Les maronites de France s'enracinent - France Catholique
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Les maronites de France s’enracinent

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Le cardinal Béchara Raï, patriarche des maronites, était en visite pastorale en France du 25 au 28 avril. Il a rencontré le cardinal Vingt-Trois le 25 avant de prononcer une conférence à l’Unesco. Le 26, il a présidé une messe d’action de grâce à Notre-Dame du Liban à Paris à 10 h avant d’inaugurer le nouveau siège de l’éparchie de France à Meudon. Le 27, il a été reçu à l’ambassade du Liban, au Sénat, et à l’Élysée par le président François Hollande le 28 avril. Le même jour, il a lancé les journées culturelles de Beit Maroun à Meudon.


Les maronites cultivent depuis des siècles des liens privilégiés avec la France. L’Église maronite, née au Proche-Orient, est, suivant la formule consacrée « patriarcale, catholique, antiochienne et syriaque » :

– patriarcale car elle est gouvernée par le synode des évêques maronites, qui élit son patriarche, actuellement S. B. le cardinal Raï ;

– catholique car elle est en communion avec Rome ;

– antiochienne et syriaque car elle hérite de la tradition de l’Église d’Antioche fondée par saint Paul, et des grands saints syriens.

L’Église maronite vit aussi pleinement dans notre monde moderne.
Saint Maroun, un ermite thaumaturge du IVe siècle qui vivait en plein air au sommet d’une colline, au nord d’Alep, est l’inspirateur des maronites. Ils doivent en effet leur nom au premier monastère qui est dédié à saint Maroun, à Apamée, en Syrie. Fortement engagés dans les querelles théologiques des premiers siècles, les moines maronites font partie des défenseurs du concile de Chalcédoine. Emportés par la tourmente des guerres engendrées par l’invasion arabe, isolés du reste de la chrétienté, ils sont conduits à élire leur propre patriarche, créant de fait une nouvelle Église orientale. Victime de l’anarchie entre factions musulmanes qui règne au IXe siècle, le monastère d’Apamée disparaît, entraînant l’exil de maronites vers le sud, et la fondation du monastère Saint-Georges au mont Liban. L’Occident redécouvrira ces chrétiens oubliés à la faveur des croisades. En découle le rattachement des maronites à l’Église catholique, reconnu solennellement par le concile de Tripoli en 1216. Après la chute du royaume de Jérusalem, vaincus et persécutés par les Mamelouks puis par les Ottomans pendant des siècles, et malgré leur isolement du reste de la chrétienté, les maronites ont persévéré dans la foi grâce à leurs monastères, et au refuge que leur confère le mont Liban.

Antoine Assaf, philosophe, nous rappelle les grandes étapes de l’amitié unissant la France aux maronites. Durant les croisades, les soldats et les moines maronites sont venus au secours de Saint Louis, qui les déclare en 1250 « une partie de la nation française ». Victimes des massacres de 1860, ils doivent leur salut à l’intervention de la France. C’est aussi le début de l’exil pour nombre d’entre eux, qui partent former les premières diasporas, notamment en France. Napoléon III accordera la protection de la France aux maronites, qui sera confirmée par la IIIe République. À partir de la première église maronite établie en France en 1914, un foyer est créé rue d’Ulm à Paris avec l’aide de l’État. La France joue par la suite un rôle déterminant dans la formation de l’État du Liban. Cette relation privilégiée avec la France est confirmée par Charles de Gaulle, pour qui les maronites sont « les Poulains de la France ». L’intervention française pendant la guerre du Liban s’inscrit dans cette politique, tout comme la célébration officielle de la saint Maroun dans plusieurs mairies, dont celle de Paris.

Grâce à Benoît XVI, l’Église maronite de France, qui compte environ 50 000 fidèles, est aujourd’hui constituée en éparchie : elle dispose depuis 2012 d’un évêque en propre, Mgr Maroun-Nasser Gemayel membre de plein droit de la Conférence des évêques de France, (comme l’évêque arménien catholique Mgr Jean Teyrouz et l’évêque ukrainien catholique Mgr Borys Gudziak…) « Elle peut ainsi structurer sa présence, commente Mgr Raymond Bassil, vicaire apostolique, tout en restant solidaire de l’Église de France ». Outre les paroisses de Paris, Suresnes, Marseille et Lyon, il existe de nombreuses missions maronites dans toute la France. Mgr Bassil constate que cette population jeune et active réclame une présence ecclésiale, qui lui est apportée par de nombreux prêtres en activité. « L’Église maronite est une église du peuple, souligne-t-il. Elle accompagne ce peuple. Mais ces prêtres viennent pour la plupart du Liban, et l’enjeu à terme sera de constituer un clergé français.  »

Un autre enjeu de taille porte sur la langue liturgique. Les Psaumes et la prière de consécration sont chantés en araméen comme le veut la tradition. Le reste de la liturgie est en arabe, ou en français. Il est vrai que les descendants des immigrés de troisième ou quatrième génération pratiquent moins l’arabe. Comment concilier l’ancien et le nouveau ? Antoine Assaf souligne que la théologie et la liturgie maronites ont fusionné l’antique tradition d’Antioche et la modernité de la pensée et du rite latins. Cette fusion permet à l’Église maronite d’affronter la gageure de faire vivre une tradition spirituelle orientale dans une société occidentale sécularisée. « Si les maronites ont été affectés par le modernisme, ils ont conservé la vigueur de l’âme de leur tradition », souligne Antoine Assaf. Le vitrail représentant saint Charbel dans la cathédrale de Notre-Dame du Liban, rue d’Ulm à Paris, en est l’illustration : de facture résolument moderne, il porte aussi une inscription en araméen. La messe dans le rite maronite témoigne aussi à sa manière de l’intégration de la tradition dans la modernité : célébration à l’autel suivant Vatican II et communion avec du pain azyme vont de pair avec l’antique chant du Trisagion. Les maronites ont également adopté le calendrier grégorien, mais le carême commence deux jours plus tôt, avec le « lundi des cendres ». Le P. Elie Akhoury, de Notre-Dame du Liban à Paris, mentionne aussi la tradition du « jeûne de Ninive », qui commence trois semaines avant le carême, et la procession de la Croix le Vendredi saint.

La place des laïcs dans l’Église a été reconnue par les maronites bien avant Vatican II. Mgr Bassil insiste sur l’absence de « cléricalisme radical » chez les maronites. « Les laïcs sont envoyés deux par deux pour les missions comme la catéchèse, l’entretien de la sacristie, etc. » De même, les femmes jouent un rôle important dans les communautés. Mgr Bassil précise que « nous n’avons pas de théologie féministe : la mission des femmes dans l’Église s’inscrit dans une perspective de complémentarité, et non de rivalité avec l’homme. En particulier, la femme est promotrice de la culture et de la religion, et apporte la paix et la miséricorde. C’est elle qui transmet la foi, elle qui noue des relations avec les paroissiens, et leur rôle est appelé à croître ». Outre les pèlerinages prévus à Lourdes, Lisieux ou Fatima, les projets de l’éparchie maronite sont nombreux : organisation des communautés, structuration des paroisses, formation des communautés, vocations de tous ordres. Nul doute que le dynamisme qui l’habite lui apporte de nombreux fruits.

En témoigne Younane, jeune étudiant d’origine libanaise, très engagé dans les groupes de jeunes de Notre-Dame du Liban, et cofondateur du groupe Antiokia qui rassemble des jeunes catholiques de rite oriental et de rite latin. Pour lui, il y a « une continuité de croyance et une convivialité entre les Églises occidentales et orientales ». Sa fidélité va pourtant au rite maronite de son enfance, où il trouve « tendresse, écoute et reconnaissance ». « La musique, la mélodie, la participation des laïcs, la langue syriaque proche de celle du Christ » fondent son attachement aux célébrations maronites. Mais l’union dans l’Église de France passe aussi par la langue française, un enjeu qui dépasse selon lui la question linguistique : « Il s’agit pour nous de vivre ensemble l’union dans l’Église. »

Antoine Assaf insiste lui aussi sur l’esprit évangélique qui anime aujourd’hui les maronites, notamment dans la paix avec les musulmans, toujours à construire. Pour lui, l’Église maronite, qui a été pendant des siècles un pôle de fidélité à l’Église, peut grâce à son expérience et sa connaissance de l’islam contribuer à construire la paix religieuse et sociale. « La vocation des maronites est le dialogue avec l’islam », insiste le philosophe, persuadé que « seule l’ouverture spirituelle permet un dialogue de vérité ». Il rejoint Mgr Bassil, qui voit dans les maronites des « passeurs de civilisation et de culture ». Les relations qui se sont nouées au Liban entre maronites et musulmans pourraient en effet servir utilement à l’élaboration d’un dialogue de vérité entre les religions en France, et peut-être même inspirer les pouvoirs publics manifestement en panne d’idées pour appréhender les différentes composantes de l’islam.

Comment instaurer en France un tel dialogue, plus que nécessaire ? « La laïcité française a longtemps été un modèle, mais il ne faut pas qu’elle devienne une religion », souligne Mgr Bassil, qui note également que « la laïcité n’est pas infaillible ni intouchable ». La laïcité doit apporter le respect de toutes les religions, et non les rejeter. « Il faut préférer le mot citoyenneté à la laïcité », estime Mgr Bassil, pour qui « la France a des valeurs évangéliques. Lorsque la nation perd son âme, la laïcité devient un mot creux et blessant. Il faut revenir au patrimoine français et à la raison ». […] « La juste laïcité en France doit rester large et respecter toutes les croyances », ajoute Mgr Bassil : « La priorité en France doit être de remédier à la pauvreté et à l’injustice ». Younane témoigne quant à lui de l’estime dont jouit la laïcité française : « La liberté d’action qu’on a en France est quasiment incomparable avec ce qui existe dans les pays où les chrétiens sont persécutés ».
« Les Maronites sont fiers de leur patrimoine, de leur mission, et sont solidaires de la France et de l’Église de France », conclut Mgr Bassil. Un enjeu que partage Younane, qui rappelle avec fierté la devise de l’éparchie maronite : « Authenticité et mission ».


Le 16 avril, Mgr Gemayel recevait une vingtaine de journalistes privilégiés pour leur faire visiter le nouveau siège de son éparchie dans une belle villa de Meudon, dotée d’une petite chapelle, et dont le jardin contient deux cèdres centenaires, et qui accueille dès maintenant une communauté de prêtres et d’étudiants libanais. Il leur a détaillé les enjeux pastoraux et politiques de la visite du cardinal Raï, sur laquelle nous reviendrons dans un tout prochain numéro de France Catholique. Il leur a dit également ses ambitions culturelles pour le siège de son éparchie, avec une première exposition sur la présence maronite en France et le lancement des journées culturelles de Beit Maroun, dont nous aurons également l’occasion de parler. Une chose est certaine : en coupant le moins possible avec leurs racines libanaises, les maronites de France s’enracinent de plus en plus dans notre pays, au point de constituer un laboratoire de dynamisme missionnaire, exemplaire pour chacun d’entre nous.