La menace terroriste qui plane sur notre territoire et celui de nos voisins suscite de graves interrogations. Est-ce notre civilisation même qui serait menacée ? La peur ne saurait pourtant obérer notre faculté de discernement. Le terrorisme islamiste, chez nous, n’est-il pas un phénomène minoritaire ? Il suffit de quelques militants fanatisés pour semer la terreur à Paris ou à Bruxelles, sans qu’ils soient soutenus par des mouvements d’ampleur, même à l’intérieur de la communauté musulmane. Ainsi peut-on souscrire au jugement de Marcel Gauchet : « Le fondamentalisme ne constitue pas pour moi une menace capable de remettre en question la manière d’être de nos sociétés. Bien sûr, il peut tuer beaucoup de gens, faire des dégâts épouvantables et créer des situations atroces, mais il ne représente pas une alternative en mesure de nous submerger. Affrontons-le pour ce qu’il est, sans lui prêter une puissance qu’il n’a pas » (Le Monde, 22-23 novembre 2015).
Cependant, il convient d’ajouter quelques remarques à ce jugement d’un philosophe particulièrement perspicace. La première concerne la thèse qui traverse toute son œuvre depuis son livre fondamental de 1985, Le désenchantement du monde (Gallimard). La sortie de nos sociétés occidentales de l’organisation politique religieuse qui les structurait, se trouve néanmoins défiée par la présence d’une immigration musulmane très importante, qui résiste aux mœurs contemporaines et persiste à reconnaître dans l’islam « la règle évidente et obligatoire de ses mœurs ». C’est l’objection que Pierre Manent fait à son ami et contradicteur Marcel Gauchet. Comment ne pas prêter attention à une réalité qui recouvre des zones entières de nos périphéries urbaines que d’aucuns désignent comme les territoires perdus de la République ? L’extrémisme radical est issu de ces territoires, et s’il ne bénéficie pas de l’adhésion explicite de ses habitants, il n’en est pas moins l’expression d’un malaise et d’une opposition tenaces. La sortie du religieux n’est pas toujours évidente, et ce qui se passe à l’échelle même du monde indiquerait plutôt que nous assistons à une explosion qui confirme, en partie, la thèse de la guerre des civilisations.
Nous avons eu la démonstration directe de ce retour du religieux avec le supposé Printemps arabe qui a tourné à la confusion des espoirs de démocratisation à l’occidentale. Nous ne pouvons donc isoler ce qui se passe chez nous de la situation du monde. Ce qui justifie d’ailleurs l’expression : nous sommes en guerre. Marcel Gauchet a sans doute raison d’insister sur le conflit intime qui avive la souffrance des jeunes révoltés et qui montre qu’ils sont partie prenante du défi de sortie du religieux. Il n’empêche que la vague actuelle nous indique avec brutalité que nous sommes au cœur d’un conflit mondial qui est très loin de son dénouement.
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La République laïque et la prévention de l’enrôlement des jeunes par l’État islamique - sommes-nous démunis ? Plaidoyer pour une laïcité distincte
- LA « MODERNITÉ » : UN CENTENAIRE OUBLIÉ
- Dénoncer les abus sectaires dans la vie consacrée et passer l’épreuve en union au Christ Epoux
- PETITES ET GRANDES ÉNIGMES DE L’ESPACE