A Washington, la semaine dernière, lors d’une présentation du livre du cardinal George God in Action (cf la critique par Brad Miner in The Catholic Thing, 6 mai), parrainée par The Catholic Thing et d’autres, j’ai rencontré un fervent lecteur de TCT. Fort de sa longue expérience en Amérique latine et avec des Catholiques Hispaniques ici aux Etats-Unis, il croit que l’Eglise en Amérique peut beaucoup apprendre des deux. Nul n’en doute, que nous le voulions ou non, puisque l’Eglise américaine sera à 50% Hispanique.
Il y a de nombreuses leçons à apprendre des Hispaniques. Mais il faut veiller à retenir les bonnes, et non idéaliser, sans discernement et en suivant ce qui serait politiquement correct, un groupe immigré en ascension. Il y a beaucoup de bonnes choses dans le Catholicisme hispanique – et beaucoup d’autres qui demandent à être complétées par d’autres traditions catholiques.
Pour commencer, la grande majorité des catholiques hispaniques pratiquent des formes de catholicisme communautaire – une façon d’être catholique enracinée dans la continuité du passé et la vie de la paroisse. En termes universitaires, leur catholicisme est moins linéaire et rationaliste, plus narratif et interpersonnel.
Ce n’est pas la même chose que ce que nous avons connu dans les années soixante. Les notions de communauté, de narration et d’immédiateté dont on parlait en ce temps-là en Amérique et dans les pays développés ne venaient de nulle part et étaient surtout destinées aux élites progressistes qui se débattaient avec l’individualisme, l’idéologie et l’aliénation. Loin d’aplanir ces difficultés, l’utopisme catholique des années soixante les a aggravées en détruisant l’esprit de communauté en faveur d’expérimentations qui ont échoué.
Le catholicisme hispanique, quand il n’a pas été corrompu par les mouvements identitaires étudiants ou la politique ethnique, est heureusement libre de tout cela. Comme les autres vagues d’immigration, il devra trouver un modus vivendi avec le mode de vie nord-américain et les défis d’une nation hypermoderne. Si ce processus se déroule bien, ce sera une bonne chose pour les Hispaniques et aussi pour l’Amérique en général.
Le sens de la communauté des Hispaniques fait écho à un des plus profonds renouveaux théologiques du vingtième siècle : la reconnaissance de la réalité du peuple de Dieu comme faisant partie du Corps Mystique du Christ. On entend ces phrases répétées si fréquemment que nous avons tendance à penser qu’elles ne veulent rien dire. Or elles expriment une Vérité de laquelle toutes les autres vérités découlent : que l’Eglise est réellement le corps du Christ prolongé à travers le temps – voire la vie après la mort. Selon l’expression de St Paul, il est la Tête et nous sommes les membres de ce corps.
C’est quelque chose qui vaut d’être gardé à l’esprit dans une nation – et une Eglise – qui peut se révéler hyper-individualiste et fermée à tout ce qui n’est pas le présent immédiat. Notre culture tend vers un pragmatisme superficiel et une foi naïve dans la technologie : les candidats potentiels à la présidence nous disent déjà qu’ils ne s’embarrassent pas d’idéologie mais de ce qui marche.
Ceci semble mettre de côté des questions qui nous divisent ou font illusion pour se concentrer sur ce qui est réel et concret, mais il y a certaines choses que l’on ne peut éluder sans courir au désastre. Comme l’a dit Chesterton :
« Le pragmatiste dit à l’homme de penser ce qu’il doit penser et ne pas se préoccuper de l’Absolu. Mais l’une des choses qu’il doit penser est l’Absolu. Cette philosophie est en réalité paradoxale. Le Pragmatisme est concerné par les besoins de l’homme ; or l’un des premiers besoins de l’homme est d’être quelque chose de plus qu’un pragmatiste. »
Les Cultures des pays qui se situent dans notre hémisphère sud, inspirées qu’elles sont par le Catholicisme, se sont révélées beaucoup moins sujettes que nous à cette tentation. Elles reflètent des traits profonds du catholicisme dans notre relation personnelle à Dieu et la continuité à travers les âges souvent perdus de vue au Canada et aux Etats-Unis.
Ce sens instinctif de la solidarité doit être contrebalancé par la rectitude catholique des définitions dogmatiques précises et la notion nord-américaine des institutions établies. Il fut un temps après Vatican II où des fractions de l’Eglise ont cru que la pastorale des gens pouvait faire fi des dogmes et des usages de l’institution. Ce jugement était à courte vue et trompeur, un peu comme si l’on croyait qu’un médecin était un bon médecin parce qu’il se comportait bien au chevet des malades bien qu’il soit quasiment incompétent en matière médicale.
Il existe des problèmes analogues dans le catholicisme latin. Il y a quelques années, j’ai visité Chichicastenango, au Guatemala, une ville dans les montagnes où l’ancienne culture Maya et la culture catholique se mélangent. Des chamanes locaux, les Curanderos, agitaient d’immenses encensoirs d’où sortaient des nuages d’encens recouvrant les marches de la cathédrale pour en chasser les esprits mauvais. Pour les habitants, Dieu n’est pas, comme parmi nous, une entité lointaine qui peut ou non agir dans nos vies. Pour eux, le monde spirituel est réel et actif dans notre monde – un point que le cardinal George clarifie, à sa manière, dans God in Action.
Dans l’aile principale de la cathédrale elle-même, se trouvent des petits autels où les locaux brûlent des cierges, versent du whisky, et dispersent des plumes de poulets en vertu de la superstition païenne ancestrale pour la fertilité, la protection, etc.
Ce genre de choses nous rappelle que la piété populaire a besoin d’être informée par la haute Culture de l’Eglise et doit se concentrer sur la purification patiente de la vérité. Nous devons tous marcher sur la voie d’une évangélisation plus parfaite, les catholiques hispaniques, en vertu de leur histoire catholique, tout comme le reste d’entre nous.
Samuel Huntington, qui fut le premier à nous avertir du Choc des Civilisations, écrivit peu avant sa mort un ouvrage intitulé : « Qui sommes-nous ? Les défis à l’identité nationale américaine » (2004). Il y disait que si nos Pères fondateurs avaient été Espagnols ou Portugais, notre nation eût été différente – et selon lui pire. Peut-être est-ce vrai, mais ceci ne répond pas à la question plus terre-à-terre qui est de savoir comment nous allons résister à la plus grave menace à notre identité nationale qui est la perte de notre héritage chrétien occidental sur lequel elle est fondée ?
Sans cela, l’Amérique ne pourra prospérer ni même survivre. Le catholicisme hispanique – si l’Eglise en fait bon usage – peut s’avérer une source inespérée de renouveau pour cette nation d’immigrants.
Source :
http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/hispanic-catholics-and-the-american-experiment.html