Le monde est obsédé par l’Eglise catholique, il en redemande. Et le nouveau pape met le monde entier en émoi – ce qu’a confirmé le magazine TIME en lui décernant mercredi dernier le titre de « Personne de l’année ». C’est surtout parce que certains ont l’impression d’avoir botté les fesses des tenants de « l’aile droite », d’abord avec l’avortement, ensuite avec l’homosexualité et maintenant avec l’économie telle qu’elle est présentée dans l’Exhortation apostolique Evangelii Gaudium. A ma connaissance, aucun autre document papal, sauf Humanae Vitae, n’a autant intéressé le monde.
Des écoles entières d’interprétation du pape François ont surgi. Il y en a probablement davantage, mais j’en compte quatre grandes : les Gauchistes triomphants, les Applicateurs rigides, les Fidèles contestataires, les Idiots et Hommes de paille.
Rush Limbaugh dirige ce dernier groupe, mais c’est davantage un homme de paille qu’un idiot. Il a qualifié le document de « marxiste ». Qui se sent concerné ? Eh bien, tous ceux qui veulent malmener les catholiques considérés comme conservateurs sur le plan politique. Ils se sont délectés des quelques paragraphes prononcés par Limbaugh qui, soit dit en passant, aime l’Eglise catholique.
L’Idiot est un malheureux type dénommé Adam Shaw, un critique de jeux vidéo qui a écrit pour Fox un article ridicule où il déclare que le pape François « sera un désastre pour l’Eglise catholique ». C’est peut-être la dernière fois que vous entendrez parler de lui, mais on croirait à le lire qu’il est le catholique « droitiste » le plus influent qui ait jamais existé.
Les Gauchistes triomphants pensent que ce document est le coup fatal asséné à tous les catholiques de droite un peu trop sélectifs. Dans le National Catholic Reporter, Michael Sean Winters écrit : « George Weigel semble ne pas avoir assez de marqueurs rouges pour surligner les sections d’Evangelii Gaudium qui réclament la justice sociale». L’idéologue à tous crins E. J. Dionne du Washington Post et du Commonweal demande : « Les catholiques américains conservateurs qui ont pendant longtemps pris fait et cause pour les abattements fiscaux en faveur des riches vont-ils reconnaître le rébus moral que le pape François leur a posé ? » Et un gauchiste dénommé Dan Nichols qui dirige un site peu visité intitulé Caelum et Terra déclare qu’il est vraiment heureux de voir les conservateurs « écartelés».
Les Fidèles contestataires sont ceux qui veulent examiner de près l’Exhortation du pape. Tout en ne rejetant pas complètement ses arguments de base, ils essaient de comprendre les revendications économiques qui ont tellement attiré l’attention.
Michael Novak, l’un des piliers de l’Eglise en Amérique, a expliqué à plusieurs générations tant ici qu’à l’étranger les relations entre la foi et le capitalisme démocratique. Conseiller habituel du bienheureux Jean-Paul II, Novak est l’un des catholiques les mieux qualifiés pour discuter sur ce sujet avec le pape François.
Novak déclare que vous ne pouvez pas comprendre ce document sans tenir compte du « fascisme populiste » qui était la règle quand le futur pape François vivait en Argentine ; une économie autrefois l’une des plus importantes du monde à présent ruinée depuis longtemps par une élite qui néglige complètement les pauvres.
Si Novak reconnaît que la société doit s’occuper des pauvres, il se démarque du pape François en ce qui concerne son usage « très partisan et partial » de certains termes comme « la théorie des retombées économiques » qui, selon Novak, est une erreur de traduction 1 .
Sam Gregg de l’Acton Institute veut savoir dans quels cas exactement « les marchés opèrent dans une autonomie absolue et exactement qui, à l’exception d’une minuscule poignée « d’anarcho-capitalistes », rejette le droit de contrôle des Etats ».
Je suis très proche des contestataires, mais j’ai conscience du danger. Les catholiques en désaccord sur l’avortement, par exemple, ont tendance à dire : « bien sûr, je respecte la doctrine de l’Eglise, mais je me demande… », et à débiter ensuite des questions qui frisent l’incroyance. Je ne fais pas allusion à Novak et à Gregg. Pas le moins du monde. Mais le danger existe pour certains.
Finalement, il y a les Applicateurs rigides qui semblent n’avoir attendu que l’occasion de se jeter sur leurs confrères catholiques qui ne s’alignent pas assez vite et pas exactement comme ils le voudraient.
Patrick Deneen de l’Université Notre-Dame a flanqué une bonne gifle aux catholiques en faveur du droit à la vie et de la famille qui, selon lui, ont été achetés par un « massif appareil de financement ». Ils reçoivent des fonds importants pourvu qu’ils restent fidèles au parti républicain en matière d’économie. Mais quiconque travaille dans des organisations catholiques traditionnelles à but non lucratif peut se demander où se cache ce massif appareil de financement.
Mark Shea consacre plusieurs centaines de mots à démolir à coups de boutoir ce qu’il appelle « le défunt conservatisme » et le pitoyable Adam Shaw qui a écrit pour Fox le stupide article qui lui a valu d’être mouché en tant que critique de jeux vidéo par Catholic News Service.
Il y a des commentaires mieux équilibrés. Andrew Abela est doyen de la faculté de commerce de la Catholic University of America. Il déclare avec beaucoup de bon sens que le pape ne saurait condamner l’économie de marché et défendre le socialisme parce que cela serait aller contre la doctrine de l’Eglise. Et que le pape sait parfaitement qu’il n’y a pas un seul endroit sur terre où l’économie fonctionne en autonomie absolue.
Abela explique que, selon lui, ce que le pape dénonce en réalité c’est « le capitalisme des copains » dans lequel les grandes entreprises (et pas seulement en Argentine) truquent le système grâce au lobbying et à leurs contributions aux partis politiques. Elles se servent du gouvernement pour punir les petites entreprises et sont dédouanées quand elles ont des problèmes. Il soutient que le pape condamne aussi les hommes d’affaires sans imagination qui se servent du marché pour couvrir des décisions erronées et parfois immorales.
Cela fait penser à, disons, Jamie Dimon, P.D.G. de JP Morgan Chase.
L’Exhortation Evangelii Gaudium a été écrite pour nous tous, y compris pour lui.
C’est un document sur l’évangélisation. Et au fait, qui évangélise Jamie Dimon ?
Si Dimon ne croit pas en Dieu, en revanche, il a très certainement un dieu qui s’appelle compte de profits et pertes, rentabilité et guère plus. Ne serait-ce pas mieux pour Dimon, ses employés et ses investisseurs, s’il était motivé à la fois par le profit et par le surnaturel ?
En ce cas, peut-être que JP Morgan ne serait pas à l’instant même en train d’allonger 2 milliards de dollars au Département de la Justice à cause de son rôle dans le système de Ponzi tel qu’exploité par Madoff.
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Austin Ruse est le président du Catholic Family &Human Rights Institute (C-FAM) basé à New York et Washington D.C., un institut de recherche axé exclusivement sur la politique sociale internationale. Les opinions exprimées ici sont celles de M. Ruse et ne traduisent pas nécessairement les politiques ou positions du C-FAM.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/the-sometimes-warring-schools-of-francis.html
Photographie
Destruction de la Mission San Saba dans la province du Texas et martyre des frères Alonso de Terreros et Jose de Santiesteban (1758) par Jose Paez (vers 1765)