Jusqu’au 2 décembre 2017, la librairie Téqui présente dans une de ses vitrines un très étonnant ensemble de livres récents et anciens, de belles éditions, des dédicaces, des lettres manuscrites, des épreuves corrigées… de Léon Bloy. On peut s’y procurer ses œuvres complètes pour 450 euros sur un demi-mètre de long. On y trouve aussi quelques plaquettes rares, anciennes ou tout juste sorties des presses. Car Léon Bloy, qui ne s’est jamais vendu, a pourtant suscité bien des enthousiasmes et bien des éruditions depuis un siècle tout juste qu’il est mort.
Il y avait donc des merveilles pour bibliophiles jusqu’à 2 800 euros ! (elles seront encore présentées lors de l’après-midi des écrivains catholiques à la mairie du VIème le samedi 2 décembre justement, puis soit elles auront été vendues, soit elles retourneront chez leurs propriétaires jusqu’au prochain centenaire peut-être…) Pour ma part je me suis contenté d’acheter un opuscule paru en 2016 aux obscures éditions du Colophon, 121 rue Lecourbe 75015 Paris. J’ai dépensé 8 euros pour ce « roman » de 80 pages. Et je ne l’ai pas regretté.
Guillaume des Saints-Pères est paraît-il le pseudonyme collectif de plusieurs auteurs. C’est bien possible car, en effet, il y a plusieurs styles dans cette petite histoire, qui ne s’accordent pas toujours parfaitement avec l’idée qu’on se fait de l’héroïne principale : Véronique, une petite fille d’une douzaine d’années que ses parents envoient faire ses devoirs chez leur voisin Monsieur Léon, écrivain, à qui elle apporte une part de tarte car on sait qu’il ne mange pas souvent à sa faim. L’écrivain fait faire une dictée à sa petite voisine, à partir d’articles de journaux ou de pages de certains de ses amis écrivains comme lui, qu’il entrecoupe de ses commentaires, en demandant son avis à la fillette qui réfléchit beaucoup… mais in petto… Quand elle repart, il lui conseille encore une lecture ou lui prête un livre : « Moby Dick » en lui expliquant comment il faut le lire. On aimerait savoir ce qu’elle en a pensé, mais cela ne sera pas dit.
Il y a un présent de narration, des dialogues pris sur le vif, mais en fait on a affaire à des souvenirs concernant des faits qui se sont passés en 1886, 1887, 1888, 1892… et qui sont racontés en… 1953, ce qu’on n’apprend qu’aux toutes dernières lignes. A ce moment-là le style retombe sur ses pieds : on a compris pourquoi l’écrivain Céline pouvait être cité, alors qu’on n’en était pas encore aux années 1900 ou comment certains mots anachroniques pouvaient apparaître. Reste encore une coquille que le correcteur des épreuves a laissé passer : un masculin mal venu puisque le narrateur est censé être cette jeune fille. Alors on imagine plutôt l’auteur de ce chapitre lui-même, en érudit de quartier, qui a arpenté le moindre recoin du XVe et a consulté les archives cadastrales et notariales pour en égrener les vitrines et les commerçants en cette toute fin du XIXe siècle. Madame Bovary (heu ! Véronique…), c’est lui, notamment quand il dit au tout début : « Je me souviens de la fin de ma tendre enfance passée au 127 rue Blomet, une rue très lointaine située dans le relativement nouveau 15e arrondissement de Paris, à l’encoignure de la rue de l’Abbé Groult, à deux pas de l’institut de Mme Lefèvre et à un jet de pierre de l’église Saint-Lambert […] Un peu plus loin du 127, se trouvent les sœurs de Sainte-Marie de la Sainte-Famille et l’asile de Notre-Dame du Bon repos (n° 128). » Nous voilà installés dans un quartier et un contexte catholique dont nous n’allons plus sortir puisque ce roman est d’abord le portrait tendre et fouillé de Léon Bloy, drôle de paroissien et écrivain, à l’époque où il n’était pas encore marié avec Jeanne.
Chaque fois qu’un nom nouveau est cité, nom de rue, église, écrivain, une note très précise est fournie. Et ce « roman » s’avère un manuel très efficace pour maîtriser le monde de Léon Bloy. Quant à l’histoire, elle part bien, avec une affaire de « lettre volée » qui rebondit deux ou trois fois. Là aussi on aurait bien aimé savoir ce qu’il y avait dans la lettre qui pouvait à ce point retourner la maman de Véronique, d’autant plus qu’on sait que l’auteur est Barbey d’Aurevilly… Mais finalement le ou les auteurs ne sont pas allés jusqu’au bout de leurs ambitions littéraires. Le roman tourne un peu court. C’est dommage, il y avait manifestement de quoi faire. Mais ce n’était sans doute pas le but ou bien il y a manqué du temps. Reste que cet exercice de style est séduisant parce qu’il repose sur une connaissance en profondeur de l’œuvre de Bloy et un amour communicatif pour ce quartier de Paris. A recommander aux « bloyens » chevronnés ou débutants et à tous les amoureux de Paris – 1900.
— – Un tournebride rue Blomet Disponible à la librairie Téqui, 8 rue de Mézières 75006 Paris.
— – Un tournebride rue Blomet Disponible à la librairie Téqui, 8 rue de Mézières 75006 Paris.