La mort dramatique de deux journalistes de Radio France Internationale, Claude Verlon et Ghislaine Dupont, est venue rappeler brutalement la dureté de l’histoire. Laurent Fabius, sur le perron de l’Élysée, a déclaré : « Les assassins sont ceux que nous combattons, les groupes terroristes qui refusent la démocratie et les élections. » Certes, nous avons nos propres critères, nos propres repères de légitimité, mais ils ne sont pas forcément ceux de l’adversaire, d’autant que cet adversaire nous lui avons déclaré la guerre au Mali, François Hollande recevant d’ailleurs à cette occasion l’appui unanime de la nation. La bataille a été gagnée sur le terrain, mais l’ennemi n’a pas désarmé pour autant. La région de Kidal, où les deux confrères ont été assassinés, n’est pas sécurisée. Même si l’État de droit a pu être restauré à Bamako, les facteurs qui avaient produit le chaos n’ont pas disparu. Cela est vrai aussi d’autres pays, comme l’Afghanistan, le Pakistan, l’Irak, où diverses interventions militaires n’ont pu venir à bout d’un ennemi coriace, dont l’inspiration idéologique n’est pas susceptible d’être réduite par les armes, et dont les intérêts, les trafics, les pratiques mafieuses tissent la toile d’une universelle araignée.
Comment les journalistes pourraient-ils échapper à la difficulté du terrain et à la proximité des dangers ? On a aussi beaucoup parlé ces jours derniers de la mort de Gérard de Villiers, ancien grand reporter à France Soir des belles années, qui avait poursuivi son travail d’enquête comme romancier extraordinairement précis et même pertinent pour sentir et juger les situations les plus critiques sur la planète. Hubert Védrine, quand il était au Quai d’Orsay, l’avait invité pour mieux connaître ce personnage étonnant, dont le flair le surprenait. Il avait su percevoir le basculement du monde d’après la guerre froide. Le climat tendu, violent, parfois sordide de ses romans était malheureusement le reflet d’une réalité implacable. Nos deux collègues ont été victimes de cette réalité et de cette brutalité. Florence Aubenas remarque que le brassard de la presse ne protège plus mais désigne comme cible. C’est un cinglant démenti à ceux qui croyaient que nous allions vers un avenir de paix, garanti par le droit.
Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 4 novembre 2013.