Niccolò Machiavelli (par Santi di Tito c. 1500)
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Les Pères Fondateurs de l’Amérique appréhendaient le régime américain de l’extérieur d’une manière que, nous, leurs enfants ne pouvons pas faire. Ceux d’entre nous qui ont grandi en Amérique ont du mal à imaginer que notre système de gouvernement, nos institutions, puissent être différents. Mais John Adams et George Washington ont risqué leur vie pour créer quelque chose de nouveau, un gouvernement fondé sur le fait que seul est juste pour gouverner les êtres humains un système qui tire « ses pouvoirs du consentement des gouvernés ».
Cependant, ceux d’entre nous qui passent leur temps avec des jeunes d’une vingtaine d’années (ndt : années du college, premier cycle universitaire pour les Américains) sont obligés de reconnaître sans fioriture que ceux-ci ne sont pas véritablement les enfants des Pères Fondateurs. En politique, leurs principes moraux ne sont pas ceux des Fondateurs. Ils ne se déterminent pas selon les prismes moraux que nous avons hérités des enseignements qui nous venaient à la fois de Jérusalem et d’Athènes. Les réflexes politiques de nos étudiants ont été formés plus par un auteur qui a cherché en politique à discréditer et à exclure la perspective morale qui venait à la fois de la tradition biblique et de la tradition classique.
Leo Strauss a fait la remarque que l’Amérique a été le seul pays qui ait été explicitement fondé sur des principes opposés à l’enseignement de Machiavel. Machiavel nous a encouragés à considérer la politique comme un art qui atteint son apogée comme art dans la mesure où il s’est radicalement détaché des tabous moraux ancestraux. Strauss pensait que cet enseignement, autrefois si choquant, ne choquait plus aujourd’hui parce que notre peuple avait peu à peu assimilé les principes de Machiavel jusqu’à les faire siens.
Au plus fort des scandales sexuels à la fin des années Clinton, invité à prendre la parole à une assemblée de l’association italo-américaine, j’avais fait un sort à une réflexion qui était alors dans l’air : « C’est peut-être un mauvais homme mais c’est un bon politicien ». Peut-être a-t-il commis quelque chose de répréhensible mais un scandale privé ne le disqualifie pas pour autant pour la fonction qu’il occupe. Je fis remarquer que c’était un auteur italien qui nous avait appris à raisonner ainsi.
Machiavel raconte l’histoire d’Agathocles de Syracuse. Celui-ci, un matin, convoque le sénat et quelques notables comme s’il avait une affaire importante à discuter. A un « signal convenu », ses soldats font leur apparition et tuent tous ceux qui s’étaient assemblés. Ceci fait, Agathocles assuma le pouvoir et gouverna « sans trouble civil ». Très subtilement, Machiavel commente que ce n’était pas exactement ce que l’on qualifie de « vertueux que de tuer ses propres citoyens, trahir ses amis, avoir ni foi, ni pitié, ni religion ».
Agathocles, écrit-il, ne peut être célébré comme un « excellent homme ». Mais son exemple ne peut-il pas être imité par ceux qui recherchent le succès qu’il obtint en jetant par-dessus bord, comme il l’a fait, le bagage moral qui le gênait ? En pesant tous les aspects, ainsi que le fait Machiavel, « on ne comprend pas qu’il puisse être jugé inférieur à n’importe quel excellent capitaine ». Traduction : « l’excellence » dans le commandement, militaire ou civil, peut être mesurée valablement par le succès obtenu, indépendamment des jugements moraux qui sont toujours contrariants et ne conduisent à aucun choix clair.
Ainsi qu’on l’a justement fait remarquer, dans la Bible, le commandement « Père et Mère tu honoreras » ne pouvait pas trouver à s’appliquer simplement par rapport aux parents biologiques. Si tel était le cas en effet, nous serions obligés d’honorer le père qui nous aurait engendré à la faveur d’un viol. On ne saurait honorer que le père qui correspond à la définition morale de la paternité – celui qui a toujours été présent et sur lequel on peut compter pour soutenir, entretenir et protéger.
Et pourquoi le violeur ne devrait-il pas être reconnu comme le « père effectif » – après tout, il assuré la fonction biologique isolément de toute considération morale ? Nous reculerions tous, je pense, devant une telle proposition. Ce qui veut bien dire que la définition de la paternité est inséparable de son contenu moral. La fonction politique pour celui dont la tâche est de gouverner et d’appliquer les lois obéissait au même sentiment. L’attitude machiavélienne a commencé à éroder ce préjugé quand les média ont cessé de parler de « tyrans » et de « despotes » et commencé à utiliser des termes jugés plus neutres comme « dictateurs » ou, dans les dernières années, les « dirigeants soviétiques ».
A la fin des années 80, le président Reagan a suscité une tempête en Amérique lorsqu’il accepta l’invitation à visiter le cimetière allemand de Bitburg. Celui-ci incluait les tombes de SS, morts au service de Hitler. Ces hommes étaient morts. Ne pouvait-on faire une croix là-dessus ? Quelque chose dans notre peuple résistait : quelque part nous ne pouvions honorer ces hommes pour leurs faits de guerre parce que leurs talents et leur sacrifice avaient été mis au service de fins méprisables.
C’était comme un écho de la reddition au général Grant (NDT : commandant des armées du Nord pendant la guerre de Sécession) du général Lee (NDT : cdt des armées du Sud) : Quelle tristesse de voir tomber un soldat aussi courageux, avait pensé Grant, mais il dit : Lee a dépensé sa valeur pour « une des causes les plus détestables pour lesquelles un peuple ait jamais combattu, et pour cela il n’a pas la moindre excuse ».
La sensibilité moderne est peut-être celle de Machiavel, mais, au tréfonds de notre peuple, au fond de notre nature, court encore quelque chose qui nous vient de Jérusalem et d’Athènes.
Source :
http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/machiavellis-children-or-ours.html
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