Quand je fais un cours sur l’Enfer de Dante, souvent des étudiants sont surpris de découvrir que la luxure est le premier vrai cercle de son enfer médiéval (après les limbes pour les païens vertueux). Ce qui veut dire que c’est le péché le plus léger pour lequel les gens sont damnés pour l’éternité. Les vraies fripouilles – les mauvais conseillers, les semeurs de discorde, et ceux qui trahissent leurs supérieurs légitimes et Dieu lui-même, sont beaucoup plus enfoncés, et souffrent des punitions bien pires. Les luxurieux sont éparpillés par le souffle d’un vent incessant comme des oiseaux ou des feuilles dans une tempête, ce qui est une image de leurs émotions irrégulières et débridées.
Et pour rendre les choses encore pire (pour les étudiants qui découvrent le texte pour la première fois) Dante le pèlerin/personnage du poème (il faut toujours se souvenir qu’il ne s’agit pas nécessairement du même Dante que Dante l’auteur) semble plus ou moins sympathiser avec un couple d’amants adultères – Les fameux Paolo et Francesca – quand ils racontent leur drame. Elle était mariée à un mari brutal (et quand on lui avait proposé le mariage peut-être même avait-elle été trompée sur la personne). Et lui est si courtois et raffiné. S’il avait existé un équivalent médiéval de notre régime moderne de « discernement » ces deux-là auraient été de parfaits candidats à l’accompagnement et à la miséricorde.
Mais au fur et à mesure que nous (les étudiants et moi) commençons à lire le texte plus attentivement, d’autres traits commencent à émerger. Par exemple le Chant (Inferno V) où les deux adultères racontent leur histoire, commence par la rencontre de Dante (et de son guide Virgile) avec Minos, juge des enfers, qui leur dit : « O vous qui venez dans ce lieu de souffrance… prenez garde à la manière dont vous entrez, et à qui vous faites confiance. Ne vous laissez pas égarer par la voie facile. »
Virgile, un païen cultivé, pense que Minos essaye juste de les empêcher de passer. Mais ce n’est pas ce qu’il a dit ou ce qu’il a fait. Il les prévient que l’enfer est trompeur et surtout qu’il est très facile de se retrouver pris dans ses filets. Virgile, même dans sa sagesse païenne, peut ne pas l’avoir clairement compris par lui-même. Et comme ce qui suit, ce sont deux adultères présentant une image belle et touchante de leur péché, peut-être que le poète païen, malgré toute sa sagesse, n’est pas le meilleur guide dans ce cas particulier.
Parce que ce qui suit a besoin d’un cadre différent pour être bien compris. Les deux âmes, sur ordre de Dante, sortent du vent violent, comme deux colombes qui reviennent au nid, dit-il. Et Francesca dit à Dante :
O créature vivante, gracieuse et bonne,
Qui traverse l’air sombre pour nous rendre visite,
Nous qui avons taché le monde de sang,
Si le Roi de l’univers était notre ami
Nous prierions qu’il vous accorde la paix
Vous qui montrez de la pitié pour notre sort douloureu
x.
Comme c’est doux. Et courtois. Et délicat. Et quel grand contraste avec leur meurtre brutal par un mari jaloux. Mais aussi, quelle subtilité curieuse : « Si le Roi de l’univers était notre ami… » Francesca semble penser que Dieu devrait être comme un des membres terrestres de la cour dans un château, sympathisant avec leur situation et désireux de leur faire plaisir puisque leur amour est si cultivé et compréhensible.
Tout est amour, amour, amour :
L’amour, si prompt à s’embraser dans un cœur tendre,
a saisi cet homme pour la belle personne que je suis, d’une manière qui me touche encore.
L’amour qui ne pardonne d’aimer à aucun être aimé
M’a saisi si fortement de ses charmes que,
Comme vous le voyez, il me possède encore.
L’amour nous a menés à mourir ensemble.
Caïna attend celui qui a étouffé nos vies.
Dante est entraîné dans ce fantasme jusqu’à ce qu’il s’évanouisse et se réveille beaucoup plus loin dans l’enfer.
J’ai découvert qu’une fois que les étudiants prennent la mesure de ce qui se passe ici, ils reconnaissent la séduction de ce que Dante a reproduit – mais aussi la leçon qu’il enseigne sans la présenter ouvertement. Bien des gens, nous le savons par notre vie quotidienne, sont trompés par ce qu’ils croient être de l’amour et qui détient la capacité de se présenter comme bien alors que c’est mal.
La plupart d’entre nous ne serons pas tentés de trahir un supérieur, ou de cambrioler une banque, en supposant même qu’on soit en position de le faire. Mais la luxure transforme une de nos principales qualités humaines – nos affections spontanées envers d’autres personnes – en un moyen de nous détourner de l’appel élevé que nous recevons comme être humain. C’est le péché le plus compréhensible, à sa manière, parce qu’il contrefait l’amour réel entre les personnes de la Trinité et l’amour que nous devrions avoir pour Dieu et entre nous. En d’autres mots, ce n’est pas seulement qu’il touche aux racines de nos affections. C’est subtil, et c’est une raison de plus de nous méfier de ce dans quoi nous entrons et de à qui nous faisons confiance. Il est facile d’être trompé et – à en juger par les divorces et les familles brisées, – cela arrive souvent.
Cela arrivait aussi beaucoup du temps de Dante, peut-être pas aussi ouvertement ni de façon aussi célébrée que cela semble l’être de nos jours. Et ces penseurs et poètes du moyen âge, ces grands génies qui étaient capables de voir comment des évènements concrets s’insèrent dans les plus grands schémas du vice et de la vertu, étaient eux-mêmes subtils – et réalistes. Ils ne faisaient pas paraître les tentations de la chair aussi horribles que les pratiques démoniaques que l’on voit plus avant dans l’enfer. Ils les faisaient apparaître telles qu’elles sont, attirantes – et douées pour se fabriquer des justifications.
« Si le Roi de l’univers était notre ami… » Il semble que nous nous le disions à nous-mêmes, dans notre propre langage moderne, à propos de bien des choses, comme si c’était la faute de Dieu. Et que c’était une excuse.
https://www.thecatholicthing.org/2017/03/13/a-lesson-on-sex-from-dante/