Les clés de papier – 1 : La source Q - France Catholique
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Les clés de papier – 1 : La source Q

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« Une clé de papier, vous demandez-vous ? Une clé de papier ne peut rien ouvrir. » Précisément. Dans La cité désolée (The Desolate City, 1986), Anne Roche Muggeridge souligne l’ironie de ce que « les modernistes sont en réalité des mythologistes, et non pas les dé-mythologistes » qu’ils se proclament être. « L’Eglise, dit elle, a fait l’expérience, puis toujours enseigné, les évènements de la vie du Christ comme historiques, et pas comme un mythe, une parabole, une allégorie ou une poésie épique », à la différence des manières variées par lesquelles elle aborde « le Livre de Jonas, ou le Livre de Job, ou le Cantique des Cantiques. » Mais « les modernistes, par le moyen du langage mythologique et des concepts sécularisés de la fin du vingtième siècle » se sont ingéniés à transformer le Christ en une idée, et l’Eglise en un rêve pas encore réalisé de l’évolution de l’imaginaire. Le résultat est la fabrication de clés de papier – des clés dont la consistance n’est pas plus substantielle que le papier sur lequel le catholique moderniste développe son imagination. Les rainures et les saillies de ces clés de papier correspondent à peu de chose si ce n’est à rien du tout, que ce soit sur le dossier des Ecritures, ou l’enseignement et l’histoire de l’Eglise, ou la réalité de l’être humain. Les accepter nécessite une version parodique de la foi. Il s’agit d’inverser la directive du psalmiste et de mettre sa confiance dans les princes – dans les professeurs de théologie, les historiens carriéristes, les promoteurs du « progrès » tel que ces promoteurs le définissent eux-mêmes, dans les structures politiques, et dans les hommes et les femmes reconstitués du futur – plutôt que dans le Seigneur Dieu. Dans la suite de cet article, je voudrais examiner quelques-unes de ces clés de papier. Commençons en retournant tout droit à la source – appelée la Quelle, ou « Q », telle qu’on la nomme affectueusement dans les cercles théologiques. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec la critique textuelle du Nouveau Testament, « Q » est un texte des paroles de Jésus qui, suivant la narration de l’Evangile de Marc, est supposé constituer la base des trois évangiles synoptiques. Marc est tenu pour le premier évangile, Matthieu a utilisé des éléments de Marc et de Q, et Luc a réarrangé les éléments de Matthieu en y ajoutant des choses de son cru. Le fait que Q existe ou pas n’est pas mon problème. Ce n’est pas mon sujet. Le sujet est que des livres entiers sont écrits à propos de Q, que l’on présente Q aux gens ordinaires qui reçoivent une formation pour devenir catéchistes et que les étudiants qui lisent les Bibles annotées rencontrent ce fait de Q, comme si le sujet était au-delà du doute. Mais il y a un problème. Nous n’avons ni document ni évidence testamentaire de l’existence de Q. Il n’y a pas de manuscrit de Q, pas une bribe. Il n’y a aucune référence à une Q, par aucun des auteurs du nouveau Testament, ni par les premiers chrétiens, ni par les Pères de l’Eglise. Il n’y a également aucune raison pour qu’ils n’en aient pas parlé. Après tout, un livre contenant les paroles du Seigneur serait des plus précieux. Pour d’autres cultures et dans d’autres circonstances, est-ce que les critiques et les historiens présument l’existence, l’identité et même le contenu d’un livre pour lequel il n’y a pas un iota de preuve ? La réponse est tout simplement non. Dans ce genre de cas, leurs hypothèses vont plutôt dans la direction opposée. Nous avons des témoignages selon lesquels Homère aurait écrit une épopée comique nommée Margitès. Mais la plupart des critiques estiment comme un fait dont seuls les naïfs doutent, qu’Homère n’a pas écrit un tel ouvrage. Les historiens romains font référence aux Douze Tables de la loi, écrites à la demande insistance des plébéiens pour que les patriciens ne les pendent plus sur un simple caprice. Mais les critiques pensent désormais, là encore comme quelque chose d’évident, que les Douze Tables n’ont jamais existé. Je retiens mon jugement. Je note seulement l’étrange direction prise par les fabricants de Q. C’est une chose de prétendre, contre des témoignages plutôt ténus, que les Douze Tables n’ont peut-être jamais existé. Il est plus douteux de prétendre que cela n’a certainement pas existé. Mais c’est une incursion dans la fantaisie pure de la critique de prétendre que quelque chose a certainement existé, dont l’existence n’est confirmée par rien d’évident, de surcroît dans un environnement où tout le monde écrit et parle à ce propos ! Nous connaissons les évangiles gnostiques inspirés. Nous avons de nombreux éléments sur les apôtres. Nous avons toutes sortes de précieuses informations, transmises de génération en génération, à propos de la date de la venue de saint Pierre à Rome, ou de quand saint Paul a habité à Ephèse. Mais nous sommes censés croire en un texte dont personne, sauf les deux personnes qui l’ont utilisé, à des endroits et des moments très différents, ne semble avoir été conscient de l’existence. Nous sommes censés faire cela uniquement dans ce cas, car il n’y a aucune supposition semblable sur aucun autre texte présumé avoir existé dans l’ancien temps. On pourrait objecter que les historiens du langage reconstruisent les langues, ou au moins les mots-racines putatifs, à partir de développements ultérieurs, c’est ainsi que nous disposons d’une banque de racines proto-Indo-européennes, les ancêtres des mots sanscrits, grecs, celtes, germains, italiens etc. L’analogie est erronée. Ce qui est examiné là est le lent développement organique ou la ramification de langues dont les formes ultérieures sont attestées, développements qui suivent quelques pistes également discernables dans les époques historiques. Nous avons aussi de nombreux documents, attestations et preuves archéologiques des mouvements des orateurs de cette famille linguistique. Saint Paul a prêché aux orateurs celtes en Anatolie (les Galates), dont les cousins ont migré vers l’ouest et les îles Britanniques. Il n’y avait également personne non plus dans les temps préhistoriques (puisqu’ils étaient préhistoriques !) qui auraient écrit ce que les orateurs des proto-Indo-européens pouvaient dire ou faire. Alors, pourquoi tout ce tapage autour de Q ? A qui cela profite-t-il ? En quoi cette supposée Q nous aide-t-elle à comprendre les paroles de Jésus et à vivre une vie chrétienne ? En rien, en fait. Mais présentée comme une chose à la fois ésotérique et certaine, elle sème des graines de doute parmi les gens ordinaires en réorientant leur confiance. « N’écoutez pas ces professeurs, si autoritaires et si dépassés, disent les théologiens modernistes, écoutez-nous. »
Anthony Esolen est conférencier, interprète et écrivain. Ses derniers ouvrages sont « Réflexions sur la vie chrétienne : comment notre histoire est l’histoire de Dieu » et « Dix manières de détruire l’imagination de votre enfant ». Il enseigne à l’université Providence.
Source : I http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys.html II http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys-ii-the-myth-of-the-madmen.html III http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys-iii-the-keystone-crucifiers.html IV http://www.thecatholicthing.org/columns/2013/paper-keys-iv-no-miracles-here.html