La victoire du Parti de la Justice et du Développement aux élections législatives au Maroc est un signe de plus de la prédominance actuelle des islamistes dans le monde arabe. Le Maroc semble suivre le même chemin que la Tunisie, et on saura très bientôt si les Égyptiens choisissent la même direction. C’est pour le moment le résultat le plus clair du printemps arabe. Nous ne devrions pas nous en étonner. Car si les mots d’ordre démocratiques ont résonné dans les grandes manifestations de ces derniers mois pour réclamer la fin des régimes d’oppression, ils ne recouvraient pas forcément la même signification que chez nous. La culture de fond de ces peuples, c’est l’Islam. Et les références les plus sensibles sont forcément religieuses. Cela ne veut pas dire d’ailleurs que les islamistes iront aux solutions extrêmes. Ils ont très bien pu tirer la leçon des expériences récentes, notamment celle de la terrible guerre civile algérienne, pour préférer un régime modéré. Ce n’est pas pour rien que beaucoup se réfèrent à l’exemple de la Turquie, où un islamisme tempéré est solidement accroché au pouvoir.
Cet exemple turc n’est d’ailleurs pas sans ambiguïté. Il est très révélateur des incertitudes et des choix difficiles du monde musulman. La Turquie moderne a été forgée par Mustapha Kemal, qui a brutalement opéré la laïcisation de l’État dans un pays demeuré massivement religieux. Le retour actuel à l’Islam pose de sérieux problèmes, mais il s’est établi un compromis, du moins me semble-t-il, entre le système laïque et le pouvoir islamiste. C’est probablement aussi la recherche d’un compromis qui sera tenté dans d’autres lieux, en tenant compte de données locales spécifiques.
Compromis en Tunisie, compromis au Maroc, compromis en Égypte… On n’oserait pas encore dire compromis en Libye, car le retour proclamé à la charia ne semble pas pour le moment y déboucher sur un régime vraiment équilibré. Il faudra très longtemps pour que tous ces pays inventent des institutions qui tiennent compte d’une certaine modernité et de la pérennité de leur culture traditionnelle. Il faut s’attendre à des évolutions tâtonnantes. Rien n’est encore écrit définitivement.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 29 novembre 2011