Sauf les férus d’Histoire, la plupart des gens ignore que débute ce mois-ci la célébration du cent-cinquantenaire de la Guerre de Sécession. C’est un sujet peu digne d’intérêt aux yeux des média et des intellectuels épris de « politiquement correct ». Pour eux l’idée de célébrer les hommes et femmes courageux du Nord comme du Sud est simplement repoussante.
Il n’en était pas de même en 1961, année du centenaire. Gamin, je guettais le facteur qui apportait les numéros de la revue « Life » consacrés à la Guerre de Sécession. Comme beaucoup d’enfants je collectionnais les timbres-poste commémoratifs, les B.D. racontant la Guerre de Sécession, et les soldats de plomb vêtus de bleu et de gris. [NDT : Bleu, couleur des uniformes des troupes nordistes, Gris, couleur des uniformes des troupes confédérées]. J’eus la joie, un Noël, de recevoir le livre de Bruce Catton: Mémorial d’Amérique, Histoire illustrée de la Guerre de Sécession, et celui de Shelby Foote : Le récit de la Guerre de Sécession.
Au collège catholique de Brooklyn que je fréquentais les cours d’histoire de l’Amérique étaient en majorité voués à la Guerre de Sécession. Les Sœurs nous enseignaient fièrement la part importante prise par les catholiques dans le conflit — à mon avis, cet enseignement mérite encore d’être donné.
Après l’attaque du Fort Sumter le 12 avril 1861, quand le Président Lincoln fit appel à des volontaires pour prendre les armes contre les États rebelles du Sud, nombre de catholiques étaient prêts à s’engager.
Pour Lincoln et ses alliés républicains, la sécession était illégale, et l’Union avait prédominance sur les droits particuliers des États. Mais les catholiques se rappelaient que les opposants aux républicains, les « Fédéralistes du Nord » avaient lancé un appel à la sécession lors de la Convention de Hartford (1815) en réaction, entre autres, contre la législation sur l’immigration accordant le droit de vote aux immigrants catholiques. Ils savaient aussi que le Nord se réfugiait derrière les « privilèges des États » pour échapper à la sentence « Dred Scott » [NDT : 1857, sentence de la Cour Suprême déniant la citoyenneté à un esclave] et méconnaître la législation relative aux esclaves « marrons ». Les catholiques mesuraient bien les points de vue des deux camps, car peu de catholiques du Sud possédaient des esclaves, et peu de catholiques du Nord avaient des entreprises manufacturières — où l’esclavage était considéré comme une source de concurrence déloyale. Pour la plupart des catholiques du Nord, une raison essentielle de participer au combat était de préserver l’Union à tout prix. D’autre part, les catholiques allemands de Pennsylvanie et du Midwest approuvaient la guerre car fermement hostiles à l’esclavage et à sa légalisation dans les nouveaux territoires.
En résumé, les catholiques voyaient dans cette guerre l’occasion de montrer leur attachement, leur loyauté, et leur solidarité envers leur nation d’adoption. Dans des vingtaines de chaires, les prédicateurs appelaient à endosser l’uniforme bleu car « l’Union devait être, et serait sauvée ».
Dans ce conflit fratricide, l’Église tenta de rester au-dessus de la mêlée. La hiérarchie encouragea les prêtres à s’engager comme aumôniers, et les Sœurs à se faire infirmières pour répondre aux besoins de tous les fidèles. Le jour de la Saint Patrick 1861, alors que les évêques du pays parlaient de la guerre, le premier archevêque de l’État de New York, John Hugues, énonça le mieux la position de l’Église: « où qu’il se trouve, il n’y a pour un catholique qu’une seule règle, qu’il y accomplisse son devoir de citoyen. »
Des émeutes éclatèrent dans la ville de New York en 1863 contre l’inégalité de recrutement, les zones à forte population catholique étant plus fortement soumises à la mobilisation que le nord de l’État de New York, à majorité protestante. L’archevêque Hugues ramena le calme.
Répondant à l’appel de tracts distribués par le clergé catholique dans toute la ville, 5000 personnes se rassemblèrent devant l’archevêché. Malade, trop faible pour tenir debout, Mgr Hughes resta assis pour leur déclarer: « Un homme a le droit de défendre sa cabane, s’il n’a rien de mieux, ou sa maison, ou son église, en risquant sa vie; mais que la cause soit toujours juste; que ce soit pour se défendre, non pour attaquer.» Après des acclamations et une bénédiction finale, il leur dit de rentrer chez eux, d’une seule voix, ils répondirent « Oui, nous le voulons ».
Son appel porta des fruits, et les émeutes déclinèrent. Mais le mal était fait. Des millions de dollars de dégâts, et 105 morts — 84 tués par la police ou l’armée, et 11 Africains-Américains et 10 policiers tués par les manifestants.
Malgré de nettes différences d’opinions politiques entre catholiques et protestants sur les raisons d’aller au combat, nul ne pourra dénier aux catholiques leur contribution majeure à l’effort de guerre et leur grande valeur sur le champ de bataille.
Au début de la guerre, il y avait 2.200.000 catholiques aux États-Unis, dont 1.600.000 Irlandais. Selon la Commission Sanitaire US 144.221 Irlandais servirent dans les armées de l’Union: 51.206 de l’État de New York, 17.418 de Pennsylvanie, 12.041 de l’Illinois, 10.007 du Massachusetts, 8.129 de l’Ohio, 3.621 du Wisconsin, et 4.362 du Missouri. On compta environ 40.000 catholiques allemands et 5.000 immigrants polonais. Les catholiques se trouvèrent majoritaires dans le corps des officiers, parmi eux plus de cinquante généraux et une demi-douzaine d’amiraux.
Dans le Nord se trouvaient parmi d’éminents catholiques le général William D. Rosecrans, les généraux Hugh et Charles Ewing, et le général Philip Sheridan. Le général Grant disait de Sheridan qu’aucun général, mort ou vivant, ne le dépassait, ni même sans doute l’égalait.
Au Sud, au moins 40.000 Irlandais servirent dans l’armée confédérée. Dans les rangs des officiers on trouve le général Pierre Beauregard, le général James Longstreet, le général William Hardee, et l’amiral Rafael Semmes.
À la fin de la guerre, le prestige de l’Église était grandement renforcé. Elle était restée unie, ses soldats avaient combattu avec bravoure, et les Américains avaient assisté à d’innombrables actes charitables de catholiques. Les Filles de la Charité, les Sœurs de la Pitié et d’autres ordres religieux s’étaient consacrés aux blessés et traumatisés, faisant une forte impression sur le public. Catholiques et non-catholiques marchant et combattant côte à côte surmontèrent bien des vieux préjugés.
La hiérarchie américaine tint en Octobre 1866 une assemblée conciliaire plénière au siège du premier épiscopat de la nation, à Baltimore [NDT : l’État du Maryland est historiquement un État à forte implantation catholique], pour faire la preuve de son union. Sept archevêques, trente-sept évêques, et deux pères-abbés menèrent la procession d’ouverture. Le président Andrew Johnson et le maire de Washington assistèrent à la séance de clôture — un hommage marqué au rôle joué par les catholiques pendant la guerre, et à la présence grandissante des catholiques en Amérique.
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George J. Marlin est l’auteur d’un ouvrage intitulé L’électeur Catholique Américain.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/catholics-and-the-civil-war.html