Les Cubains ont perdu la capacité de rêver - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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Les Cubains ont perdu la capacité de rêver

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Padre Alberto – l’histoire d’une résistance
Entrevue réalisée avec le père Alberto, Cubain, qui a écrit un livre sur sa résistance… à la vocation sacerdotale!

Propos recueillis par Maria Lozano, AED Allemagne

traduction : Mario Bard, AED Canada

Maria Lozano – Père Alberto, vous venez tout juste de terminer l’écriture d’un livre qui sera bientôt publié sous le titre « L’histoire d’une résistance ». Comme vous êtes cubain, certains pourraient penser que vous parlez de résistance politique, mais le livre est un compte-rendu de votre vocation. Pourquoi ce nom?

Padre Alberto – Parce que j’ai résisté à Dieu de toutes mes forces, mais à la fin il m’a gagné. Je ne pouvais garder plus longtemps ma résistance envers lui, parce qu’il ne me restait plus de force. Mais j’ai résisté très fortement, et c’était une bataille très puissante entre mes émotions intérieures et avec ce que je pouvais entendre, la voix de Dieu qui m’appelait. C’est l’histoire de ma vocation, l’histoire de ma résistance.

ML – Pourquoi cette résistance?

PA – Jamais dans ma vie je n’avais pensé devenir prêtre. J’avais 18 ans, j’avais tous mes plans qui fonctionnaient et qui étaient organisés; j’avais une petite amie, j’étais sur le point d’aller à l’Université… Puis, soudainement, c’est arrivé, d’une façon tout à fait inattendue. Cela a ruiné tous mes plans et m’a beaucoup enragé. Je pense que le rejet [de l’appel] est là, initialement parce qu’il y a eu beaucoup de peur – un choc comme celui-ci vous effraie, et vous avez à continuer, malgré vos craintes. Par contre, une fois que l’appel est accepté, et que vous dites oui une bonne fois à la vocation, ensuite la peur disparaît. Ce qui demeure plus que tout, c’est le souci suivant : ‘Est-ce que je le fais correctement?’ Par contre [maintenant], je n’ai plus du tout cette crainte.


ML – Père Alberto, vous êtes prêtre depuis 12 ans. Si vous aviez à choisir, quels seraient les meilleurs et les pires moments durant ces années?

PA – Pour les moments les plus beaux, généralement parlant, c’est le confessionnal. Les gens viennent à toi parce qu’ils savent qu’il y a un don. Non parce que vous êtes plus ou moins aimable ou que vous êtes plus ‘ajusté’ dans le bien, mais parce qu’il y a un don. Un don qui est capable de toucher les cœurs des gens, et c’est toujours pour moi quelque chose de vraiment spécial.

À travers les différentes choses que j’ai pu expérimenter, il y avait quelque chose qui a touché mon cœur. Je travaillais à Cuba dans une région d’une pauvreté immense, où la population travaille péniblement des heures et des heures dans les champs, et n’a rien.

Quand j’ai été transféré en Espagne, ils sont venus me dire ‘Au revoir’ et ils m’ont dit : « Père, nous n’avons rien à vous donner en cadeau, et donc nous vous avons apporté ces graines de tournesol. Vous pourrez les planter à Madrid et ils vont ensoleiller votre hiver ». Cela m’a profondément bouleversé.

Maintenant, parmi les mauvaises choses, ce que j’ai expérimenté de plus mauvais, c’est l’activisme, car quelquefois, nous pouvons perdre Jésus en essayant de faire des choses pour Jésus. Je me suis transformé en machine à travail. Je n’ai pas arrêté – quoi que, sans aucun doute, je me sois dédié aux choses de Jésus – le travail pastoral, la catéchèse, les visites aux malades; mais je ne mangeais pas, je ne me reposais pas. À la fin, je priais moins, et la prêtrise a perdu de sa fraîcheur parce que j’avais perdu contact avec la source. C’est la pire chose qui peut arriver. Ça te brûle en dedans et tu sens que tu es en train de t’assécher.

ML – Après cinq ans en Europe, vous retournez à Cuba. Est-ce que vous savez ce qui vous y attend?

PA – La situation a grandement changé. La dernière fois que j’y étais, il y a trois ans, j’ai noté un grand manque d’espérance dans la population; c’est quelque chose qui m’inquiète.

ML – Quelle est la raison de ce manque d’espérance?

PA – La situation est la même depuis longtemps maintenant. Il y a 50 ans que les Cubains n’ont aucune liberté, aucune autre option [que le régime en place]. Une des pires choses que nous pouvons expérimenter est le sentiment d’impuissance, [sentir] que nous ne pouvons rien faire; cela mène au désespoir, parce que c’est comme si tu te frappais la tête contre un mur de brique. Chaque endroit et chaque pays a ses problèmes, parce qu’ici sur la terre, nous ne vivons pas dans un paradis.
Par contre, dans les autres pays, tu peux au moins crier et faire des plans pour l’avenir; tu peux rêver! Que tu aies ou non du succès, tu peux au moins rêver. Mais, à Cuba, non. Il n’y a rien d’autre que la survie, ou bien se lever et s’en aller. Tu ne peux pas bâtir ta propre vie intérieure ou bien être un membre actif de la société. Le Pape* nous a dit : ‘vous devez être les protagonistes de votre propre histoire’. Et c’est la clé, c’est ce qui manque à la population cubaine.

ML – Oui mais, peut-être que quelqu’un peut partager son rêve? Peut-être que c’est l’une des façons par laquelle vous pourrez soutenir la population quand vous y retournerez?

PA – Oui, le rêve peut-être contagieux, si tu crois en eux et que tu les aimes; alors, les rêves sont contagieux. Par contre, [les rêves], vous devez les aimer et les chérir! Pour ma part, je suis débordant de plans et des projets. Je pourrais vivre 400 ans et je pense que ce ne serait pas encore assez [pour les réaliser]. J’adore aider et je crois que j’en ai la force. J’ai une grande foi dans le travail avec les jeunes, et je pense aussi que de travailler et de former les séminaristes est très important. Finalement, j’aimerais me dévouer à l’apostolat des familles, parce qu’à Cuba, la famille est profondément bouleversée, et c’est un problème majeur aujourd’hui.

ML – Cuba se prépare présentement pour le grand événement que représente le 400e anniversaire de la découverte de la statue de Notre-Dame de la Charité de Cobre, la patronne de l’île. Par contre, le jubilé n’aura pas lieu avant 2012.
Pourquoi une période de préparation aussi longue?

PA – Notre-Dame de la Charité demeure l’élément indiscutable, le seul, qui unisse tous les Cubains. Une personne peut se déclarer athée, opposée à la religion… mais Notre-Dame de la Charité est encore indiscutablement sa mère.
Par exemple, un séminariste m’a déjà raconté qu’alors qu’il était en train de visiter une maison durant la Semaine Sainte, les habitants lui ont dit : « Nous sommes communistes et nous ne croyons pas en Dieu ». Le séminariste a répondu : « Mais ne me dites pas que vous ne croyez pas en Notre-Dame de la Charité? », et l’un des membres de la famille a répondu : « Eh bien, pour Notre-Dame de la Charité, c’est différent ». Notre-Dame de Cobre est le point de réconciliation et de rencontre pour toute la population cubaine. Présentement, il y a plusieurs personnes qui sont blessées, et pendant que d’autres aspects sont disputés ou rejetés, tout le monde accepte Notre-Dame. Donc, elle est l’unique opportunité pour travailler à [développer] l’espoir, la fraternité, le pardon d’une nation… Sans elle, cela serait extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible.

ML – Comment voyez-vous la situation dans votre pays? Il y a beaucoup de discussion sur le changement, mais en même temps, il y a plusieurs personnes qui disent que les choses ne changent pas.

PA – Les gens m’ont raconté que la situation est encore pire, parce qu’il n’y a pas de perspective. N’importe quel changement dans la situation présente signifie une perte de pouvoir pour le gouvernement, et plusieurs personnes se demandent qu’est-ce qui va arriver… Cela fait maintenant trois ans que je suis parti de Cuba, et selon ce que j’ai entendu, les méthodes de contrôle de l’État se sont intensifiées et la population est maintenant plus craintive. Il y de l’espoir que cela change, mais ils ne croient pas qu’ils peuvent eux-mêmes apporter quoi que ce soit pour cette transformation, et donc, jusqu’à ce que quelque chose survienne, le sentiment général en est un d’impuissance totale.

ML – Y a-t-il de l’espoir?

PA – Le Cubain est un combattant, un survivant. Sur un niveau personnel, il n’abandonne pas, il ne perd pas espoir. Par contre, au niveau général de la politique et du social, dans le sens de chercher à faire un changement démocratique à court terme, dans ce sens-là, les gens sont en effet désespérés, hautement sceptique et las. C’est ce que je pourrais dire – à un niveau personnel il y a sans aucun doute de l’espoir, mais à un niveau général, je pense que les choses sont beaucoup plus difficiles.


*Le 23 janvier 1998 à Cuba, alors qu’il s’adressait aux jeunes de Camaguey, Jean-Paul II déclarait en ces termes : « L’engagement représente la réponse courageuse de ceux qui ne veulent pas gâcher leur vie mais qui, au contraire, veulent être les protagonistes de l’histoire personnelle et sociale. Je vous invite à prendre un engagement concret qui, bien qu’humble et simple, s’il est entrepris avec persévérance, se transforme en une grande preuve d’amour et en un chemin sûr vers la sanctification. »

Traduction: Mario Bard, AED-Canada


http://www.acn-aed-ca.org/2-francais/findex23.htm