Les Gréco-catholiques hellènes de Corse - France Catholique
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Les Gréco-catholiques hellènes de Corse

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Les Gréco-catholiques hellènes de Cargèse en Corse forment la plus ancienne communauté de chrétiens orientaux installée en France. Ils sont les descendants d’une communauté de migrants qui, au XVIIe siècle, ont fui le Magne, au sud de la Grèce, alors sous le joug des Ottomans. Ces Maniotes étaient sans doute prédestinés à rejoindre la Corse : le Magne, région montagneuse et côtière brûlée par le soleil, fut un temps une partie de la principauté franque du Péloponnèse ; il était régi par des clans familiaux rudes et fiers, pratiquant volontiers la vendetta.

Après des siècles de résistance contre les Ottomans, les Maniotes de Vitylo se sont résolus à abandonner leurs montagnes. Envoyant des délégués auprès des puissances chrétiennes de Méditerranée, ils trouvent un accord avec la République de Gênes, qui leur propose une installation sur la côte ouest de Corse, alors sauvage et dépeuplée, à condition que les Grecs deviennent catholiques. Le clan Stephanopoli arme donc trois bateaux qui prennent la mer en 1675 pour une véritable odyssée : l’un disparaît en mer, un autre s’arrête en cours de route à Corfou, et le dernier, un vaisseau français baptisé Le Sauveur, arrive jusqu’à Gênes. Éprouvés par le voyage, les 600 passagers ayant survécu reprennent des forces, accompagnés de leurs prêtres. Là, les chefs du clan signent les « capitulations » : les Grecs conservent leur rite byzantin, moyennant l’adhésion au catholicisme, mais ils seront subordonnés à un métropolite latin.

Ils refondent alors le village de Paomia, défrichent les rudes terres du maquis corse, construisent maisons et églises, et même un monastère avec une chapelle dédiée à la Nativité. Mais il souffle en Corse un vent de révolte contre la rapacité des Génois, qui mène à la révolte armée. Fidèles à la parole donnée, les Grecs ne prennent pas part à l’insurrection. Menacés par les indépendantistes, ils se réfugient en 1731 à Ajaccio, élevée depuis peu au rang d’évêché. Ils ont souvent tout perdu, et de nombreux Grecs deviennent militaires et forment la « Garde d’Ajaccio ». L’évêque leur accorde l’usage de la chapelle Notre-Dame du Mont Carmel, que l’on appelle aujourd’hui encore la « chapelle des Grecs » en souvenir de leur présence.

Après une longue période incertaine d’affrontements, Gênes cède l’île à la France en 1768. Les armées de Louis XV finissent par l’emporter. Le nouveau gouverneur, le comte de Marbeuf, futur marquis de Cargèse (et, dit-on, l’amant de Laetitia Bonaparte), va prendre un soin particulier de cette communauté de vétérans qu’il a intégrés dans son régiment. La ville de Cargèse est en effet construite par le génie militaire, et les Grecs y sont installés en 1775, ainsi d’ailleurs que des familles de rite latin.

En 1804, deux maisons contiguës sont réunies et transformées en une chapelle, utilisée alternativement par les deux communautés, mais des tensions conduisent les paroissiens de rite latin à faire construire une église avec l’aide de l’évêché, qui est inaugurée en 1851. Comme la chapelle utilisée par les Grecs est devenue trop petite, ils décident de bâtir eux-mêmes leur église, dédiée à saint Spyridon le thaumaturge, évêque chypriote du IVe siècle, patron des navigateurs, pourfendeur de l’arianisme… Achevée en 1872, elle se caractérise par une architecture latine et une orientation atypique qui donne à la baie de Cargèse son charme : les deux églises se font en effet face, car les Grecs n’ont pas voulu tourner le dos aux Latins.
Ils n’ont au début que les quatre icônes ramenées autrefois de Grèce, dont une très belle vierge entourée de saint Spyridon et de saint Nicolas de Myre qui est portée en procession lors des grandes fêtes. L’iconostase, initialement destiné au monastère de Grotta Ferrata, a été offert en 1886 par la Congrégation pour la doctrine de la foi à la paroisse grecque de Cargèse. Puis d’autres icônes vont être réalisées, complétées par un superbe ensemble de fresques réalisé de 1987 à 1999 à l’initiative de Mgr Marchiano. On note aussi une icône représentant Notre-Dame d’Afrique, réalisée par Mme Frangolacci : elle fait mémoire des quatre-vingts familles grecques parties en Algérie pour fonder, en 1874, le village de Sidi-Merouan dans la région de Constantine, et qui durent revenir à Cargèse à la fin de la guerre d’indépendance dans les années soixante.

Aujourd’hui, la paroisse gréco-catholique n’a pas de prêtre permanent. Pour les offices, la communauté fait appel au Père Athanase, qui est depuis 1962 l’achimandrite de Cargèse, mais qui demeure habituellement à Athènes auprès de l’exarque de l’Église gréco-catholique hellène. Celle-ci, probablement la plus petite des Églises orientales avec ses 3000 fidèles répartis entre la Grèce, l’Italie et les États-Unis, s’est formée au XIXe siècle lors de l’exil des chrétiens grecs persécutés par les Turcs. à Cargèse, la communauté permanente compte 400 personnes, auxquelles il faut ajouter tous ceux et celles qui vivent dans d’autres villes corses ou sur le continent, et qui reviennent pour les mariages ou les fêtes familiales.

Le Père Athanase vient quatre fois par an pour les grandes fêtes, et de manière exceptionnelle aux frais des familles pour des mariages, des obsèques ou des baptêmes. Mme Marie-Louise Zanetacci, surnommée « Lilou » par tous les Cargésiens, qui anime les activités paroissiales au quotidien, assure le lien avec l’exarquat. En mai et juin 2015, la communauté de Cargèse a bénéficié de la présence d’un jeune prêtre gréco-catholique ukrainien, le Père Stepan Kovalik. « J’ai appris à célébrer l’office de saint Jean Chrysostome en grec », précise-t-il avec fierté. Invité à partager les repas des familles, il a ainsi visité tous les Cargésiens qui le souhaitaient, et laissé un souvenir ému parmi les paroissiens de rite latin et grec.

Le rite byzantin pratiqué à Cargèse puise ses racines dans la grande tradition grecque. Les Cargésiens ont même conservé des hymnes anciens qui ne sont plus en usage en Grèce. Seule adaptation, pour des raisons pratiques : les grandes fêtes de Pâques et Noël suivent le calendrier grégorien. Ainsi les deux paroisses latine et grecque sont-elles à l’unisson pour ces grandes occasions. Les Maniotes ont néanmoins conservé leurs traditions ancestrales qui structurent l’année liturgique, comme la Saint Spyridon, le 12 décembre, ou la « fête des fleurs », le troisième dimanche de carême. Les enfants sont baptisés par triple immersion et reçoivent en même temps la confirmation et la communion privée. Pour les mariages, on pratique le rite du couronnement : une couronne est placée au-dessus de la tête de chaque fiancé : en feuilles de vigne avec ruban rose pour l’homme, en rameau d’olivier avec ruban blanc pour la femme. Le vendredi suivant le mercredi des Cendres, à l’occasion de la « fête des morts grecs », on distribue après la messe la coliba, du blé bouilli. Le 14 septembre, pour la fête de la Croix, on distribue du basilic après l’avoir béni. Mme Zanetacci nous en rappelle la signification : « Sainte Hélène avait recueilli ces plantes odoriférantes sur le mont Golgotha, où elles avaient poussé sur l’emplacement de la vraie Croix : le basilic béni est le symbole de la Croix glorieuse ».

La communauté de rite byzantin a depuis longtemps trouvé sa place et vit harmonieusement avec la paroisse latine. Depuis un siècle et demi, plusieurs mariages entre ces deux communautés ont conduit à les rapprocher. « En l’absence de pope, les obsèques sont souvent célébrées par le prêtre de la paroisse latine », précise Mgr de Germay, évêque d’Ajaccio, qui a la charge pastorale de la communauté hellène de Cargèse en lien avec l’Ordinariat. « Les Gréco-catholiques de Cargèse sont très attachés à leurs racines : comme tous les Corses, leur identité est imprégnée de tradition chrétienne, et ils sont de plus fidèles au rite byzantin ». Mgr de Germay préside d’ailleurs la grande fête du lundi de Pâques, qui donne lieu à une procession dans toute la ville, accompagnée de coups de fusils aux principaux carrefours. à cette occasion, toute la confrérie de saint Spyridon est rassemblée en grand habit et porte l’icône de la vierge en procession.

Les relations entre la paroisse grecque et la mairie sont excellentes ; la ville de Cargèse est d’ailleurs jumelée avec la ville de Vitylo en Grèce. Seule ombre au tableau : les monuments historiques sont régulièrement à la traîne pour suivre les travaux d’entretien de l’Église. Les origines grecques sont aussi devenues un motif d’attraction touristique qui, pour développer le commerce, pourrait risquer de faire tomber la tradition dans le folklore. Mais l’attachement des familles descendantes des Maniotes à leurs racines byzantines est manifeste. Les paroissiens vont ainsi volontiers assister à la fête de saint Spyridon à Corfou, où ils vénèrent avec leurs frères orthodoxes les reliques exposées à cette occasion.

Du fait de leur histoire, les Hellènes ont conservé l’habitude de soutenir seuls leur église, et ils ont maintenu la pratique du grec et de leurs rites sans se soucier des réformes scolaires ou liturgiques : indéniablement cette attitude volontariste permettra à la communauté de perdurer.

Mme Zanetacci accueille au catéchisme les enfants dès le plus jeune âge : ils apprennent les prières en grec, la liturgie, la vie de Jésus illustrée par les fresques et icônes de l’église. Plus tard, ils sont servants de messe, et entreront ensuite dans la confrérie de saint Spyridon, grandissant ainsi en conservant leur attachement au christianisme dans le rite byzantin.

« Comment passer d’une foi traditionnelle à une foi spirituelle ? » se demande Mgr de Germay. C’est sans doute la principale gageure que devront relever les héritiers des Maniotes ces prochaines années : pour eux le voyage sur les côtes de Méditerranée continue.


Note de la rédaction :

Lire aussi : « La colonie grecque catholique de Cargèse en Corse », par Th. Xanthopoulos, dans le volume 5 de la revue Échos d’orient, 1901, n° 5-1, pp. 33-39.http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rebyz_1146-9447_1901_num_5_1_3379

et encore :

http://www.cerclealgerianiste.fr/index.php/archives/encyclopedie-algerianiste/territoire/villes-et-villages-d-algerie/constantinois/116-uniates-du-peloponnese

dont ce paragraphe mériterait cependant d’être un peu explicité à propos de l’uniatisme :

« Lorsqu’en 1456, l’empire ottoman occupe Athènes et le Péloponnèse, ses troupes arrivent à Itylon ou Itylo en Achaï ou Morée, une des six provinces de cette presqu’île. Itylon, situé sur la côte ouest du Péloponnèse à quatre-vingt kilomètres environ au sud de Kalamata et à huit kilomètres au nord d’Aréopolis est alors le siège d’une communauté d’Uniates dont le nom est dérivé du russe « Ouniyat » et du latin « Unio ». Bien que de rite orthodoxe oriental, cette église, de tradition romaine, refuse l’autorité ottomane et décide vers 1650 de demander asile à la République de Gênes. »