Les cloches d'Allemagne - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Les cloches d’Allemagne

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Basilique de saint-Castor, à Coblence

Basilique de saint-Castor, à Coblence

Vivre en Allemagne, c’est vivre au son des cloches des églises. Elles sonnent régulièrement toute la journée et donnent, dans la plupart des principales aires métropolitaines, des grandes villes et même des petits villages, un fond sonore et sacré à la vie quotidienne. Les cloches sont des témoins sonores de la mémoire chrétienne faiblissante de notre époque et l’athéisme ne les a pas encore entièrement éradiquées. Dans un passé qui n’est pas si lointain, les cloches servaient non seulement à indiquer le temps mais aussi à appeler les gens à la liturgie, à leur rappeler l’Angelus ou à annoncer des funérailles. Elles étaient un testament de la vie sacramentelle qui constituait la colonne vertébrale de la culture européenne.

La veille du Nouvel An, à onze heures du matin (Temps d’Europe Centrale), les cloches ont rompu leur rythme régulier de chaque jour, et pour près d’une heure ont annoncé à la société allemande le décès du pape Benoît XVI. Toute la journée, au milieu du bruit des feux d’artifice des fêtards précoces du Nouvel An, les cloches ont continué à retentir, signalant le passage dans l’au-delà de l’un des fils les plus éminents et les plus respectés de l’Allemagne.

Et elles sonneront de nouveau aujourd’hui pour ses funérailles.

Les Allemands ont réagi à l’annonce de la mort du pape Benoît avec un curieux mélange de retenue et de fierté. La presse locale et nationale exalta son fils préféré venu de Bavière sans bien savoir comment le décrire. Un prêtre, un cardinal, un pape – quelque chose de désuet venu d’un passé oublié ?

Les Allemands, dans la petite ville en majorité protestante située aux environs de Francfort, avec qui j’ai parlé, le connaissaient, mais autrement ne se souvenaient guère de lui. Comme les cloches, sa vie avait fait partie du paysage national, un témoin du cœur véritable de la vie allemande, aujourd’hui si sombrement obscurcie par les nuages du paganisme et de l’athéisme.

C’est pourquoi dans son « Testament Spirituel », Benoît écrivait : « Je remercie les gens de mon pays pour m’avoir permis d’éprouver sans cesse la beauté de la foi. Je prie pour que notre pays reste un pays de foi et je vous demande, chers compatriotes, ne de pas laisser dévoyer votre foi. »

La société séculière ici a une relation avec son pape bavarois, bien à elle, aussi complexe que sa relation avec les affaires tant religieuses qu’historiques en général. La formation et le développement de Joseph Ratzinger se passèrent pendant la pesante période de la Seconde guerre mondiale, initiée par le régime nazi. Benoît fut l’une des dernières relations encore vivantes à être rattaché à ce passé difficile.

Dans une société qui recherche à se libérer de la religion plutôt qu’à acquérir la liberté que donne la religion, il a été comme un rappel inconfortable d’un gouvernement athée déterminé à écarter de la vie publique toute trace de religion, sinon à la détruire complètement.

Ce pape, brillamment doué, fut la mémoire vivante de ce que la grandeur de l’Allemagne venaient d’hommes et de femmes comme saint Bonaventure, Dietrich Bonhoeffer, sainte Hildegarde et tant d’autres qui choisirent de servir de façon désintéressée Dieu et non un Etat sans Dieu.

Comme Benoît en avertit le Bundestag lors de sa visite en 2011 :

« Comment reconnaissons-nous ce qui est bien ? En histoire les systèmes législatifs ont presque toujours été fondés sur la religion : les décisions concernant ce qui devait être licite parmi les hommes étaient prises en référence à Dieu. Contrairement à d’autres grandes religions, le christianisme n’a jamais proposé à l’Etat ou à la société de loi révélée, c’est-à-dire un ordre juridique dérivé d’une révélation. A la place, il a désigné la nature et la raison comme les sources authentiques de la loi – et l’harmonie de la raison objective et de la raison subjective, ce qui naturellement présuppose que ces deux sphères soient enracinées dans la raison créatrice de Dieu. »

Pour des raisons évidentes, le fardeau de l’histoire pèse lourd sur les épaules de la société allemande. Bien que les plus jeunes générations d’Allemands aient pris leurs distances par rapport à la culpabilité d’un passé infamant, il y a encore un spectre de honte, que reflète cette sorte de consentement collectif tacite à ne rien discuter venant de cette période.

La véhémence du mouvement LGBTQ en Allemagne est un résultat direct de cette incapacité à discuter publiquement quoi que ce soit qui ait une importance morale. Le soutien massif aux styles de vie sexuelle alternative monopolise le discours moral, sans qu’il soit jamais question de discuter quoi que ce soit d’autre de substantiel.

Que faire avec cet attirail de l’arrière grand-père dans le grenier, ou des presque un million de réfugiés de l’Est qui doivent encore être, même partiellement, intégrés dans la société allemande, ou de la désolante collusion avec la Russie pour satisfaire les besoins en énergie – et ce qui est le plus infamant, de la crise des abus sexuels dans l’Église d’Allemagne ? Tous ces différents sujets rencontrent un silence assourdissant.

L’an passé, l’évêque Batzing, président de la conférence des évêques allemands, a consacré un temps excessif à rejeter la responsabilité de la crise des abus sexuels sur le pape émérite Benoit XVI, sans discuter des raisons réelles des abus sexuels dans le clergé. Il y a une relation étroite entre la répugnance obstinée à examiner ce sujet épineux et l’hérétique « Voie Synodale » allemande. Les bancs des églises catholiques se sont vidés, pendant que diacres et prêtres mettent toute l’énergie du monde à discuter des diacres femmes. Mais ne semblent pas trouver le temps d’évangéliser en prêchant le message d’amour du Christ.

Le même pays qui donna naissance à de brillants philosophes, théologiens et quelques-uns des artistes et des icônes culturelles les plus précieux de la civilisation occidentale, est ce pays où la liberté de penser et d’exprimer courageusement une opinion originale en encourant le mépris de la société se fait toujours plus restreinte. Les Allemands craignent des répercussions dans l’emploi et la société civile, s’ils expriment leur foi ouvertement en public. Les séminaristes qui ne sont pas d’accord avec les programmes woke et hérétiques enseignés dans les séminaires ont peur de parler ouvertement par crainte de représailles.

Ironiquement, le dernier jour de 2022, la veille de la fête de Marie, Mère de Dieu, les cloches d’Allemagne ont parlé et résonné pour un peuple qui a besoin d’exprimer sa douleur et sa fierté pour un de ses plus grands citoyens. Pour un fils de chez eux qui n’a jamais cessé de dire à sa chère Allemagne « de maintenir au Christ une place centrale dans leurs vies. Qu’Il soit toujours le premier dans nos pensées et dans toutes nos activités. »