En décembre 2013, le poète Dana Gioia, ancien président de la Fondation Nationale pour les Arts, publia dans le magazine First Things un article sur un certain paradoxe de la culture Américaine : bien que le catholicisme romain forme le groupe religieux et culturel le plus important aux États-Unis, il n’occupe guère de place au sein du monde artistique Américain — littérature, musique, sculpture, ou peinture.
Voici un demi-siècle les plus célèbres auteurs en Amérique comptaient parmi eux de nombreux Catholiques, écrivains pour la plupart, qui unissaient profondément et harmonieusement vocation littéraire et religion. Il suffit d’évoquer Thomas Merton et Flannery O’Connor pour y songer.
Comme nos lecteurs le constatent à présent, le débat s’abaisse à l’outrage insensé et à la critique irréfléchie, et on y voyait une marque typique dans les réactions à l’article de Gioia. Parmi les nombreuses réponses publiées beaucoup s’indignaient : « si Gioia ne voyait pas d’abondance dans l’art et la littérature Catholiques c’est qu’il ne savait pas regarder suffisamment, là, partout, en attente de lecteurs. »
Aussi sérieuses soient-elles, j’en suis persuadé, ces réponses tombaient à plat. D’évidence, cet article « L’Écrivain Catholique à présent » était destiné à inciter les auteurs catholiques ainsi que les lecteurs à se rapprocher mutuellement « à présent » comme naguère. La plupart du temps, les auteurs s’efforcent de produire un bon travail ; les lecteurs, eux, cherchent à lire des ouvrages qui leur semblent bons.
C’est une bonne base de développement, de renouvellement de sa propre culture, mais il faut s’y consacrer avec attention et intention consciencieuses. Et bien des gens n’y réfléchissent guère s’ils n’y ont été vigoureusement incités. Ils ont bien d’autres soucis en tête.
Mais Gioia a dérangé. Des écrivains levèrent les yeux au ciel, clamant qu’ils étaient trop ignorés ; de nombreux lecteurs exprimèrent, peut-être pour la première fois, leur consternation car selon eux nul ne pouvait à présent égaler T.S. Eliot. Gioia n’avait évidemment aucune intention agressive, sauf de susciter la création d’un nouvel organisme : il souhaitait que tous interpellés par la question s’interrogent, quel genre d’institution pourrait être créé pour accueillir et entretenir une renaissance de la littérature catholique ?
Réponse instantanée : les revues littéraires Image et Dappled Things [objets miroitants] ont été créées voici quelques années, un petit organe, « Wiseblood Books » [Livres d’œil futé], a commencé la publication de romans, poésies, critiques, selon l’esprit « O’Connor ». Ainsi parut un moyen d’attirer l’attention de lecteurs. Gioia organisa en personne un séminaire de trois jours à l’Institut d’Études Catholiques de l’Université Sud-Californie sur le futur de l’imagination dans la littérature catholique. Il y eut des centaines de participants, y-compris des élèves de lycées catholiques de la région.
Et peu après, les participants à ce séminaire à Pasadena, rentrant chez eux, tentèrent de lancer de nouvelles actions. Mary Ann Miller, Professeur d’Anglais, créa une revue, « Présence », centrée sur la poésie catholique. D’autres, à Fordham et Loyola (Chicago) s’entendirent pour organiser une conférence bisannuelle ; elle se tint à Fordham en Avril 2017, la prochaine est prévue à Chicago les 19 et 20 septembre 2019. D’autres organisèrent des séances de lecture et des conférences dans leurs Universités ou dans leurs villes afin d’animer des rencontres entre écrivains et lecteurs.
Je cite l’anecdote suivante comme ma petite participation à un lancement.
Voici près d’un an, la Presse Universitaire Franciscaine de Steubenville, Ohio, me demanda de procéder au lancement d’une série sur la poésie. Je proposai la mise en place de « Colosseum Books » [Les livres du Colisée] avec pour mission :
Dans l’antiquité les réussites de la civilisation Romaine furent transformées et imprégnées par l’esprit de la Chrétienté. Le Colisée se dressait, symbole de la lutte et des souffrances suscitées par cette nouveauté, mais également de la victoire définitive de la Chrétienté unissant les trésors d’Athènes et de Jérusalem à Rome, capitale spirituelle. Récemment,l’écrivain Anglais Christopher Dawson lança la revue Colosseum, forum destiné au monde intellectuel catholique pour un engagement dans le domaine des arts et de la culture contemporains. De grands esprits, tels Dawson, Jacques Maritain et E.I. Watson étudièrent et analysèrent les œuvres de T.S. Eliot, Sigrid Undset et autres auteurs du renouveau littéraire catholique.
Animés d’un tel esprit de lutte,de renouveau, de transformation et de synthèse, nous proposons de publier de nouveaux et importants ouvrages de poètes contemporains dignes de l’attention de lecteurs attentifs. Ces publications seront à la fois œuvres d’humilité et d’ambition, de savoir et d’esprit, par des auteurs attentifs à la responsabilité professionnelle de l’artiste et à la compréhension des beaux-arts, manifestation de la beauté. Ce qui nous rappellera les bases véritables de l’intellect, l’épopée de la vie de l’homme, la discipline et le souci du travail bien fait, et le grand destin de l’Homme.
Alors que nous avancions vers la publication des deux premiers « Livres du Colisée » pour ce printemps, j’ai été sollicité pour mettre en place un programme pour auteurs volontaires, afin que le premier Rassemblement « Colosseum – Colisée » d’été se tienne en juillet, réunissant quinze jeunes écrivains sur le campus de l’Université Franciscaine pour quatre journées de discussions sur la philosophie de l’art et sa beauté, l’histoire de la forme poétique, et un atelier pour aiguiser leur propre savoir-faire. Nous projetons d’inviter des auteurs célèbres à venir donner lecture de leurs travaux et faire part de leur expérience, dans l’espoir de faire renaître une culture littéraire catholique — qui en a bien besoin.
Une telle entreprise n’est guère susceptible de déclencher indignation ou colère. Mais un jour, dans quelques années, on entendra bien quelqu’un se plaindre de la disparition des grands écrivains catholiques. À quoi on pourra répondre « grands, peut-être pas, mais il y en a de bons ». Et ce sera un début de réussite.