Dans Les Hérétiques, G.K. Chesterton écrit que l’ancien hérétique se considérait orthodoxe et pensait que l’établissement était hérétique. Pas dans le monde moderne. L’hérétique d’aujourd’hui ne veut rien avoir à faire avec l’orthodoxie et « dit, avec un rire conscient de son effet, ’je suppose que je suis très hérétique’, et attend des applaudissements. » G.K.C. ajoute qu’un homme «peut retourner et explorer un million d’objets, mais il ne doit pas trouver cet objet étrange, l’univers; car s’il le fait, il aura une religion et sera perdu. Tout compte – excepté tout. »
Cela pourrait facilement me servir pour évaluer le brouhaha qui sévit actuellement dans le monde artistique de New York – et dans l’Église.
Mais une distinction doit être faite entre Heavenly Bodies: Fashion and the Catholic Imagination (Les corps célestes : la mode et l’imagination catholique), la plus grande exposition jamais organisée dans le plus grand musée d’art des États-Unis, le Metropolitan Museum de New York (le « MET ») et le spectacle du Gala du MET, levée de fonds annuelle précédant le nouveau programme de l’année de l’Institut du costume Anna Wintour du MET.
Le Gala est devenu l’équivalent de Mardi gras à Manhattan. Les glitterati sortent, vêtus pour l’essentiel dans l’esprit du thème de l’année de l’Institut des Costumes, donc ce n’était pas surprenant, vu la vanité de cette année, qu’il y ait eu presque autant de sacrilèges exposés la semaine dernière que de décolletés. Mais ça, c’était le Gala.
L’exposition Heavenly Bodies est présentée (jusqu’au 8 octobre) dans deux salles et demie du MET: la salle médiévale du MET dans la 5e Avenue; les Cloisters [Cloîtres] (le musée médiéval du MET au parc du Fort Tryon, plus au nord et à l’ouest); et à l’étage inférieur du grand musée, à l’Institut du Costume lui-même.
Aux Cloîtres et dans la salle médiévale du MET, la haute couture contemporaine « catholique » est mêlée à l’art du Moyen-Age, et quelques-unes des juxtapositions sont frappantes. Je ne sais pas et ne me soucie pas de ce qu’un «recensement de la sexualité » de ces dessinateurs modernes montrerait, bien qu’il soit assez clair qu’il pencherait vers l’homosexualité chez les designers masculins (qui justement dominent). Et, tout comme au Gala, on trouve des exemples de mauvais goût et même de blasphème, peut-être dérivés de l’angoisse au sujet de l’enseignement catholique.
Pourtant l’exposition a reçu le cachet d’approbation du Vatican. Non seulement cela, mais Rome a envoyé d’étonnants trésors papaux à y inclure : des étoles et des chasubles, des tiares, des agrafes et des anneaux. Et, je dois dire, en m’inclinant devant le conservateur Andrew Bolton, catholique et homosexuel, tous les trésors du Vatican (de nombreux objets vieux de centaines d’années et tous dans un état de préservation étonnante) sont séquestrés à l’Institut du Costume ; c’est-à-dire qu’ils ne sont pas juxtaposés à la haute couture. Ainsi une chasuble de St Jean Paul II n’est pas placée près d’une création abominable d’Alexander McQueen. Les vêtements papaux sont exposés seuls, tandis que joue une musique sacrée et l’ambiance de l’avant-première où je suis allé ressemblait à une atmosphère d’église.
Pour moi, le pire, c’était un vêtement aux Cloisters, d’un designer américain, Rick Owens, qui ressemblait à un habit de moine et paraissait peu confortable. Ce vêtement fait pour être porté par un homme – comprend un trou semblable à un tunnel à l’entrejambe, commode pour que le… monsieur puisse… je ne sais quoi. Il était à la fois laid et idiot, ce qui soulève la question – surtout avec toutes les palabres de la littérature de Heavenly Bodies sur la beauté : Pourquoi inclure un objet monstrueux et qu’on ne peut pas porter tel que celui-ci ? Et on parle du tranchant émoussé de l’hérésie !
Dites ce que vous voudrez de tout le reste d’une exposition très inégale, certaines des robes étaient très belles. Et je prends M. Bolton au mot quand il dit – reconnaissant un certain degré de provocation, protestation et parodie dans le travail de quelques designers – que la plupart de ceux qui se sont tournés vers l’Eglise pour trouver leur inspiration l’ont fait pour rendre hommage à la beauté de la vie catholique traditionnelle.
C’est peut-être le problème cependant : voir les arbres mais pas la forêt. Oui, la beauté extraordinaire (travail manuel d’innombrables moniales) de la chasuble de Pie IX – représentant le meurtre d’Abel devant et le sacrifice d’Isaac au dos – pourrait en effet inspirer n’importe quel artiste à l’imiter, mais l’imitation n’est pas la foi, pas plus que s’habiller en prêtre ou en moine ou en religieuse ne donne à celui qui porte les vêtements le charisme des ordres sacrés.
Il semble clair que feu Gianni Versace avait un œil pour la beauté. Mais aimait-il la beauté au sens catholique ? Son imagination catholique était-elle catholique du tout ?
Une grande quantité des robes m’ont semblé plus proches de la fantaisie cinématographique – de Maid Marian dans les aventures de Robin Hood (1938), par exemple – que de quoi que ce soit qui ressemble à un exercice de véritable archéologie de la mode.
Pourtant, il y a un rapport évident entre la croix processionnelle byzantine du XIe siècle ci-dessus et, près d’elle, une robe du soir Versace, c. 1998. Mon imagination catholique n’a aucun mal à imaginer Olivia de Havilland portant la robe de Versace, Alors –et c’est une question à poser pour l’ensemble de l’exposition du MET – est-ce vraiment important si l’histoire « catholique » évoquée est en fait l’histoire de Hollywood ?
Trois choses : la première est que l’introduction de M. Bolton au volume principal (designer) du livre en 2 volumes qui décrit l’exposition commence : « Newsweek proclame dans un article sur les goûts vestimentaires de Benoît XVI ‘Le pape porte prada’… » la seconde est qu’un célèbre roman à clef d’un ancien assistant de Melle Wintour est intitulé Le diable porte Prada. Et la troisième, comme parodie d’une série de télévision « reality show », un article du New York Time sur les corps célestes commence : « L’archevêque Georg Gänswein dit oui à la robe. »
Gänswein (qui a aidé à ouvrir la porte pour Wintour et alia à Rome), le cardinal Gianfranco Ravasi (qui a grand ouvert les portes des sacristies de la chapelle Sixtine) et bien d’autres snobs du Vatican sont évidemment favorables à l’exposition du MET.
Cela a peut-être été une erreur, notamment à cause du gala. Mais j’ai entendu assez de commentaires stridents pendant plusieurs heures au MET et aux Cloisters pour supposer que la plupart des gens ont trouvé certains articles de mode stupides, d’autres charmants. Pourtant parmi les visiteurs des véritables vêtements liturgiques de l’institut du Costume, il y avait une réserve respectueuse.