Un colloque sur le divorce ! Vous n’y allez pas un peu fort ?
Claire de Gatellier : Je reconnais que c’est un défi. Lorsque Roberto Lopez, le fondateur de l’ICRI (International Children’s Rights Institute) est venu nous proposer de monter ce colloque ici, à Paris, avec lui, il nous a expliqué que le sujet lui semblait très important mais qu’il n’osait pas encore le faire aux États-Unis « parce que autour de nous, il y a tant de divorces que le sujet est très délicat ». Je l’ai regardé en face et lui ai dit : « Et chez nous, en France, vous croyez que c’est comment ! ? »
Mais c’est justement parce que ce sujet concerne tant de gens et au plus vif d’eux-mêmes qu’il a semblé à Famille et Liberté qu’on ne pouvait l’ignorer. Il est bon de s’asseoir et de faire le point, lucidement, sur ce drame que vivent tant d’enfants.
Une fondation américaine pour les droits des enfants. Ces droits ne sont-ils pas déjà largement défendus par la CIDE ?
La Convention Internationale des Droits de l’Enfant, ratifiée il y a 25 ans, part d’excellentes intentions comme chaque fois que l’on dresse un catalogue de tout le bonheur dont chacun devrait pouvoir jouir. Alain Finkielkraut a dit qu’elle ressortissait « davantage de la pensée magique que de la pensée juridique (…) On appelle « droit » le fait de prendre ses désirs pour des réalités, c’est-à-dire le fait de supprimer toutes les limites fixées par le principe de réalité aux désirs et aux sentiments ».
Ainsi, dans la CIDE, les enfants ont « droit à » la vie, la protection, la santé, l’école, les loisirs, le repos, les récréations, s’exprimer, décider de tout ce qui les concerne, être écoutés… jusque presque le droit d’être beaux et de ne pas mourir ! Cependant, un droit a été oublié dans cette litanie : celui d’être élevé, autant que possible, entre son père et sa mère. C’est ce créneau qu’a pris l’ICRI, ainsi que quelques autres, ignorés aussi.
Nous verrons au cours de ce colloque, avec l’intervention de la juriste Aude Mirkovic, dans quelle mesure les enfants du divorce sont vraiment protégés par le droit et ce que l’on pourrait faire, juridiquement, pour améliorer leur sort.
Ne risquez-vous pas de culpabiliser les parents ?
Il ne s’agit pas de culpabiliser qui que ce soit. Chacun a son histoire que personne ne peut juger. L’état de la société est tel qu’il est difficile de ne pas tomber dans tous les pièges qui conduisent au délitement des rapports humains et qui mettent parfois les gens dans des situations impossibles. Mais à cette banalisation du divorce qui voudrait faire croire à un divorce sans faute et sans mal, ou bien qu’il suffirait de bien préparer les enfants par quelques paroles magiques pour qu’ils le vivent finalement « pas si mal que ça », il faut ouvrir les yeux et savoir au moins ce que l’on fait et quelles en seront les conséquences sur les enfants et sur la société tout entière.
On sait bien, en fait, que ce n’est pas si facile : il y a bien 50 % de divorces, mais ce que l’on sait moins, c’est que, lorsque des enfants sont impliqués, les remariages après divorce se terminent, dans 65 % des cas, par un nouveau divorce. Généralement à cause des difficultés relationnelles entre les enfants et le beau-père ou la belle-mère.
Dans le même ordre d’idées, en encourageant le « divorce par consentement mutuel » , qui représente la majorité des cas de divorce, on a cru dédramatiser la chose. En fait, les tribunaux sont maintenant assaillis par des contentieux post-divorce pour la garde des enfants et un très grand nombre de ceux-ci ne voient plus qu’un seul de leurs parents…
Parler des enfants du divorce, n’est-ce pas un peu parler de la société tout entière ?
Famille et Liberté a choisi de centrer sa réflexion au sujet du divorce sur ses effets sur les enfants. Ceci vient naturellement de son partenariat avec l’ICRI dont l’objectif est clairement de défendre les droits des enfants. C’est aussi parce que les enfants ne pouvant s’exprimer eux-mêmes dans les hémicycles et les médias il nous a semblé important de leur donner la parole. Les magistrats aux affaires familiales et les juges pour enfants savent bien ce qu’il en est mais qui, en dehors d’eux, s’en soucie ?
Lors de ce colloque, Jérôme Brunet, porte-parole des Professionnels de l’Enfance, va analyser le poids du divorce en termes de difficultés scolaires, de moins bonne santé, de délinquance, de troubles psychologiques, etc., toutes choses qui ne sont pas sans effets sur la société. Le prophète Jérémie dit que « lorsque les parents trinquent les enfants ont les dents agacées », mais on peut dire aussi que l’état de l’enfance dans un pays reflète, pour le présent, mais plus encore, préfigure pour l’avenir, l’état d’une société. Car les enfants blessés d’aujourd’hui seront les adultes qui feront la société de demain.
Que préconisez-vous ? Interdire le divorce ?
Ce n’est pas le sujet. Peut-on, même au nom du droit des enfants, revenir sur un acquis ancien, profondément entré dans les mœurs, protégé par une sorte d’effet cliquet ? De même que les lois autorisant d’abord, puis facilitant et banalisant de plus en plus le divorce, ont été le fruit d’une lente évolution, d’une révolution culturelle, de même, c’est une évolution culturelle qu’il faut viser pour, non pas condamner le divorce mais redécouvrir le mariage.
Cela passe, entre autre, par des médiations. C’est là l’un des rares points positifs de la loi APIE (Autorité Parentale et Intérêt de l’Enfant) de 2014 : elle entend (le fera-t-on ?) encourager les organismes de médiation dans les cas de conflits intrafamiliaux. Malheureusement, ces médiations, telles qu’elles sont envisagées, seront peu opérantes car très frileuses dans leur conception. Il s’agit surtout de provoquer des occasions pour les antagonistes, de se parler, éventuellement en présence d’un médiateur (généralement un travailleur social) et en tout cas dans un cadre neutre. C’est un bon début. Se parler est la base de toute relation apaisée.
Mais c’est insuffisant si quelqu’un d’extérieur, un professionnel, n’aide pas en plus les gens qui souffrent à l’intérieur de la famille de problèmes relationnels, à aller au fond des choses et à dénouer les nœuds qui les empêchent de comprendre ce qui se passe en eux et en l’autre. Et non pas de ces gens qui vous diront tout de suite que vous devez quitter le domicile conjugal parce que vous avez « droit à » vivre votre vie « qui n’appartient qu’à vous » !
Au colloque du 10 octobre, un psychologue clinicien, Marc d’Anselme, spécialiste du couple et de la famille, qui passe son temps à écouter et conseiller les gens qui souffrent de mésententes ou simplement d’incompréhensions familiales, viendra partager avec nous son expérience professionnelle. Il viendra nous dire que beaucoup de drames et de souffrances intenses peuvent être évités et comment ils peuvent l’être. Il nous montrera que le divorce n’est pas une fatalité et que, mieux que le divorce, on peut retrouver un nouveau souffle conjugal.
Cependant, bien en amont des problèmes qui se posent aux couples, c’est toute la préparation au mariage qu’il faut revoir. Pour ce qui est des mariages catholiques, les prêtres, aidés de laïcs dévoués et bien formés se donnent beaucoup de mal pour rencontrer les candidats au mariage un certain nombre de fois et les préparer un minimum. C’est bien. Mais c’est déjà trop tard aussi : la préparation au mariage se fait depuis la petite enfance. C’est l’apprentissage quotidien au sein de la famille de la patience, du pardon. C’est apprendre peu à peu à laisser de la place, au propre et au figuré, à ceux qui vous entourent. C’est s’entraîner à renoncer à un plaisir immédiat pour en obtenir un plus grand, mais un peu plus tard. C’est découvrir que tout n’est pas possible, que nous sommes des êtres limités et que nos désirs ne sont pas des ordres. Apprendre la beauté du sacrifice pour quelqu’un qu’on aime — et encore plus si on ne l’aime pas — et qu’on fait passer avant soi.
Tout ceci n’est pas inné et ne s’intègre pas en quelques cours de rattrapage. L’éducation « à la citoyenneté » imposée dès cette année dans les écoles met-elle au programme des notions de base de toute vie en société comme la fidélité dans l’engagement, l’indulgence (plutôt que la tolérance), non pas pour des gens que vous ne rencontrerez jamais que de loin mais pour la personne avec laquelle vous vivez, le courage de savoir demander pardon et la joie de pardonner ?
Colloque « Les enfants du divorce : Un sujet tabou ? », samedi 10 octobre, de 14 h 30 à 18 h – au collège Stanislas, 6, rue du Montparnasse, Paris VIe. Inscription souhaitée sur http://www.familleliberte.org ou à Famille et Liberté, 17, rue Dupin 75006 Paris.