Le participe passé du verbe latin absolvere est absolutus. Il signifie libéré de toute restriction. L’homme moderne ne veut pas d’absolus. Il veut être émancipé en tous temps et en tous lieux de ce qui lie.
Un « absolu » fait référence à une ligne à ne pas franchir. Dans la réalité, les absolus « moraux » peuvent être franchis. « Tu ne tueras pas » ne signifie pas qu’il n’adviendra aucun meurtre. Cela signifie qu’en passant outre, des conséquences « absolues » s’ensuivent – dans ce monde ou dans l’autre.
Toutes les choses non pardonnées restent avec nous. En fait, même pardonnées, elles restent avec nous. Nos actes et nos paroles forgent le personnage que nous construisons. Nous sommes pour toujours ce « quelqu’un » qui durant ses jours terrestres, a fait ou n’a pas fait ceci ou cela.
Supposons que nous voulons nier l’existence des absolus, comment nous y prendrions-nous ? Au départ, il est facile d’imaginer pourquoi nous voudrions débarrasser le monde des absolus. Leur élimination nous permettrait probablement de nous sentir libres de faire nos quatre volontés sans craindre de répercussions fâcheuses.
Aucun doute, si je veux éliminer la condamnation du meurtre ou du vol, je veux réserver cela à mon propre cas. Je ne veux pas voir cela universalisé. Je ne veux pas que les autres se sentent tout à fait libres de m’effacer de la surface de la terre ou de s’éclipser indemnes impunément avec mes biens chèrement acquis.
On ne peut pas avoir les deux. Alors vu sous cet angle, nous ne désirons pas vraiment voir les absolus abolis, hormis quand ça nous arrange.
Mais si nous insistions toujours pour abolir les absolus, nous pourrions aborder le problème sous l’angle de l’autorité. Qui dit qu’il existe des absolus ? Les Ecritures, par exemple, ont quelques fort bien sentis « tu ne feras pas ». Mais pourquoi se soucier des Ecritures ? Qui connaît ce qu’elles racontent ? Qui était là pour évaluer la justesse des interdits qu’elles listent ?Pourquoi ces « tu ne feras pas » n’auraient-ils pas été valables uniquement pour cette époque reculée ou au sein de ces coutumes étranges ?
Descartes s’est même inquiété que peut-être le diable nous trompait de telle sorte que nous ne puissions nous fier à nos sens pour nous dire quelque chose de fiable sur ce qui se passe dans le monde. Mais si Dieu n’existe pas – ou si nous ne pouvons déterminer qui a dit quoi – il est insensé de faire confiance à quelque autorité que ce soit qui aurait établi des absolus. Quand le Christ a pardonné à la femme prise en flagrant délit d’adultère, Il lui a dit : « va et ne pèche plus ». Est-ce qu’Il ne violait pas ses « droits » à vivre comme elle l’entendait ?
Pourtant, si nous ne trouvons pas d’autorité divine capable de définir ou d’imposer des absolus, qu’en est-il de l’état ? Peut-il imposer tout ce qu’il veut ? N’était-ce pas ce que Hobbes enseignait ? Ce pouvoir civil absolu semble être à peu près vrai. Mais les états différent. Ils peuvent changer du jour au lendemain ce qu’ils considéraient comme des absolus. Des contraires peuvent être des absolus à des moments donnés.
Semblablement, des absolus scientifiquement liés semblent exister. S’ils ne tenaient pas, le monde s’écroulerait. Personne ne veut changer la vitesse de la lumière ou le fait que nous, êtres humains, naissions avec des mains et un cerveau. La gamme d’ondes sonores que nous pouvons ou ne pouvons pas percevoir semble vraiment un absolu.
Quand on se penche sur la question, le nombre d’absolus que nous pourrions vouloir changer est très réduit. Pour un jouer de base-ball, la seule façon d’attraper la balle nécessite que a) elle ne soit pas en plomb ; b) le batteur l’ait renvoyé avec sa batte : c) la balle descend en arc de cercle ; les jambes, yeux et main du joueur agissent de façon coordonnée afin qu’il soit sur la trajectoire de la balle. Si ces absolus ne sont pas permanents, n’hésitez pas à me sortir du jeu.
Si le monde n’était pas plein d’absolus, nous ne pourrions pas y vivre. Bien plus, nous ne voudrions pas y vivre. Les problèmes que nous avons, nous humains, ne concernent qu’un petit nombre d’absolus. Ce sont les absolus qui indiquent ce que nous sommes et comment nous devrions vivre, quand bien même nous ne les respectons pas.
C’est quand nous ne les respectons pas que se font jour des difficultés pénibles avec les absolus. Pour une raison ou une autre, toutes sortes de choses fâcheuses nous arrivent ou arrivent aux autres, et nous répugnons à les attribuer au fait de ne pas avoir tenu compte des absolus. Nous développons toute une rhétorique qui aboutit généralement à nous rassurer, nous avons tout à fait bien agi. Le fait est que personne ne peut violer un absolu sans donner une raison pour le justifier.
Où cela nous mène-t-il ? Nous finissons par prouver l’existence des absolus en découvrant que nos raisons pour les prouver faux aboutissent à les prouver vrais. Le mot d’esprit selon lequel aucune bonne action ne demeure impunie mérite un ajout : « aucune mauvaise action non plus » comme le disait Platon. Cela aussi est un absolu.
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James V. Schall, qui a été professeur à l’université de Georgetown durant 35 ans est l’un des écrivains catholiques les plus féconds en Amérique.
Illustration : « Les bons et les mauvais anges » par William Blake, vers 1800 (Tate, Londres]
Source : https://www.thecatholicthing.org/2017/04/25/on-absolutes/