa cellule ont disparu… Parce qu’il a trouvé, grâce à Dieu, une liberté absolue ».
L’association « Les amis de Jacques Fesch »
13, rue du vieil abreuvoir
78100 Saint Germaine en Laye
Jacques Fesch
“Lumière sur l’échafaud”
suivi de “cellule 18”
Éditions Téqui
Jean Duchesne et Bernard Gouley
“L’Affaire Jacques Fesch”
Éditions de Fallois
La pièce de théâtre
“Lumière sur l’échafaud”
interprétée par Alain Sportiello
mise en scène par Maria Blanco
sera reprise à
l’Essaïon Théâtre
6, rue Pierre au Lard
75004
le dimanche 21 mars 2010