Les limites de la subsidiarité. - France Catholique
Edit Template
Pâques. La foi des convertis
Edit Template

Les limites de la subsidiarité.

Copier le lien

Quel que soit le destin de l’Obamacare, on ne peut esquiver le fait que le grand débat américain sur la protection santé est loin d’être clos.Le débat a parfois été si virulent qu’il a même versé dans la théologie, quand les partisans de chaque bord s’armaient de gourdins dénommés respectivement « subsidiarité » et « solidarité ». Ces dernières semaines, on a même vu ces deux termes catholiques, peu familiers à la plupart des Américains, utilisés pour défendre ou condamner les propositions budgétaires fédérales de Paul Ryan.

Dans les grandes lignes, les tenants de la subsidiarité sont des gens réticents ou hostiles à confier à l’Etat le domaine de la protection sociale – préférant que la charité soit dispensée aux plus bas échelons de la société : par les communautés et les familles. Les tenants de la solidarité, au contraire, croient que la société dans son ensemble est souvent meilleure administratrice de la protection sociale, et préfèrent que des domaines comme l’assurance santé soient administrés par l’Etat.

Pour le moment, il semble que les tenants de la subsidiarité aient le dessus, mais la question est rien moins que réglée. Durant les cent dernières années, non seulement aux Etats-Unis mais dans toutes les sociétés avancées, la tendance a été de s’éloigner de la subsidiarité alors que se développaient différentes formes d’Etats-providence. Jetons-y un oeil clairvoyant pour comprendre pourquoi il en est ainsi.

Les tenants de la subsidiarité parlent avec chaleur de l’organisation sociale telle qu’elle était dans les jours anciens, quand les communautés se composaient de gens se connaissant et s’entraidant et de familles élargies. Pourquoi, dans cette optique, les catholiques devraient-ils soutenir une assistance sociale d’état froide, impersonnelle et bureaucratique, alors que pendant la plus grande partie de l’histoire de l’Eglise, les catholiques ont subsisté en prenant soin les uns des autres ? A l’appui de cette conviction – de plus en plus commune à l’ère Obama – le fait que des programmes tels que Medicare, Medicaid, Sécurité Sociale, ont été adopté par hasard ou pire, en qualité de complot progressiste visant à subvertir les communautés et les familles en les rendant dépendantes de l’Etat.

Dans sa conviction fondamentale, le tenant de la subsidiarité n’a pas tort. Les gens avaient l’habitude de prendre soin les uns des autres mieux que l’Etat et sans son concours. En Occident, le mode de gestion communautaire du risque était originellement la société féodale – avec des paysans et des seigneurs combinant les ressources pour prendre soin des malades et des mourants. Ce système fonctionnait correctement, quoique vulnérable aux risques systémiques : pas de remèdes aux récoltes insuffisantes, famines, guerres, sécheresses et pandémies, quand trop de gens sont touchés simultanément. Malgré cela, la civilisation a survécu.

Avec l’avènement du capitalisme moderne, le système féodal s’est effondré. La fourniture de protection sociale a été en grande partie assurée par des guildes, des corporations, et – de plus en plus – par des sociétés de secours mutuel. Moyennant un droit d’adhésion et une participation active, les sociétés de secours rendaient visite à leurs membres malades, organisaient des souscriptions pour les dépenses médicales et funéraires. Au fil du temps, nombre d’entre elles se sont organisées sur le long terme pour secourir également les infirmes.

Ces sociétés pratiquaient aussi la solidarité, avec des réunions régulières des adhérents, imprégnées d’effluves spécifiquement religieux – prières, lecture de la Bible et camaraderie. Les Knights of Colombus ont été fondés comme modèle desociété de secours mutuel. L’organisation ressemblait à un rêve de théologien subsidiariste. Les gens prenant soin les uns des autres au sein des familles et des communautés, en toute charité chrétienne. Qu’y avait-il à rejeter ?

Ce qui est arrivé tient en un mot : modernité. Les sociétés de secours mutuel ont commencé à s’effondrer bien avant l’avènement du système étatique de protection sociale. En comprendre la raison est capital pour prévoir pourquoi elles ne se réléveront probablement pas.Une première difficulté est l’immense progrès de la science médicale. Quand le rôle du médecin se limitait à amputer des membres malades, distribuer des antalgiques ou autres remèdes maison (souvent sans effet), les patients étaient quasiment laissés à eux-mêmes, pour guérir ou non.

Une petite communauté pouvait facilement faire face aux soins de santé disponibles en 1870. C’était plus difficile en 1910. Ce serait impossible de nos jours, les soins anticancéreux ou cardiaques, pour ne citer qu’eux, se montant facilement à plusieurs centaines de milliers de dollars. Si les tenants de la subsidiarité veulent le modèle communautaire de 1870, le corollaire est d’accepter le niveau de soins de 1870. Des candidats ?
Une autre chose qui a tué les sociétés de secours mutuel est l’autre fait marquant du capitalisme moderne : la mobilité sociale. Avec des gens quittant de plus en plus la ferme pour la ville, puis la ville pour une autre ville, la solidarité sociale qui faisait fonctionner les sociétés de secours est tombée. La solidarité est en fait une condition absolument nécessaire (quoique non suffisante) pour permettre au système de subsidiarité de fonctionner. Et la solidarité ne tient tout simplement pas face à un marché du travail dynamique. Envie de partir au Texas pour profiter de cette magnifique offre d’emploi ? Alors quelqu’un doit prendre soin de grand-papa et du cousin éclopé de retour au bercail.

La dernière bourrasque qui a emporté les sociétés de secours a été une innovation capitaliste de traitement du risque : l’assurance individuelle. Les compagnies d’assurance prenaient en compte à la fois le coût croissant des dépenses médicales et la mobilité sociale. Elles pouvaient proposer des conditions plus avantageuses aux plus jeunes, aux plus sains, aux plus mobiles. Il restait aux sociétés de secours mutuel les plus vieux, les moins valides, les moins mobiles. Vous savez comment cela finit.

Mais qu’est-ce qui devait remplacer les sociétés de secours après le coup de grâce infligé par les guerres mondiales et la Grande Dépression ? Il n’y avait plus personne à part l’Etat et les sociétés privées d’assurance, confrontées aux mêmes problèmes de sélection défavorable qui avaient tué les sociétés de secours mutuel. A mesure que les critères de sélection inhérents à l’assurance privée ont augmenté, l’Etat a assumé un rôle grandissant. Les tenants de la subsidiarité n’ont pas encore à ce jour présenté une modélisation moderne qui gère mieux les risques.

Par conséquent, nous avons un système de protection santé qui n’est ni très « subsidiariste » ni très solidaire. La seule solidarité est un ersatz unissant le patron procurant une assurance santé et le bloc des électeurs seniors, marchant de concert derrière cet étendard paradoxal « gardez le gouvernement à l’écart de mon assurance-maladie ».

Je ne sais pas à quoi devrait ressembler le système de protection santé idéal. Mais je sais bien que des termes théologiques tels que « subsidiarité » ou « solidarité » n’apportent par eux-mêmes qu’un faible aperçu de la direction à prendre. Il y a de grand dangers à augmenter la puissance étatique, il y en a tout autant à laisser pratiquement sans recours les peuples de nos sociétés modernes. Sur cette question comme sur beaucoup d’autres, la complexité de l’ère moderne défie les slogans théologiques simplistes.

— –

Peter Brown termine un doctorat d’études bibliques à l’Université Catholique Américaine.

— –

Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2012/the-limits-of-subsidiarity.html

— –

Légende photo : Religieuses infirmières : leur travail durant les siècles passés a-t-il quelque chose à nous enseigner aujourd’hui ?