Cette affaire des écoutes américaines a quelque chose de fascinant. Faut-il y voir la démesure de la toute-puissance de la superpuissance ? En ce cas, c’est l’autorité suprême des États-Unis qui serait en cause et qui aurait donné l’ordre d’espionner aussi bien le portable d’Angela Merkel que ceux de nos présidents Chirac, Sarkozy et Hollande. Mais on peut imaginer aussi que c’est la seule agence de sécurité nationale qui est en cause, parce que, selon l’expression de l’éditorialiste du Monde, elle s’est trouvée livrée à « l’ivresse des infinies capacités de la technique » et qu’elle était, en quelque sorte, « placée en pilotage automatique ». Ce serait un cas extrême de ce vertige technologique qui, alors même qu’il semble donner à la volonté humaine sa pleine capacité d’agir, la soumet en fait à son empire.
Cela nous ramène à ce fameux paradigme technocratique dont parle le pape François dans son encyclique Loué sois-tu. Certes, les domaines envisagés ne sont pas les mêmes. Mais l’ivresse technologique s’y déploie avec la même implacable démesure. Je sais bien que là-dessus le débat fait rage depuis longtemps. Dans les années d’après-guerre, Bernanos a été violemment contesté par ceux qui n’admettaient pas son refus d’une idéologie du progrès armé de l’outil de la technique. Certes, ses imprécations avaient de quoi mettre hors d’eux-mêmes les optimistes qu’il appelait « les imbéciles heureux ». « L’espèce de civilisation qu’on appelle encore de ce nom (…) ne menace pas seulement les ouvrages de l’homme : elle menace l’homme lui-même ; elle est capable d’en modifier profondément la nature, non pas en y ajoutant mais en y retranchant. » (La liberté, pour quoi faire?)
C’était excessif ? Mais alors, comment qualifier cet univers de la surveillance universelle où chacun peut se trouver, à chaque instant, espionné ? C’est proprement hallucinant ! J’en viendrais à remercier les personnages un peu bizarres qui ont dénoncé le système en révélant ses forfaitures. Arrive un moment où il faut crier : Assez ! On m’objectera les nécessités de la lutte contre le terrorisme. Sans doute, mais rien ne justifie l’assujettissement généralisé et nous devrions nous méfier nous-mêmes de notre propre législation, celle qui vient d’être votée, si nous succombions au vertige.
Chronique diffusée sur Radio Notre-Dame le 25 juin 2015.
Pour aller plus loin :
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