À la suite d’une religieuse visitandine, sœur Marthe-Marie Chambon (1841-1921), Mgr Dominique Le Tourneau entend nous instruire d’une mystique des blessures du Christ. En cette Semaine sainte, c’est une invitation que la liturgie devrait rendre familière. La dévotion du Chemin de croix n’a-t-elle pas persisté, alors même que la sensibilité contemporaine nous éloignait de ce qu’on repoussait à l’enseigne du dolorisme ?
Mais se concentrer, d’une façon exclusive, sur les blessures infligées au Christ durant sa Passion – et qu’il a conservées après sa Résurrection –, c’est franchir une étape qu’il n’est pas facile de concevoir. La victoire ultime de Pâques nous promet d’envisager la Passion comme une étape heureusement franchie. Cela n’empêche pas que nous devons notre Rédemption au sacrifice de Jésus et que nous ne saurions l’oublier, ne serait-ce que parce que le Sauveur y a donné la preuve suprême de son amour pour nous.
Il ne faut pas se cacher que cette spiritualité des souffrances du Christ doit franchir l’obstacle de l’horreur de la souffrance inhumaine ou surhumaine subie par le Christ. Quand Mel Gibson s’est lancé dans l’entreprise de sa Passion du Christ, il n’a voulu nous épargner aucun aspect du Chemin de croix. L’acteur qui avait la mission redoutable d’incarner le rôle du Christ a lui-même subi des épreuves qui ont douloureusement marqué son corps et compromis sa santé. Et comment oublier dans l’histoire littéraire la visite de Dostoïevski au musée de Bâle en 1867 ? Devant la toile de Holbein qui représente Jésus détaché de la Croix, l’écrivain en est saisi de frayeur. Il en gardera durablement le souvenir qu’il évoquera dans son roman L’idiot : « En face d’une pareille vision, comment ces fidèles ont-ils pu croire que le martyr ressusciterait ? Malgré soi, on se dit : si la mort est une chose si terrible, si les lois de la nature sont si pressantes, comment peut-on en triompher ? Comment les surmonter quand elles n’ont pas fléchi alors devant Celui même qui avait subjugué la nature ? »
Le cardinal de Lubac dans son grand livre Le drame de l’humanisme athée a montré comment Dostoïevski avait trouvé son propre chemin de Salut dans cette confrontation avec le mal et la mort. Cela n’ira pas sans contradictions intérieures à la mesure d’un débat douloureux sans fin.
Les abîmes de la grâce
Dostoïevski, il est vrai, n’est ni un saint, ni un représentant autorisé de la foi orthodoxe. Il est, génialement, le témoin des perplexités de l’homme moderne, lorsqu’il se décide à ne pas se laisser enfermer dans la prison d’un rationalisme orgueilleux et lorsqu’il n’exclut aucune interrogation sur le sens de son existence.
Tel n’est pas le cas des mystiques chrétiens qui ont franchi les obstacles du doute, pour se lancer en avant, aurait dit Bernanos. En avant, vers les abîmes de la grâce. Tel est le cas de cette religieuse que Mgr Dominique Le Tourneau donne en exemple, parce qu’elle a illustré par toute sa vie ce que le pape François indiquait dans une homélie en l’honneur d’un martyr arménien : « Les plaies de Jésus sont des plaies de miséricorde. Jésus nous invite à regarder les plaies, il nous invite à les toucher, comme il l’a fait avec Thomas pour guérir notre incrédulité. Il nous fait surtout entrer dans le mystère de ses plaies, qui est le mystère de son amour miséricordieux. »
C’est donc l’horreur qui s’estompe, face à une évidence d’amour qui retourne notre propre cœur.
— Mgr Dominique Le Tourneau, Les blessures du Christ. Lumières pour notre vie chrétienne, Artège, 156 p., 14,90 €.
— Mgr Dominique Le Tourneau, Les blessures du Christ. Lumières pour notre vie chrétienne, Artège, 156 p., 14,90 €.