L’année dernière les Français sont descendus dans la rue par centaines de milliers pour marcher en faveur du mariage traditionnel. Ils ont rejoint la Manif pour Tous, réponse à la loi du Mariage pour Tous qui a légalisé le mariage entre personnes de même sexe. La reconnaissance de ce mariage ne signifie pas seulement « la reconnaissance d’un amour entre deux personnes mais également d’une institution qui protège la dignité respective des enfants et des parents, et qui encadre la filiation ». Les manifs pour tous ont impressionné par le nombre des participants, dépassant largement celui des manifestations aux Etats-Unis.
Faisant fi de l’opinion de la population, le gouvernement a imposé sa loi, généralisant ainsi l’indignation publique. Un étalage de force physique accompagnait la démonstration de force législative. Les marcheurs (dont des femmes, des enfants, des personnes âgées et même des prêtres) se sont fait asperger de gaz lacrymogène, frappés ou arrêtés par des policiers anti-émeute. L’un des cortèges empruntés par les manifestants partait de la place de la Bastille, passait par la rue Diderot et arrivait à la place de la Nation, où les discours de clôture étaient prononcés, avant que les participants ne se dispersent pacifiquement.
Cette place, il y a un peu plus de deux siècles, a vu versé le sang des citoyens français sans distinction de naissance pour l’amour de la République, parce qu’ils étaient opposés au nouveau régime. Un remarquable groupe de religieuses carmélites compte parmi les victimes.
L’histoire est connue (Georges Bernanos en a fait un scénario dont Hébertot et Bruckberger ont fait une pièce, Bruckberger et Agostini un film, Francis Poulenc un opéra).
Le lendemain de la fête de Notre Dame du Mont-Carmel, seize carmélites de Compiègne sont montées sur l’échafaud en 1794 en chantant le Veni Creator (l’hymne qu’elles chantent le jour du renouvellement des vœux), et ont été décapitées. Le Tribunal révolutionnaire a prouvé leur trahison en décrochant du mur du couvent une image du Très Saint Cœur de Jésus et une autre du roi renversé.
Quatre années plus tôt, l’Assemblée nationale avait demandé à l’Ordres du Carmel de justifier son existence. Mère Nathalie de Jésus avait alors rédigé :
« On aime à publier dans le monde que les monastères n’enferment que des victimes lentement consommées par les regrets ; mais nous protestons devant Dieu, que s’il est sur terre une véritable félicité, nous en jouissons à l’ombre du sanctuaire, et que s’il falloit encore opter entre le siècle et le cloître, il n’est aucune de nous qui ne ratifiât avec plus de joie encore, son premier choix ».
La longue pénitence des Carmélites commence le jour de la fête de l’Exaltation de la Sainte-Croix et continue jusqu’à Pâques. En 1792, la congrégation des religieuses de Compiègne est dissoute et on les extrait de force de leur cher carmel pour les renvoyer à la vie civile. Seulement quelques mois avant cet événement, elles avaient ensemble décidé de s’offrir comme victimes de la justice divine pour restaurer la paix en France et dans l’Eglise. Elles ont réitéré leur serment chaque jour, continuant à se retrouver en secret habillées en laïques, et se réunissant pour la prière commune.
Découvertes au mois de juin 1794, elles sont incarcérées à l’ancien couvent de la Visitation puis transférées en juillet à la Conciergerie à Paris, où d’autres prêtres et religieuses attendent la mort que leur donnera le couperet de Madame La Guillotine. (Assez ironiquement, la seule carmélite qui soit noble de naissance avait échappé à la mort parce qu’elle était en déplacement. Elle est devenue le premier historien à s’intéresser au martyrs). Elles sont jugées le 17 juillet, le lendemain de la fête de Notre Dame du Mont-Carmel, et dans la ville même où Sainte Jeanne d’Arc avait été abandonnée et livrée trois siècles auparavant, elles sont condamnées à mort.
La Révérende Mère Émilienne, Supérieure générale des Sœurs de la Charité de Nevers rapporte dans une lettre les paroles d’un témoin :
« J’ai appris par une personne qui fut témoin de leur martyre que la plus jeune de ces bonnes Carmélites fut appelée la première et qu’elle fut se mettre à genoux devant sa vénérable supérieure, lui demanda sa bénédiction et la permission de mourir. Elle monta ensuite à l’échafaud en chantant : Laudate Dominum, omnes gentes [ le psaume que Ste Thérèse d’Avila a chanté 190 ans plus tôt quand elle a fondé le nouveau Carmel]. Elle fut ensuite se placer sous le couteau qui devait consommer son sacrifice, sans permettre au bourreau de la toucher. Toutes les autres en firent autant. La vénérable Mère fut la dernière immolée. Pendant tout ce temps, il n’y eut pas un seul roulement de tambour ; mais il régnait un profond silence ».
Un autre témoin à raconté que les sœurs étaient radieuses, comme si elles allaient à leurs noces.
Dix jours plus tard, Robespierre allait être exécuté au même endroit, et le gouvernement militaire provisoire toucherait à sa fin. Le sacrifice des Carmélites, et de celui d’une foule innombrable d’autres personnes tuées pour leur foi dans la France révolutionnaire, a fait monter vers Dieu une douce oblation.
Le pape Saint Pie X a béatifié les Carmélites martyrs, dont les corps ont été enterrés dans une fosse commune du cimetière de Picpus, à 500 m de la place de la Nation. Une plaque fort discrète sur le mur du cimetière au nom des seize sœurs « mortes pour la Foi » leur sert d’épitaphe.
Leur histoire compte parmi toutes celles qui se sont déroulées dans toute la France pendant le Règne de la terreur, quand une république fondée sur les nobles idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité, sans attaches chrétiennes, a inéluctablement fini par écraser une opposition souterraine sans défense.
Aujourd’hui nous constatons que la Cinquième République présente des ressemblances assez troublantes avec la Première, parce qu’elle établit un régime, au nom d’une « égalité » entièrement créée par l’homme, qui, en détruisant la famille, n’a d’autre avenir que la destruction de la civilisation. Plus troublant encore, le gouvernement a montré sa volonté d’employer tous les moyens politiques possibles – et si jamais ce n’était pas suffisant, tous les moyens physiques possibles – pour imposer sa volonté.
Comme d’habitude, les médias ont très largement fermé les yeux, prouvant ainsi que le drapeau tricolore au dessus de Marianne dans le célèbre tableau de Delacroix, qui représente la devise tripartite de la république, est aujourd’hui, comme à l’époque, n’est guère plus qu’une simple propagande.
Il se pourrait bien que les martyrs d’hier servent, et peut-être plus tôt qu’on ne le croit, de témoins aux martyrs de demain. Et cela ne vaut pas seulement pour la France.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2014/past-and-future-martyrs.html
http://www.youtube.com/watch?v=P85S_70oSOk
Final du Dialogue des Carmélites de Francis Poulenc, Opéra National du Rhin, 1999
Christine Niles est diplômée de l’université d’Oxford et de la Notre Dame Law School. Elle est animatrice pour la radio Forward Boldly Radio, ses interventions sont disponibles sur : http://forwardboldly.com.
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