Les acteurs de l’universalisation - France Catholique
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Les acteurs de l’universalisation

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Humaniser la globalisation, y inscrire une dimension sociale, cela n’est pas sans conséquences pour les principaux responsables de la vie politique et économique internationale. Comment pourrait-on, par exemple, donner au travail toute sa place sans le concours des entreprises ?

Le rapport de Christine Boutin rappelle que les choses ont profondément changé depuis quarante ans ; à l’époque, le partage entre sphère publique et sphère privée était relativement clair ; la première était concernée par l’intérêt général construit en référence à des valeurs universelles ; la seconde visait des intérêts privés et parvenait à un équilibre social grâce au bon fonctionnement des marchés.

Depuis lors, les grandes entreprises ont acquis progressivement plus de pouvoir et par conséquent plus de responsabilités, résumées non sans ambiguïtés sous l’expression « Responsabilité sociale des entreprises » (RSE) ; il s’agit pour elles de prendre en compte les attentes parfois contradictoires de la société civile afin de pouvoir fonctionner normalement. Mais la tâche n’est pas simple puisqu’il faut parvenir à mettre les éléments sociaux les plus importants en dehors du cadre concurrentiel, autrement dit de faire en sorte que la concurrence internationale ne soit plus un prétexte au démantèlement généralisé des droits et au « moins disant social ».

Le rapport décline cette thématique de la RSE en plusieurs propositions avec l’ambition de promouvoir des avancées concrètes. Il préconise notamment le développement de négociations au niveau mondial entre entreprises et organisations syndicales et la participation des syndicats à des rencontres internationales comme celles du G20. Il souhaite également une redéfinition des objectifs de l’entreprise en précisant que « la mission de l’entreprise est de créer de la valeur et de la partager avec l’ensemble de ses parties prenantes : salariés et actionnaires, clients, fournisseurs, gouvernements » ; dans cette perspective, la responsabilité ultime des dirigeants n’est pas seulement de faire du profit, mais de veiller à sa répartition satisfaisante et durable entre les différents partenaires.
Exprimer des souhaits et fixer des objectifs n’est cependant pas suffisant ; encore faut-il mesurer les progrès accomplis. A cet égard, il convient de poursuivre et d’harmoniser les efforts faits en divers pays pour dresser des bilans sociaux et environnementaux. Il semble en effet que les progrès effectués en matière de développement durable sous la pression de la crise n’aient pas toujours eu leur équivalent sur le plan social et humain. L’un des grands enjeux actuels est de rendre compte de l’activité des entreprises d’une façon globale en intégrant les indicateurs financiers traditionnels à un « volet sociétal ».

La prise de conscience nouvelle de cette mission de l’entreprise et de sa responsabilité sociale fait que sa valeur globale est en réalité plus complexe que les définitions d’ordre financier couramment utilisées (profitabilité, rendement….) le laissent croire ; cette valeur devrait logiquement intégrer des paramètres sociaux et environnementaux. Aussi Christine Boutin préconise-t-elle la création sous l’égide des institutions internationales d’une Agence de notation de la valeur globale des firmes multinationales qui soit indépendante des acteurs (gouvernements, investisseurs…) et dont les méthodes d’évaluation soient jugées équitables.
On devine que la prise en compte des performances sociales et environnementales puisse affecter dans un grand groupe les rémunérations des dirigeants. Imposer des critères de performances parmi les conditions d’obtention des stocks-options et des actions gratuites est présenté comme un moyen d’imposer ces questions aux dirigeants et aux conseils d’administration.

Pourtant, le rapport Boutin va plus loin en faisant l’éloge d’un nouveau modèle d’entreprise inspiré de la conception du « social business » de Mohammad Yunus, prix Nobel de la paix en 2006. En bref, il s’agit d’une forme d’entreprise fonctionnant pour un marché et capable de couvrir ses coûts ; il ne s’agit donc pas d’une organisation charitable financée par des dons. Mais cette entreprise ne distribue pas de dividendes ; tous les profits sont réinvestis et la maximisation du profit est remplacée par un bénéfice social, c’est-à-dire la capacité de l’entreprise de faire fructifier des avantages sociaux. Les actionnaires ne feront que récupérer leur mise initiale au bout d’un certain délai. On ne sort pas du cadre de l’économie de marché, mais on cherche à la faire évoluer, par exemple en créant un fonds regroupant des capitaux publics et privés pour multiplier les entreprises de social business dans le monde.

Toutes ces suggestions resteraient probablement lettre morte si aucune autorité politique n’avait pour mission d’accélérer le passage de la mondialisation à l’universalisation ; de garantir à tout homme des conditions de vie dignes compte – tenu de son lieu d’existence.
Pour promouvoir une véritable gouvernance universelle, il conviendrait notamment :

– d’élargir les instances de décision en passant du G20 au G25 afin d’y faire entrer de nouveaux représentants des pays pauvres ;

– d’assurer une cohérence entre ces pays membres et ceux qui sont représentés dans les grandes organisations internationales ;

– d’améliorer et harmoniser les multiples outils d’information statistique indispensables à toute prise de décision.

Pourtant, il ne suffit pas de renforcer la légitimité des instances mondiales en élargissant leur recrutement ; il faut aussi que les décisions soient préparées, débattues et concertées. A cette fin, le rapport propose d’organiser un débat annuel dans le cadre de l’assemblée générale de l’ONU et de fixer un ordre du jour permettant la consultation de la société civile. Mais il se garde bien d’aller plus loin, par exemple à propos des formes que pourrait prendre cette consultation ou la réforme nécessaire de l’organisation des Nations unies. Non seulement ce long texte ne constitue qu’un rapport d’étape, mais ses propositions ont besoin d’être relayées au plan politique pour avoir quelques chances d’être prises en considération au niveau international.

Ce que l’équipe animée par Christine Boutin nous apporte aujourd’hui, c’est une vaste synthèse de propositions et d’expériences multiples susceptibles, — si elles étaient adoptées —, d’humaniser les rapports marchands sans vouloir « casser » le système, ce que certains considéreront peut-être comme une gageure !

Il faudra sans doute beaucoup de persévérance et de détermination pour convaincre les politiques, contourner la résistance des groupes et vaincre les inerties bureaucratiques. Ceci n’est-il pas le lot de toutes les visions chargées d’un aspect prophétique ?