Les athées peuvent-ils être de bons citoyens ? - France Catholique
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« Ô Marie conçue sans péché »
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Les athées peuvent-ils être de bons citoyens ?

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La métamorphose de Narcisse, Salvador Dali, 1937

La métamorphose de Narcisse, Salvador Dali, 1937

[Galerie Tate, Londres]

Il y a environ trente ans, le redoutable père Richard John Neuhaus (1936-2009) a posé la question titre de cet article et y a répondu. Ma tâche présente n’est pas d’essayer d’améliorer un des essais brillants du père Neuhaus mais seulement de le rappeler et d’y faire référence.

Le père Neuhaus a répondu à la question par la négative : les athées ne peuvent pas être de bons citoyens. Cependant, les types d’athées qu’il décrivait il y a trente ans ne sont plus simplement « présents ». Ils dominent nos échanges intellectuels et moraux. Un athéisme étouffant, non seulement claironne l’absence de Dieu mais en plus insiste que même faire référence à Dieu dans l’espace public est dangereux et de ce fait inacceptable.

Citant l’historien James Turner, le père Neuhaus censurait les « modeleurs de religion » qui « ont fait Dieu de plus en plus semblable à l’homme ». Nous avons agressivement dé-divinisé ou désacralisé en grande partie le monde. Mais il y a une raison pour laquelle le Premier Commandement vient en premier. Déclarez faux celui-ci, et il en résulte un désastre d’une telle ampleur qu’aucun ingénieur humain ne peut y remédier.

C.S. Lewis faisait observer, dans « Le problème de la souffrance », que « dès qu’une créature devient consciente de Dieu comme Dieu et d’elle-même comme étant soi, la terrible alternative de choisir comme centre Dieu ou elle-même lui est ouverte. Ce péché est commis tous les jours par de jeunes enfants et des paysans ignorants aussi bien que par des personnes sophistiquées, par des solitaires aussi bien que par ceux qui vivent en société : c’est la chute dans chaque vie individuelle ».

Une fois que l’on enlève de la société Dieu, la Vérité ou la réalité objective, le résidu est l’égoïsme menant au désordre moral. Et la vie moderne est dénuée de standards qui font autorité, comme Will Herberg (1901-1977) l’avait déjà noté il y a des décennies.

En l’absence de standards moraux conducteurs, nous nous tournons nécessairement vers ce qui nous convient. Le résultat est un solipsisme éthique : ayant rejeté notre devoir religieux pour devenir Dieu, nous devenons à la place de petites divinités.

Lorsque les citoyens se limitent à l’auto-célébration, ils ont de moins en moins les moyens d’évaluer la dégénérescence spirituelle et politique qui les entoure – et à laquelle ils participent. Ils restent avec le seul mantra auto-destructeur « si cela semble bon, c’est que c’est bon ».

Ce qui est légal n’est alors plus fondé sur ce qui est juste. Même les us et coutumes ne sont plus enracinés dans ce qui est moralement juste (pensez à Antigone). L’opinion n’est guère guidée par le savoir ou la sagesse. La justice, la loi naturelle, la sagesse – toutes ces choses sont au mieux des « abstractions » sans place si incidences sur les questions d’Etat.

Il n’y a pas non plus de « cause finale » aristotélicienne, la finalité ou le telos que nous poursuivons et dans lequel « nous vivons, bougeons et avons l’existence » (Actes 17:28). Aristote faisait observer que « le principal souci de la politique est d’engendrer un certain caractère chez les citoyens et de les rendre bons et disposés à accomplir de nobles actions » (Ethique à Nicomaque, I[9]). Une politique sécularisée tourne en dérision l’idée que sa tâche soit de nous aider à discerner et accomplir de nobles actions.

Le bon citoyen est marqué par la vision, l’aptitude apprise de discerner le bien du mal dans ce que nous pensons, disons et faisons. Elle est maintenant remplacée par une myopie morale incapable de discerner au-delà du proche et de l’immédiat, un relativisme nihiliste étayé par l’ignorance.

Le bon citoyen est marqué par la vertu, ce qui signifie, selon John Hardon, S.J. (1914-2000) « une bonne habitude qui rend capable une personne d’agir en accord avec une raison droite éclairée par la foi ». A la place nous trouvons maintenant le vice de la poursuite de plus en plus de richesse et de pouvoir.

Un bon citoyen est marqué par la valeur, c’est-à-dire la bravoure chevaleresque en cherchant la vérité et, l’ayant trouvée, en agissant consciencieusement selon ses principes. A la place, de nos jours, il n’y a plus que la prise de risque pour un avantage personnel.

Que nous vivions parce que « Dieu nous a mis dans le monde pour le connaître, l’aimer et le servir et ainsi aller au paradis » (Cathéchisme de l’Eglise Catholique #1721) est rejeté comme contraire à notre (aride) pensée personnelle et notre sens politique (vicié). Que la sagesse soit « un reflet de la lumière éternelle, un parfait miroir de l’activité et de la bonté de Dieu » est regardé comme une absurdité, car la seule sagesse actuelle est qu’il n’y a pas de sagesse.

« Un bon citoyen, écrivait le père Neuhaus, est capable de donner un témoignage, un témoignage moralement convaincant, du régime [politique] dont il fait partie. Il est capable de justifier sa défense contre ses ennemis, et de conseiller avec conviction ses vertus aux citoyens de la génération suivante afin qu’à leur tour ils puissent transmettre le régime aux citoyens à venir ».

Neuhaus doutait que des athées puissent présenter « un témoignage moralement convaincant » – à propos de quoi que ce soit. Paradoxalement, les athéistes actuels partagent ce jugement, si ce n’est qu’ils prétendent qu’il n’y a pas de témoignage moralement convaincant à donner. Un tel « témoignage » procèderait d’une comparaison entre ce qui est et ce qui devrait être. Le rejet méprisant du surnaturel signifie que la politique est au-delà d’une rectification. L’anorexie politique qui caractérise le dernier demi-siècle dénote une source empoisonnée.

Une éducation authentique, faisait remarquer Sydney J. Harris, « transforme des miroirs en fenêtres ». La politique moderne, au rebours, est une maison de miroirs : le chaos règne et la corruption fait sa loi parce que les fenêtre au travers desquelles nous devrions percevoir la vérité sont fermées et condamnées. Alors nous déambulons dans un labyrinthe éthique, incertains de notre direction et de notre destinée (cf. psaume 81:11-12).

Depuis la Genèse jusqu’à la Révélation, nous sommes mis en garde contre l’idolâtrie et les faux dieux.Cependant, nous prenons trop rarement conscience que les idoles les plus dangereuses et les plus perfides sont celles à visage humain qui non seulement nous disent que nous pouvons être comme Dieu (Genèse 3:5), mais que nous pouvons être Dieu. Voilà le cœur battant du totalitarisme, dont le spectre hante la politique contemporaine.

Le père Neuhaus n’a pas été le seul à nous dire que les athées ne pouvaient pas être de bons citoyens. Un prophète l’avait fait : « voici ce que dit le Seigneur : ‘maudit celui qui met sa confiance dans l’humanité, qui fait de la chair sa force, et dont le cœur se détourne du Seigneur’ » (Jérémie 17:5).