Les abus sexuels et l'indépendance de l'Église - France Catholique
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La justice de Dieu
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Les abus sexuels et l’indépendance de l’Église

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Ste Catherine de Sienne (1347-1380), « Docteur de l’Eglise » avec trente-deux autres saints, est mieux connue pour ses Dialogues où elle s’entretient avec Dieu le Père. Les premières parties des Dialogues sont un traité de vie spirituelle dans lequel le Père décrit plusieurs étapes, et pointe même une étape ultime d’union sensible constante avec Dieu. Les étapes sont analogues à celles que l’on peut trouver dans le Château intérieur de Ste Thérèse d’Avila ou dans les œuvres de St Jean de la Croix.

Dans un dernier chapitre, cependant, Dieu entreprend à l’intention de Catherine une chronique des divers cas de corruption par le péché au sein de l’Eglise – prêtres et évêques avides de richesse et de pouvoir, fornication, visites à des prostituées, bamboches dans des cafés en vêtements civils, mariages en dépit des vœux de célibat, sans honte que leurs femmes et leurs enfants apportent les offrandes à l’autel pendant la messe.

Un long chapitre spécial est consacré au scandale de sodomie, que le Père qualifie de complètement contre-nature. Il ajoute toutefois que personne ne doit désespérer du salut, car « ma miséricorde, que vous recevez dans le sang (du Christ), est incomparablement plus grande que tous les péchés qui sont commis à travers le monde. »

Le Père fait ensuite une déclaration que plusieurs d’entre nous, dans le climat culturel ambiant, pourraient trouver surprenante – et même contraire à l’intuition : « En vertu de la dignité et de l’autorité que J’ai conférées (aux prêtres, aux évêques et autres membres du clergé), Je les ai libérés de l’esclavage, c’est-à-dire de la soumission au pouvoir temporel. Le droit public n’a aucun pouvoir de les punir : ce droit n’appartient qu’à celui qui a été nommé pour gouverner et diriger selon la loi divine. »

Si l’on replace les choses dans leur contexte, nous devons prendre conscience du fait que Catherine vivait à une époque marquée par des luttes entre la papauté et les villes-Etats italiennes qui rivalisaient de pouvoir avec la papauté ; les lois différaient également des nôtres – les notions de « mineurs », d’ « enfants », de crime, etc. En d’autres termes, l’intention du Père n’était pas d’exempter les clercs des justes lois qui s’imposent, mais il soulignait que la réforme et la sanction devait émaner des évêques et des supérieurs religieux qui étaient critiqués pour leur inaction – inaction due à leur crainte de l’impopularité, ou de perte de prestige ou d’argent ; ou parce qu’ils sont eux-mêmes impliqués dans le même genre de péchés.

Dans le contexte actuel, et du droit qui prévaut aujourd’hui, les statistiques sur la question des abus du clergé, selon le dernier rapport John Jay, sont les suivantes : environ 5% des prêtres entre 1950 et 2002 ont été accusés d’abus sexuels ; la grande majorité des victimes sont des jeunes hommes post-puberté et adolescents ; 0,3% étaient des enfants (ndt : avant l’âge de la puberté) ; 138 accusés ont été condamnés et 100 emprisonnés.
Les coupables de pédophilie ou d’abus sexuels sur des mineurs doivent affronter la justice pénale. La « présomption d’innocence » et d’autres garde-fous juridiques qui sont enseignés dans les cours d’éducation civique à l’école secondaire n’empêchent, si l’on suit les derniers reportages dans les média, qu’il est difficile de voir justice rendue à un prêtre qui a été accusé mais qui est innocent. Dans un livre intitulé « Deux poids deux mesures : les scandales sexuels et les attaques contre l’Eglise catholique », David Pierre cite quelques exemples :

La levée de la prescription concernant les abus sexuels par l’Etat de Californie a généré une avalanche de plaintes contre le diocèse de Los Angeles, entraînant 60 millions de dollars de compensations aux plaignants. Or 30 % des prêtres accusés étaient décédés.

En 1993, l’archidiocèse de Chicago a dépensé des sommes importantes pour défendre le cardinal Bernardin d’accusations de la part d’un homme qui a ensuite rétracté les « souvenirs réprimés » qu’avait découverts son psy.

Le P. Gordon McRae a déjà servi 14 ans de détention et restera sans doute en prison à perpétuité pour avoir refusé de plaider coupable des accusations portées contre lui (www.thesestoneswalls.com)

En 1992, un diocèse dans le New-Hampshire, face à des accusations formulées par soixante-deux personnes, a accepté de verser des millions pour éviter les dépenses d’instances judiciaires au cas par cas.
La « séparation de l’Eglise et de l’Etat » selon la Constitution est une route à deux voies. Il est interdit à l’Eglise de diriger l’Etat, et vice versa. Or l’Etat peut imposer sa loi à l’Eglise selon des voies subtiles, en écartant le principe constitutionnel de base  « innocent jusqu’à être déclaré coupable », en abolissant les règles de prescription, en affaiblissant les droits à des procédures équitables face à la frénésie médiatique, et en traitant avec désinvolture les traditionnelles règles de preuve.

Quelles preuves retenir contre un prêtre accusé qui rejette une accusation d’abus sexuel ? Les preuves jugées suffisantes peuvent provenir de témoignages, d’antécédents judiciaires, de tests ADN, éventuellement de tests de détecteurs de mensonges à la fois de l’accusé et du plaignant. Mais la plupart du temps, c’est « ta parole contre la mienne » comme dans la plupart des affaires d’abus domestiques. Les prêtres accusés sont souvent à la merci de leurs évêques, eux-mêmes peut-être soumis à pression de la part des pouvoirs publics pour qu’ils révèlent l’affaire publiquement en dépit d’absence de preuves suffisantes.

Plusieurs jeunes hommes, qui ont reçu la grâce d’un appel à la prêtrise, s’inquiètent aujourd’hui de la facilité avec laquelle ils pourraient avoir à faire face à des accusations d’abus sexuel pour peu qu’ils se soient fait des ennemis en mal de représailles ou soient en contact avec des faiseurs d’histoires. On comprend qu’ils y réfléchissent à deux fois.

Dans certains diocèses, et sous certaines juridictions, ils seraient considérés comme coupables à moins que des preuves incontestables ne les innocentent ; ils seraient transférés à des emplois de bureau ; même si les charges pesant sur eux étaient abandonnées, leur vocation continuerait d’être suspectée si, par exemple, ils devaient être affectés à des positions pastorales ordinaires impliquant des jeunes.

La « crise des vocations » dans l’Eglise catholique est attribuée par les libéraux à des causes variées – le célibat, la non-ordination des femmes, etc. Mais les ingérences de l’Etat, incitées par des avocats avides, contre l’indépendance de l’Eglise, sont sans doute un autre facteur majeur décourageant l’entrée dans les ordres. Ceci, ensemble avec l’anti-catholicisme traditionnel, entre peut-être dans la motivation des traitements sévères que notre système juridique réserve désormais aux prêtres et quasiment à eux seuls.

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Source

http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/a-house-divided-but-not-beyond-repair.html